Metastazis
Valnoir
Non.
A l'occasion de la sortie de Fire Work With Me, Valnoir a répondu à nos questions concernant son parcours depuis 15 ans avec Metastazis, ainsi que cette rétrospective de 300 pages sur le studio parisien.
Photo : William Lacalmontie
Salut Valnoir, peux-tu présenter Metastazis ainsi que le rôle que tu y occupes ?
Metastazis est un studio de création visuelle que je dirige depuis une bonne douzaine d'années. J'en suis, de loin, le principal protagoniste et j'emploie stagiaires, assistants et intervenants extérieurs selon mes besoins.
L'objectif premier du studio était à la base de fournir des visuels de qualité pour diverses scènes musicales extreme, et je tends à présent à diriger le navire sur des territoires artistiques moins explorés.
Pourrais-tu nous parler un peu de ton parcours avant Metastazis ? Est-ce que tu es d'abord tombé dans la musique ou dans le monde du visuel, ou les deux à la fois ? Etait-ce une évidence de finir par mêler les deux ?
J'ai très copieusement développé tout ça dans le livre, je ne vais donc pas spoiler, mais pour la faire courte : avant le metal, il y eut le dessin, une passion d'enfant. D'enfant, je suis devenu adolescent, et je me suis totalement abandonné au metal à l'âge de 12 ans, et au black metal à 14 ans. Si mes oreilles et mon âme étaient ouvertes, il en allait de même avec mes yeux et j'ai depuis le départ considéré avec le même émerveillement la musique et les artworks qui l'accompagnaient. Lorsqu'il m'a enfin fallu choisir quel chemin professionel emprunter, j'ai sans trop y croire, cherché à appliquer mon petit talent artistique à ma principale passion, et quinze ans plus tard, voilà où j'en suis : un karma foutu, un curé de paroisse désespéré par mon comportement, et un goût prononcé pour les objets tranchants et la viande bleue.
Comment imaginais-tu Metastazis au tout début ? Par rapport à cette idée, y a-t-il des points qui te déçoivent ou au contraire, que tu n'aurais jamais imaginé ?
Je n'envisageais rien d'autre que de faire de bons artworks pour de bons groupes, laissant les choses se développer d'elles-mêmes, même si j'avais quelques préconceptions erronées mais aussi des rêves que j'ai depuis largement accomplis et dépassés. J'ai travaillé pour beaucoup plus de groupes mythiques que prévu, et plus facilement que prévu. Assez peu de déceptions en fait, le bilan est globalement plutôt positif.
Après 15 ans, Timeless publie une rétrospective de 300 pages, « Fire Work With Me » avec un tas d'éléments inédits, de textes exclusifs... Comment est venue l'idée ? Cela te tentait-il déjà et l'occasion s'est présentée, sont-ils venus vers toi ?
Tout artiste, je pense, ressent ce besoin de couler par le plomb et dans le plomb les heures marquantes de sa carrière, arrivé à une heure de bilan. La peur de la mort, la peur de ne pas laisser de trace et l'illusion fragile que la parution d'un bouquin pourra y remédier furent mes principales motivations. Je travaille avec Timeless - mon éditeur - depuis quelques années en tant que graphiste et ils m'ont assez rapidement proposé de me publier dans de bonnes conditions. C'était un vieux rêve, j'ai tout de suite accepté.
As-tu sélectionné toi-même tout ce que tu souhaitais voir apparaître dans « Fire Work With Me » ? Est-ce qu'il s'agit plus de ce dont tu es fier, ce qui a eu le plus de succès, ce qui te représente le mieux, ce qui ferait plaisir à ceux qui te suivent et que tu voulais partager avec eux ? Un mélange de tout ça ?
Une sélection doit nécessairement s'opérer, comme pour n'importe quelle rétrospective. Faire imprimer l'intégralité de mes travaux serait impensable, ce serait le bouquin de graphisme le plus gros et le plus chiant d'Europe. Chaque artwork complet comprend une douzaine d'éléments. Multiplié par environ 300 (nombre approximatifs de projets significatifs sur lesquels j'ai dû plancher), et tu te retrouves avec la brique la plus indigeste de l'histoire du design.
