"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Il faut savoir sur quel pied danser avec Nocte Obducta… Très productif par le passé (une sortie par an entre 1998 et 2005), le groupe allemand a connu un petit void à la fin des années 2000, marqué par des incertitudes de line-up mais aussi un étrange et toutefois fantastique album, Sequenzen Einer Wanderung (2008). Et alors que leur chanteur Torsten s’est concentré sur Agrypnie au point de ne devenir qu’un invité récurrent pour Nocte Obducta, et que leur « leader » Marcel « Traumschänder » Breuer avait monté d’autres projets (Dinner Auf Uranos, Kamera Obscura), Nocte Obducta a fini par repartir de plus belle. Avec des sorties plus espacées, qui ont d’ailleurs été précédées d’effets d’annonce frustrants (Umbriel (2013) a mis plus d’un an à sortir alors que Nuclear Blast l’avait déjà dans son catalogue…), mais Nocte Obducta est toujours là et a toujours des idées à revendre. Quitte à parfois décontenancer son auditoire. Autrefois pionnier d’un certain style de Black avant-gardiste (avec les pépites que sont Lethe (1999) et Taverne (2000)), le groupe avait fini par devenir un des chantres du Black atmosphérique allemand, notamment grâce au diptyque Nektar (Teil 1 : Zwölf Monde, Eine Hand Voll Träume (2004) et Teil 2 : Seen, Flüsse, Tagebücher (2005)). Et désormais, toujours guidé par ses concepts originaux qui lient tout, jusqu’aux œuvres et paroles issues de Desîhra (le tout premier nom de Nocte Obducta, que l’on retrouve d’ailleurs encore ici dans le nom d’un morceau), la formation allemande évolue entre différents oripeaux, allant d’un Black relativement cru à des aspirations progressives et psychédéliques. Il faut donc suivre et ça fait bobo la tête, mais quand on est fan, Nocte Obducta garde la classe en toutes circonstances.
Ainsi, quand l’album de leur « retour » Verderbnis (2011) jouait la carte d’un Black plus rustre et un brin expéditif (pour eux) (rappelons que cet album était initialement présenté comme une suite de Schwarzmetall (2002), leur album le plus primitif), son successeur Umbriel (2013) allait très loin dans les étoiles et dans un trip Floydien. Ce sont ces deux composantes du passé récent de Nocte Obducta qui vont, pour une fois tout simplement, servir de base à la composition de Mogontiacum, sous-titré Nachdem Die Nacht Herabgesunken…. Ce qui est tout de même le 10ème full-length de Nocte Obducta est cependant basé sur ce qui était prévu comme une suite à Nektar - Teil 2, enfin conceptuellement seulement, et si cette fois je n’ai pas investi dans l’édition limitée pour fouiner dans les liner-notes de Marcel avec mes connaissances éloignées en allemand, je pense que comme toujours il doit bien y avoir quelques compositions anciennes dans ces « nouveaux » morceaux… Nocte Obducta est vraiment un groupe qui puise constamment dans son histoire. Et ce même si son style actuel semble finalement « nouveau » par rapport à ce qu’il a fait par le passé, signant clairement la « période » actuelle du groupe qui a débuté avec Verderbnis. Mais des éléments du passé sont toujours là, on pourrait même trouver qu’à certains moments de Mogontiacum, Nocte Obducta retrouve le feeling de ses tout premiers albums. Ce qui est déjà contredit par "Am Ende des Sommers", l’introductif de 9 minutes de cet album qui retrouve carrément la vibe de Sequenzen Einer Wanderung, avec des atmosphères enivrantes fabuleuses et toujours ce sublime touché de Marcel pour nous offrir des mélodies semi-acoustiques de premier choix.
