Let Mortal Writers Draft Your Fame - Part 2
mercredi 20 juillet 2016Du War Black Atmosphérique ? C'est possible
Parties précédentes : 1
Aujourd'hui, je vous parle du principal aspect de ce qui fait un groupe : les albums. Certes, j'ai déjà un peu commencé à le faire dans la partie précédente, mais il est communément admis que la forme maturée de Summoning émerge à partir du second album : Minas Morgul.
Minas Morgul
(1995)
Je vous avais déjà parlé un peu plus tôt de la démo Minas Morgul, sortie en août de la même année (l'album étant sorti en octobre), et contenant déjà quatre des morceaux qui composeront l'album du même nom. L'illustration que j'avais utilisée alors provenait du site officiel de Summoning. A vrai dire, je ne sais pas si cette tape avait été distribuée avec cette image, mais ce qui est sûr, c'est qu'elle a servi pour la version définitive de l'album :
C'est donc la première fois que l'on voit de la couleur sur un album de Summoning, première indication de leur éloignement de certains codes classiques du Black Metal. L'imagerie, comme pour son prédécesseur Lugburz, reste basée sur l'univers Tolkien, et se place cette fois à Minas Morgul, que vous avez pu connaître dans le film Le Retour du Roi de Peter Jackson sous cette forme :
Minas Morgul, la Tour de la Sorcellerie, située aux pieds de la chaîne de montagnes Ephel Dùath (qui a donné son nom à un sympathique groupe d'Avant-Garde Jazzy Italien), et gardant l'accès au Mordor près du passage de Cirith Ungol (décidément, Tolkien inspire les plus grands)
Revenons-en à la cover de l'album. Si vous la comparez avec l'artwork supposément utilisé pour la démo du même nom, vous remarquerez que c'est un zoom sur la partie supérieure. L’œuvre entière, réalisée par Mark Harrison (le Sceptre Isochronique à Magic the Gathering, c'est lui !), a été conçue à l'origine comme illustration pour le roman The Call of the Sword (1988) de Roger Taylor, premier tome de la série The Chronicles of Hawklan. Le tome suivant de cette même saga, The Fall of Fyorlund (1989), a aussi servi d'illustration pour Lugburz.
Pour en finir avec l'aspect graphique de l'album, l'illustration fut aussi reprise pour en faire la couverture du jeu vidéo Ishar – Legend of the Fortress, sorti sur PC, Amiga, Atari et Macintosh en 1992. « Ishar » signifie d'ailleurs « Inconnu » en elfique, comme quoi Tolkien n'est jamais très loin.
Bon, je me rends compte que ça fait un bon moment que je n'ai pas vraiment parlé de musique. Il est temps de remédier à ça. Etudions donc pourquoi la majorité des gens (y compris le groupe [2]) s'accordent à dire que Minas Morgul est le premier vrai album de Summoning.
Tout d'abord, le point le plus marquant est que c'est le premier album de Summoning à n'être plus composé que de deux membres. Plus de batteur donc, Trifixion étant remplacé par des samples de percussions, tantôt imitant une batterie classique, tantôt aux consonances plus médiévales. Ces sons de percussions resteront une des principales caractéristiques du groupe tout au long de leur carrière, bien que ceux imitant une batterie acoustique soient encore assez présents sur Minas Morgul, principalement utilisés pour rythmer les passages plus violents, héritages de Lugburz. Pour le reste, le rythme adopté est globalement plus lent, et de violents tambours viennent régulièrement marquer les changements de riffs. Ces instruments plus typés Medieval Fantasy seront plutôt utilisés pour les passages plus calmes des compos.
Les guitares s'effacent un peu, au profit du clavier qui devient dès lors l'instrument dominant des compositions. Celles-là sont à présent ajoutées en fin de processus de composition [2], et servent principalement à accentuer l'intensité des montées épiques. Toutefois, elles restent assez présentes, et on retrouve encore dans Minas Morgul des leads principaux à la guitare, qui se feront plus rares dans les albums suivants. L'exemple principal étant pour moi le magistral morceau Marching Homewards.
Si le clavier et les samples prenant de plus en plus d'importance, ils sont aussi de plus en plus variés. Alors que sur Lugburz, ils se limitaient à quelques percussions rythmant une mélodie au piano ou à ce qui me semble être du basson, ils prennent sur Minas Morgul de bien plus nombreuses formes. On y trouve des sons très typés Dungeon Synth, principalement sur Soul Wandering, mais aussi des orchestrations, du clavecin, des sons éthérés… et utilisés de manières plus éparses que sur l'album précédent, c'est à dire pas uniquement cantonnés aux introduction/transitions/conclusion.