Ce livre est donc une sélection des projets que j'évalue comme les plus marquants et pertinents de la carrière du studio. Certains sur un plan affectif, d'autres, comme le concert de Laibach en Corée du Nord, sur un plan historique. Ma première version du bouquin devait faire 700 pages, et puis j'ai élagué brutalement, puis plus finement.
Pourquoi avoir choisi la langue anglaise pour cette rétrospective ? Selon moi, tu as bien évidemment de meilleures chances de toucher un public plus large, et ils sont facilement compréhensibles. Cependant, les textes publiés et je pense surtout à ceux que tu as toi-même rédigé, créent une sorte de barrière pour tes fans francophones qui espéraient peut-être se plonger un peu plus dans l'intimité de ta carrière et se retrouvent avec une barrière de la langue à laquelle ils ne s'attendaient pas.
J'ai travaillé pour des groupes venant d'une trentaine de pays, pour un auditoire du monde entier, sans même parler du fait que la plupart, si ce n'est la totalité des intervenants extérieurs m'ont fait parvenir des textes en anglais. Je vais retourner ta question : devrais-je exclure mes fans non-francophones, majoritaires, pour favoriser mon lectorat français, limité? Je n'ai d'ailleurs jamais reçu de traitement de faveur particulier de la part de la scène hexagonale, et comme cela se vérifie souvent, nul n'est prophète en son pays.
Si la langue officielle de la diplomatie internationale est le français, la langue officielle du metal reste l'anglais. Faire un livre bilingue m'a cependant traversé l'esprit mais la somme de travail que cela représente en terme de traduction et de relecture était tout bonnement trop importante pour un bénéfice limité. Je n'écarte cependant pas cette option pour un repressage futur.
Qu'on apprécie ou non ton art, ce qui saute directement aux yeux en feuilletant « Fire Work With Me » est à mon avis la variété, tant dans le fond que la forme, que tu es capable de proposer. J'ai toujours pensé que les artistes un peu « touche à tout » ont ce fantasme d'art total, de nombreuses pierres qui se superposent les unes aux autres pour créer un seul ensemble, cohérent, au moins pour son créateur. Comment est-ce que tu te places par rapport à ça ?
L'oeuvre d'art total, ou "gesamtkunstwerk" en bosche est effectivement un graal que je poursuis. Une belle œuvre, complète, à mes yeux, possède une multitude de facettes, chacune d'elle étant une discipline, créant un tout solide, cohérent. L'objectif de Metastazis est de compléter visuellement l'œuvre musicale d'artistes. Parvenir à cet objectif nécessite d'avoir un propos de base substantiel solide, une fondation conceptuelle suffisment bien élaborée pour pouvoir bâtir cette structure, mais malheureusement la grande majorité des artistes avec lesquels je suis appelé à collaborer en sont partiellement voir totalement dépourvus.
Des groupes comme Laibach ou Type O Negative ont, en leur temps, touché cet absolu pour lequel je conserve une fascination sans bornes.
Concernant Metastazis aujourd'hui, as-tu des projets concrets ou des lignes directrices pour continuer à faire évoluer les choses ? Et plus personnellement, est-ce qu'il y a d'autres domaines où tu aimerais te lancer ?
Mon implication dans des projets d'art contemporain, debarrassés des clichés et systèmes parfois trop encombrants du metal, semble dessiner un chemin dans lequel j'aimerais me lancer plus entièrement. Je continue d'ailleurs courageusement et le poing dressé d'accompagner Morten Traavik dans sa croisade artistique en Corée du Nord et deux nouveaux projets de grande envergure sont d'ores et déjà sur les rails.
Bien sûr, mon travail sera toujours en opposition avec le monde dans lequel j'évolue, sa bien-pensance hypocrite, sa mollesse et son manque d'ambition intellectuelle (le monde, pas mon travail)(enfin j'espère). Je me nourris de l'énergie issue de la friction, du conflit. Ce n'est pas le consensus mais le combat qui me fascine.
Quoi qu'il arrive ma vie sera vouée à la création.
À part ça, j'adore faire la bouffe.
Aujourd'hui, on peut facilement dire que tu as une identité propre, et nombreux sont ceux qui reconnaîtraient ta signature au premier coup d'oeil. Est-ce que tu vois ça comme un avantage ou est-ce que ça peut selon toi être un frein, quelque chose qui t'empêcherait de continuer à t'améliorer et évoluer ?