Mais déjà, les guitares « tordues » issues de Verderbnis et Umbriel se font entendre, ainsi que les ambiances psychédéliques, annonçant un album à nouveau dense bien qu’il ne dure « que » 63 minutes. Dès "Glückliche Kinder", Nocte Obducta pose son univers aussi noir et mystérieux que la pochette. L’ensemble est dynamique mais les guitares sont bien crades, Torsten (très présent sur cet album) s’éructe, tandis que les breaks sont bien enfumés, bref l’ensemble est typique de l’inventivité et du style actuel du groupe. "Die Pfähler" sera dans la même veine, la formation allemande a choisi ici un apparat résolument rampant et désertique avec des guitares baveuses. Et Mogontiacum trouve ainsi très vite son équilibre entre ce BM bien rocailleux et un psychédélisme parfois bien perché, en témoignent les breaks de ce "Die Pfähler". La mélodie reste présente avec des passages bien épiques, mais Nocte Obducta a choisi un style à la fois forestier et sous l’influence de substances étranges. Le groupe de Marcel Breuer oscille donc constamment entre atmosphères mélodiques, avec notamment les deux interludes "Lethe, Stein und See" ou encore le plutôt enlevé "Ein Ouzo auf den Nordvind" (sorte de Dinner Auf Uranos version Black cracra et rampant, mais enivrant grâce aux breaks atmo, au chant et avec des sonorités oniriques et désertiques) ; et assauts Black bien rustres et primitifs avec en point d’orgue les deux courts morceaux expéditifs à la Verderbnis que sont "Löschkommando Walpurgisnacht" et "Am Waldrand". On est parfois pas loin d’un Oranssi Pazuzu, qui se baladerait dans certains paysages d’Allemagne.
Mogontiacum se clôture par le joli final qu’est "Im Dunst am Ewigen Grab der Sonne", plus mélodique et atmosphérique et porté par le chant clair (de Stefan ou Marcel ? Je n’ai jamais su et le groupe n’a jamais été précis sur le sujet dans ses livrets…), bien que les riffs râpeux ont toujours droit de cité. Enfin tout le Nocte Obducta post-Sequenzen Einer Wanderung est bien résumé dans "Desîhra Mogontiacum", pièce centrale et fleuve de cet album, particulièrement complète, en 19 minutes tout y est. Mais si le groupe y est toujours inspiré, cette plage ne dépasse pas les autres pistes « longue durée » de Umbriel qu’étaient "Dinner auf Uranos" et "Leere", autrement plus mémorables. D’ailleurs Mogontiacum est, au bout, un peu inférieur à ses deux prédécesseurs, même s’il fait aisément le pont entre les deux. Rien de bien original dans ce nouvel album des allemands, du moment qu’on connaît bien leur style récent, après c’est sûr que si ce n’est pas votre cas, il faudra s’accrocher. Peu accessible comme son prédécesseur, comme ses deux prédécesseurs même, voire comme la totalité de la discographie de Nocte Obducta excepté peut-être les deux parties de Nektar… Mogontiacum est une expérience Black-Metallique, résolument « allemande » mais aussi pétrie d’un psychédélisme parfois très osé et d’un esprit Metal assez roots et sale, sans tomber dans le raw de bas étage. Verderbnis en plus psyché, Umbriel en plus crade, c’est un peu tout ça, et si Nocte Obducta a fini par poser son style (enfin en l’état) et ne surprendra pas ses plus fidèles suiveurs, il n’en reste pas moins une des formations allemandes les plus inventives et remarquables en son domaine, qui au fil des années a posé sa propre patte sur une base avant-gardiste et progressive, entre mélodies et dynamisme et choses plus personnelles et originales. Après Umbriel et son trip spatial, voilà Mogontiacum et son trip forestier, pour accompagner vos balades nocturnes dans des endroits inquiétants…
Tracklist de Mogontiacum (Nachdem Die Nacht Herabgesunken...) :
1. Am Ende des Sommers (9:13)
2. Glückliche Kinder (7:18)
3. Ein Ouzo auf den Nordwind (6:36)
4. Lethe, Stein und See - Teil I (1:45)
5. Löschkommando Walpurgisnacht (1:55)
6. Desîhra Mogontiacum (19:02)
7. Die Pfähler (6:56)
8. Am Waldrand (1:35)
9. Lethe, Stein und See - Teil II (2:53)
10. Im Dunst am ewigen Grab der Sonne (5:43)