Il est à noter qu'en 1994 sortait à quelques milliers de kilomètres de là le premier album de Mortiis, (projet solo du premier bassiste d'Emperor), Ånden som gjorde opprør, considéré à juste raison comme l'un des pionniers et monuments du Dungeon Synth. On retrouve dans cet album de nombreuses sonorités similaires à celles utilisées sur Minas Morgul un an plus tard. Il est donc assez probable que celui-ci ait eu une forte influence sur Silenius et Protector lors de la composition de ce dernier.
Contrairement à Lugburz, où Trifixion chantait aussi (de même que Pazuzu, mais dans une moindre mesure), il n'y a plus ici que deux chanteurs, qui se partagent les différents instants des compos. Les voix ne sont plus aussi criardes que sur Lugburz, et alternent entre chant assez typé Black Metal, bien qu'un peu faible, et plus susurré, ajoutant le côté sombre nécessaire aux thématiques des morceaux.
Car bien évidemment, l'univers de Tolkien est à présent plus que central, et principalement le côté sombre de cet univers. Les paroles de l'album sont pour la plupart directement tirées de la trilogie du Seigneur des Anneaux, comme le morceau Morthond, adapté (ci-dessous en gras) d'extraits du Chant des Tertres de Mundburg. Si vous voulez en savoir plus sur l'origine des paroles, quelques véritables maniaques ont référencé sur le forum officiel de Summoning [3] de nombreuses références des morceaux aux ouvrages de Tolkien.
We heard of the horns in the hills ringing, |
Nous avons entendu chanter les cors sonnant dans les collines, |
Le Chant des Tertres de Mundburg (Le Retour du Roi : La bataille des champs du Pelennor)
Enfin, pour ce qui est de l'enregistrement et du mastering, les musiciens optent pour le studio Autrichien Tonstudio Hörnix, tenu par Georg Hrauda, qui s'était auparavant occupé du mastering de Lugburz, et qui occupera une grande place dans le développement de la scène Black Metal Autrichienne (Abigor, Dargaard, Amestigon…).
Dol Guldur – Nightshade Forests
(1997)
Un an plus tard, du 21 au 23 octobre 1996, Silenius et Protector reviennent voir Georg Hrauda pour l'enregistrement de leur troisième album, qui sortira en janvier 1997 : Dol Guldur.
Si maintenant l'album n'est plus celui auquel la majorité des gens pensent instinctivement lorsqu'on leur parle de Summoning, il a toutefois bien mieux marché que les deux précédents à l'époque [2]. Probablement que Minas Morgul avait suffisamment fait parler de lui pour que le duo Autrichien attire les regards du public.
Détaillons un peu la pochette de l'album. Contrairement à ses prédécesseur, qui n'étaient pour ainsi dire que des zooms retravaillés d’œuvres, Dol Guldur arbore une composition travaillée, avec un cadre et une image centrale. Ce style de composition restera pour les sorties suivantes du groupe, qui reprendront toutes ces éléments, de manière plus ou moins marquée.
Pour ce qui est de Dol Guldur, la pochette se compose d'un pourtour tiré d'une des œuvres de Roger Garland, artiste illustrant de nombreux passages tirés des histoires de Tolkien, ainsi que d'une photographie d'un lac de la région de Waldviertel, au nord-ouest de l'Autriche.
D'autres illustrations ont été utilisées pour l'intérieur de la pochette, tirées d’œuvres de Brian Froud. En revanche, l'une des illustrations a été faite spécialement pour le groupe, représentant Dol Guldur, la Colline de la Sorcellerie, dans la nouvelle Le Hobbit. Celle-ci fut réalisée par Christian Sinn, artiste dont je n'ai hélas pas pu retrouver la trace.
Si ces artworks confirment l'adoption de l'univers de Tolkien comme thématique principale, cela a failli ne pas être le cas pour ce troisième album. Au départ, les musiciens avaient prévu de baser l'album sur Das Nibelungen Lied (en Français, la Chanson des Nibelungen), un poème épique Allemand du XIIIe siècle. Ils ont finalement abandonné l'idée, car le groupe de Black Metal Mystic Circle avait déjà abordé ce thème. Or, Silenius explique dans une interview [4] qu'il trouvait ce groupe horrible et ne voulait pas avoir le moindre lien avec eux. Dol Guldur restera donc centré sur les œuvres de Tolkien, dont sont à nouveau tirées la plupart des paroles (quelques morceaux sont toutefois confiés à Peter – P.K. – Kubik, guitariste d'Abigor).
