"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Début juillet 2015. Blut Aus Nord annonce la parution prochaine d’un nouveau split. Une nouvelle sortie de Blut Aus Nord est toujours un évènement, quand bien même Vindsval a tendance à annoncer beaucoup de choses en même temps, entre les albums « spéciaux » de BAN, les suites aux projets déjà entamés (il paraît qu’un Memoria Vetusta IV est en préparation…), et les autres formations auxquelles il prend(ra) part. Mais quand on apprend d’emblée que ce split-album se fera avec Ævangelist, une certaine effervescence se fait sentir d’emblée. Il faut dire que le duo américain était devenu très vite une des sensations du Black/Death le plus chaotique, sorte de Portal au carré venu des Enfers avec des enregistrements d’ambiance de là-bas. « Était » car à mon sens, Ævangelist avait largement perdu de sa superbe passé leur deuxième album Omen Ex Simulacra (2013), album il est vrai particulièrement extrême et jusqu’au-boutiste jusqu’à en devenir inécoutable pour certains, mais c’est ça qui faisait le charme de la formation. Writhes In The Murk (2014) et Enthrall To The Void Of Bliss (2015) en étaient presque trop fades et « classiques » en comparaison, et en sortant un album tous les ans, le groupe américain perd aussi en efficacité et en inspiration en plus de ne plus bénéficier de l’effet de surprise. Mais ce split, déboulant après un an d’attente presque pile-poil, arrive à point nommé. D’une, parce que Ævangelist en étant confronté à un des patrons de la scène qu’est Blut Aus Nord, doit se surpasser pour exister. De deux, car sa meilleure œuvre était déjà présente sur un split-album, To The Dream Plateau Of Hideous Revelation (2013, accompagné d’Esoterica), soit "Omniquity" cet incroyable morceau de 22 minutes totalement apocalyptique qui est encore aujourd’hui un des trucs les plus cinglés et tordus que j’ai jamais entendu en termes de Black-Metal « expérimental ». Avec cette pièce et Omen Ex Simulacra, Ævangelist avait marqué les esprits.
Je parle d’Ævangelist mais l’évènement reste quand même la présence de Blut Aus Nord qui va avoir charge d’ouvrir ce split-album de 41 minutes nommé Codex Obscura Nomina, avec 4 morceaux inédits. Un évènement donc pour le projet de Vindsval qui n’avait rien sorti depuis pratiquement deux ans, Memoria Vetusta III remontant à octobre 2014. Il n’y aura cependant rien de surprenant du côté de BAN mais aux côtés d’une formation sinistre et glauque comme Ævangelist, Vindsval va bien évidemment choisir la noirceur et la désolation. Blut Aus Nord va alors ressortir son art le plus décharné et le plus mortifère, celui de MoRT, avec cependant des touches de Thematical Emanation Of Archetypal Multiplicity et de 777 - Sect(s) dans cet aspect industriel latent. Autant que je sois clair tout de suite, ce n’est pas le pan de Blut Aus Nord que je préfère, ayant plus d’affinités avec les Memoria Vetusta (même si je n’ai jamais su quoi penser du troisième volet) et les deux derniers volets de la trilogie 777 - The Desanctification et Cosmosophy. Je n’ai jamais été capable d’apprécier le son des guitares « couineuses » qui a été en vigueur de The Mystical Beast Of Rebellion à Odinist, qui sont de retour ici, à mon plus grand désespoir. Mon avis est donc à prendre pour argent comptant mais en faisant un effort, les 4 compositions proposées ici par Blut Aus Nord tiennent la route et raviront à coup sûr les fans de la période la plus décharnée et dissonante de BAN. Si le départ sur "Evanescent Hallucinations" est un poil plus industriel et mécanique, la suite relativement linéaire (les 4 morceaux n’en font pratiquement qu’un) appuie un peu plus sur les ambiances funéraires et apocalyptiques, ce qui nous rapproche aussi de Thematical Emanations… (dont une deuxième partie était prévue depuis fort longtemps) et ça a son charme (avec un summum sur l’hypnotique "Infra-Voices Ensemble"). Avec ses vocaux sous forme de grognements lointains ou de litanies et sa batterie froide (le batteur Thorns doit être de la partie), on retrouve ici le pur Blut Aus Nord des années 2000, dans une version plus inquiétante et noire que jamais. Rien de bien tordu ou d’extrême pour BAN, et rien de bien original d’ailleurs, mais 4 morceaux satisfaisants qui raviront les amateurs de dissonances décharnées et d’ambiances désolantes si chères à Vindsval sur la plupart de ses sorties.