Musicalement, Dol Guldur confirme l'éloignement progressif de Summoning du Black Metal des origines. Les plans les plus classiques à la batterie disparaissent complètement, et les leads à la guitare se font encore moins présents que sur Minas Morgul, au profit d'un clavier plus mis en avant que jamais, donnant un aspect quasi symphonique aux compos : sons de basson, carillons, chœurs… on trouve même quelques sons plus typés Industrial Metal dans l'introduction Angbands Schmieden ainsi que sur Wyrmvater Glaurung.
A propos de ces derniers sons, cette même année 1997 sortait le premier album de Ice Ages, projet solo Indus/EBM de Protector dont nous reparlerons un peu plus tard. La réalisation de cet album a partiellement influencé celle de Dol Guldur. En particulier, le morceau concluant ce dernier, Over Old Hills, est une version revisitée à la Summoning de Trapped and Scared, huitième piste de Strike the Ground.
Contrairement à ses prédécesseurs, Dol Guldur introduit de nombreuses répétitions des mêmes mélodies, avec de légères variations, au sein d'un même morceau. Un exemple évident est le morceau Elfstone, où le thème principal sert de fil rouge sur la quasi totalité des onze minutes. Il en sort un je ne sais quoi de prenant, d'hypnotique, qui réussit l'exploit de ne pas devenir lassant malgré la longueur du morceau, car si la durée moyenne d'un morceau sur Minas Morgul était approximativement de sept minutes, les compos de Dol Guldur tournent plutôt autour des dix.
Enfin bon, en pratique, le temps passe différemment à l'écoute de cet album. Vous connaissez tous un album qui vous fait cet effet là, que vous pouvez écouter trois fois de suite sans même vous en rendre compte, et sur lequel vous grognez « Quoi ? C'est tout ? Ça fait à peine dix minutes que je l'écoute et c'est déjà fini ? » alors que plus d'une heure s'est écoulée. Pour moi, Dol Guldur est la définition même de ce phénomène.
Vous vous souvenez que j'avais commencé à vous parler de cet album en vous expliquant que ce n'était pas spécialement celui dont les gens se souvenaient le plus ? Eh bien je pense que la raison à cela est justement celle que je viens d'évoquer : les mélodies ne sont pas de celles qui restent en tête des heures après l'écoute, malgré qu'elles aient été répétées de nombreuses fois. En revanche, cette sensation si particulière que l'on ressent tout au long de l'écoute de Dol Guldur s'incruste en nous, et l'album s'achève en laissant un sentiment de plénitude qui, lui, perdure.
Si vous avez été attentif, vous aurez remarqué que, bien que j'ai à peu près fini de vous parler de Dol Guldur (et encore, je me retiens), le titre de cette section contenait aussi Nightshade Forests. En effet, le second morceau de Dol Guldur a donné son nom à un EP sorti quelques mois plus tard, considéré par le groupe comme une annexe à ce dernier album. On trouve ainsi dans le livret de Dol Guldur la page suivante :
[…] The forgotten songs of Dol Guldur will be released on the mini CD Nightshade Forests ([…] Les chansons oubliées de Dol Guldur sortiront sur le mini CD Nightshade Forests)
Du coup, Nightshade Forests reste sans surprise dans la même veine que Dol Guldur. On retrouve une bonne partie de l'atmosphère présente sur l'album, même si l'ensemble me paraît un peu moins hypnotisant sur que celui-ci. La principale différence est en réalité la place des guitares sur l'EP : si sur Dol Guldur elles étaient déjà mises en retrait par rapport aux albums précédents, ici elles font plutôt office de bruit de fond, symbolisant un peu les ténèbres omniprésentes en terre du milieu, desquelles se détachent les mélodies de ceux qui luttent (c'est d'ailleurs un peu comme ça que se termine Flesh and Blood, avec des samples de bataille directement tirés du film Braveheart [2]).
Initialement, l'album ne devait comporter que trois morceaux, amputés de Dol Guldur pour que l'album ne dure pas plus d'une heure et demie. L'EP aurait alors duré environ vingt-cinq petites minutes. C'est probablement pour cette raison que les musiciens ont décidé d'y ajouter une quatrième pièce, Habbanan Beneath the Stars. La production de ce dernier morceau est un peu différente des trois précédents, notamment au niveau du son des guitares qui est légèrement réajusté, le rapprochant un peu plus du mixage de Dol Guldur.
A ce propos, si de nombreux fans ont bien aimé la production de cet EP, plus massive que pour Dol Guldur, ce n'est pas vraiment le cas des musiciens. Nightshade Forests, contrairement à ses prédécesseurs, a été enregistré dans un petit studio en Suisse, et il semble que la personne en charge du mixage n'ait pas su gérer correctement les demandes du groupe concernant le son des guitares, d'où leur côté distant sur les compos [5].
Enfin bon, la production un peu différente n'est clairement pas un frein, tant la qualité des compos est au rendez-vous ! Dès les premières notes de Mirkwood, on est séduit à coup sûr ! Ah merde, j'avais dit que j'essaierais de ne pas tomber dans le fanboyisme… En tous cas, un EP de plus de trente minutes (soit aussi long que certains full-lengths sortis par d'autres groupes), contenant des compos riches et variées, et que l'on peut en plus rattacher à l'album précédent pour obtenir plus d'une heure et demie de musique, ça paraît assez sexy (et ça l'est !). Ne passez donc pas à côté de ce chef d’œuvre !
Stronghold
(1999)
Ayant été vraiment déçus par le son de guitare trop mis en retrait sur Nightshade Forests, les musiciens ont eu la main un peu plus lourde sur cet instrument sur l'album suivant, Stronghold, en faisant l'album le plus Rock de la discographie du groupe [5].
Ça n'engage que moi, mais je pense que l'on peut parler d'une troisième période pourSummoning à partir de cet album. Contrairement à Dol Guldur, les compos de Stronghold incluent des mélodies moins répétitives/envoûtantes, mais surtout qui restent en tête très longtemps après l'écoute. Les albums suivants, du moins à l'heure où j'écris ces lignes, resteront globalement dans cette veine.
Comme je le disais, le groupe a donné une place plus importante à la guitare sur Stronghold, mais pas uniquement. Les percussions utilisées ont aussi été changées afin de donner plus de puissance aux morceaux. On retrouve ainsi des sons de toms assez proches d'une batterie classique, notamment sur le morceau Like Some Snow-white Marble Eyes.
Ce dernier morceau est d'ailleurs assez caractéristiques de ce que je disais au tout début de ce dossier, quand j'évoquais les variations dans le style de chant entre les compos, qui apparaissaient déjà sur les démos. Là, le chant est assez distant, bien que puissant, donnant vraiment un aspect mélancolique au morceau. Si la plupart des autres compos ont des pistes chant plus habituelles, un morceau fait un peu figure d'alien sur l'album : Where Hope and Daylight Die. On y retrouve au chant Tania Borsky, alors chanteuse pour Die Verbannten Kinder Evas, l'un des autres projets de Protector, dont nous parlerons bien évidemment plus en détails plus tard dans ce dossier. Where Hope and Daylight Die est donc le premier (et le dernier) morceau de Summoning à inclure du chant féminin. Bien que satisfaits du résultat, les musiciens ont décidé de ne pas renouveler l'expérience, afin de ne pas trop ressembler à un groupe de Gothic Metal à chanteuse [2].
Pour le reste de l'album, je ne vais pas tout détailler, car mon but n'est pas d'en faire une énième review, mais plus de vous présenter sa situation dans la discographie du groupe (toujours est-il que c'est un écrin à tueries). Stronghold peut donc être vu comme une déviation dans le parcours du groupe, au sens que le clavier y a perdu de sa prédominance et de sa structure polyphonique, mais aussi comme une nouvelle étape dans la discographie du groupe, au sens où l'album ne forme plus réellement un tout comme pour son prédécesseur, mais privilégie des compos individuellement magistrales.
Ce changement est peut-être aussi lié à la nouvelle liberté totale de Summoning. Si le groupe jouissait déjà d'un statut privilégié chez Napalm Records (basiquement, « faites ce que vous voulez, on vous fait confiance » [6]), ils étaient auparavant toujours contraints par des enregistrements en studio induisant un temps limité disponible pour la finalisation de l'album. Pour Stronghold, les musiciens ont fini de monter leur propre studio, et ont pu y enregistrer l'album à leur rythme, avec le degré de finition désiré.
Pour en terminer avec Stronghold, je vous propose deux petits jeux :
Trouvez sur l'album les extraits des films Braveheart et Legend (celui de Ridley Scott).
Retrouvez la pochette de l'album dans l’œuvre The Bard de John Martin, ci-dessous.
Conclusion
Ca fait déjà pas mal à digérer :) Il reste encore quelques albums à traiter, et je vous propose donc de terminer de faire le tour de la discographie de Summoning la semaine prochaine !
Références
[1] Alexandru Abalaru. Interview de Summoning. Mars 2000.
[2] Site officiel de Summoning.
[3] Forum officiel de Summoning.
[4] Une interview de Summoning par un fan Français qui a consacré un site au groupe, certes assez moche mais sur lequel on retrouve pas mal d'infos vraiment intéressantes.
[5] Interview de Summoning par Trashin Rage.
[6] Interview de Summoning par Metal Cast.