Ævangelist déboule maintenant pour un nouveau morceau, "Threshold of the Miraculous", de presque 22 minutes (tiens donc). Qui d’ailleurs assure bien la transition avec la partie de Blut Aus Nord vu que nous avons le droit d’emblée à quelques leads assez dissonants. Puis, hélas, il faut faire le constat que l’ævangéliste n’est pas encore disposé à re-changer ou à opérer un retour aux sources. Où est donc passé le fond d’ambiance des enfers, constant par le passé et plutôt jouissif ? On distingue toujours la présence d’effets sonores pour l’atmosphère mais ils sont vraiment tout, tout au fond, sans réelle plus-value comme à l’époque dorée de Omen Ex Simulacra où c’était ce qui permettait au groupe de se démarquer de Portal, Impetuous Ritual et consorts. Violence et agression ont disparu au profit de quelque chose de plus posé et réfléchi, de plus pernicieux, comme depuis la sortie de Writhes In The Murk en somme (même si Enthrall To The Void Of Bliss poutrait assez par moments). Reste les vocaux inhumains d’Ascaris, qui ont toujours leur charme surtout dans les growls les plus profonds qui pour le coup retrouvent la verve de ceux de Omen Ex Simulacra et "Omniquity", surtout dans la dernière partie très dark du morceau. Un "Omniquity" qui, c’est pratiquement sûr, ne sera plus jamais égalé, le groupe semblant s’être fait peur à lui-même à tel point qu’il ne veut plus recréer cette sensation d’apocalypse implacable. Après, pris tel quel et là aussi en faisant un effort d’adaptation ainsi que le deuil de la période la plus efficace et la plus chtarbée du groupe, "Threshold of the Miraculous" est un morceau qui tient la route. Cohérent et bien construit, il passe d’un classicisme à coups de guitares dissonantes bien noires et inquiétantes à des ambiances plus glauques et morbides, appuyées par des spoken words bien mystiques (avec même quelques phrases en français !). Ce morceau s’offre même des breaks légèrement électro très bien menés et surprenants, même si le reste lui est sans surprise. C’est finalement la même chose que pour Blut Aus Nord, du classique bien fait mais qui selon les goûts de chacun (placez-vous par rapport aux miens) ne s’inscrit pas forcément dans la « meilleure période » du groupe. Mais si l’esprit de "Threshold of the Miraculous" se situe pour vous dans la « bonne période » d’Ævangelist, c’est bingo.
Difficile donc d’avoir une conclusion tranchée sur Codex Obscura Nomina car nous sommes en présence de deux groupes aux multiples facettes qui peuvent diviser. Ce qui est sûr, c’est que la collusion des deux formations a donné naissance à un split-album forcément très noir et glauque, Blut Aus Nord et Ævangelist faisant chacun l’effort nécessaire pour poser quelque chose de décharné et d’inquiétant, tout en noirceur et en ambiances apocalyptiques occultes. Les deux groupes s’auto-inspirent et se complètent pour proposer un split-album très cohérent et fignolé, même si chacune formation est restée la même avec ses propres éléments de base. Blut Aus Nord nous a délivré quelque chose dans l’esprit de ce qu’il a fait de plus morbide et désenchanté, c’est à prendre ou à laisser, mais cette période de la carrière de Vindsval a presque fait l’unanimité (et je me sens toujours bien seul à trouver un The Work Which Transforms God inécoutable). Ævangelist, de son côté, continue dans la lignée de Writhes In The Murk sa subtile propagande pour les préceptes du Malin, un discours compréhensible et accessible, des gros mots pour une formation qui avait délivré un retentissant souffle apocalyptique avec Omen Ex Simulacra et "Omniquity". Son "Threshold of the Miraculous" s’insère bien dans l’esprit de ce split-album, mais à mon sens le groupe était autrement plus convaincant dans sa version la plus jusqu’au-boutiste et extrêmement violente… Je commence à désespérer de voir Ævangelist donner une véritable suite à Omen Ex Simulacra, Codex Obscura Nomina était peut-être une occasion de refaire un "Omniquity" mais le groupe a fait un choix plus logique, je ne perds pas espoir qu’il se remette désormais au travail pour un album plus efficace. Ce n’est que mon avis et je sais d’ailleurs que beaucoup n’avaient pas apprécié les assauts impitoyables du début de carrière de l’ævangéliste. Là aussi, c’est à prendre ou à laisser selon ses goûts, mais histoire de conclure simplement disons qu’en termes de Black-Metal décharné et apocalyptique, ce split mérite au moins le coup d’oreille, et plus si affinités à la torture auditive revendiquée par ces formations infernales…
Tracklist de Codex Obscura Nomina :
Blut Aus Nord
1. Evanescent Hallucinations (4:45)
2. Resonnance(s) (4:35)
3. The Parallel Echöes (4:40)
4. Infra-Voices Ensemble (5:41)
Ævangelist
5. Threshold of the Miraculous (21:33)