Je veux croire que je possède plusieurs identités propres.
Les gens veulent voir ce qu'ils veulent et j'entends souvent la même chose : "les rayons et les serpents, ça va 5 minutes, faut se renouveler hein", glissent astucieusement, de temps à autre, quelques fins analystes artistiques metalleux, issus de milieux culturels, intellectuels et/ou professionnels d'une impersonnalité désastreuse. Je réponds à ces commentaires qu'ils sont issus de la flemme, de l'ignorance et de l'hypocrisie. Deux minutes passées sur ma page et mon site prouvent que mes explorations artistiques permanentes tournent le dos à ces affirmations. Il est un paramètre , pourtant simple, que beaucoup ne parviennent pas à deviner : les groupes veulent juste la même chose que le voisin. Point. Je trouve effroyablement hypocrite de la part d'une scène brassant sans complexe les mêmes clichés (têtes de mort, traumatismes non vécus, etc) depuis trente ans, dans ses textes et visuels, de me reprocher d'avoir quelques systèmes graphiques qui reviennent ici et là.
Il y a eu une tendance, il y a quelques années, de pochettes teintées de bleu (ou autre, mais souvent bleu) et d'or aux détails assez travaillés, fins et élégants. Dis-moi si je me trompe, mais j'ai eu l'impression que tu avais commencé à créer cette esthétique, qui a beaucoup plu pour son côté art ancien, précieux, mystique, et qui a ensuite été reprise avec plus ou moins de variations par d'autres. Ce n'est peut-être qu'un exemple parmi d'autres « emprunts » qui s'effectuent dans ce milieu, mais qu'est-ce que ça te fait de savoir que ton style plaît au point de pouvoir éventuellement être imité par d'autres artistes, ou souhaité par des groupes style « regarde, je veux ça pour mon album » ?
Pour être totalement honnête je n'ai y pas vraiment prêté attention.
"Le plagiat est la forme la plus sincère de flatterie" disait Colton, et sans même aller jusqu'à parler de plagiat, il est toujours chaleureux, voir attendrissant, de constater que son travail laisse une trace ou crée une tendance, même confidentielle, qui vous échappe.
S'attaquer à ceux qui vous copient et vous recyclent fait montre d'un manque évident de confiance en soi, en tout cas c'est mon point de vue.
D'un autre côté, cela vient aussi confirmer la difficulté écrasante de développer un style authentiquement personnel. À chaque fois que je vois un jeune qui me copie, j'ai envie de lui dire : "mon travail te touche, ça me fait plaisir, mais ce qui me ferait encore plus plaisir serait que tu me surprennes par un style et une approche qui n'appartiennent qu'à toi".
Quand on suit de loin ta carrière et ce qui en ressort sur le net, on a l'impression que le plus gros événement de ta vie, derrière le pseudonyme Valnoir, a été d'accompagner Laibach jouer en Corée du Nord. Cet épisode prend d'ailleurs une place certaine dans « Fire Work With Me ». A l'heure des rétrospectives donc, quelle place prend réellement cet événement pour toi ? Cela a-t-il modifié d'une quelconque manière ta façon de concevoir la musique, l'art, le spectacle, la culture ?
Je n'ai pas fait qu'accompagner le groupe, je suis à la toute première origine de l'idée. En 2012, j'ai proposé à Mortel Traavik de lui présenter Ivan Novak, pensant qu'il serait pertinent de faire intervenir Laibach en Corée du Nord. 3 ans plus tard, ils étaient le premier groupe de "rock" de l'histoire ultra controversée de ce pays à se produire là-bas et ce devant 1500 personnes (si on compte l'ambassadeur de Syrie, qui s'est enfui, les doigts dans les oreilles après deux titres). Un tour de magie historique.
J'ai en outre très largement participé à la conception visuelle des éléments encadrant la performance.
Des aventures comme celles-ci vous marquent à vie, autant sur un plan personnel que professionnel. Et oui, cela m'a poussé à envisager ma démarche créative sous une toute autre perspective. Comment créer un art intelligent avec un pays d'où, en théorie et selon les médias, tout art intelligent est proscrit? Comment tordre, interpréter, présenter une idée pour la faire accepter dans un contexte aussi sensible et délicat? Ces problématiques appliquées à la diplomatie culturelle m'ont fortement fait évoluer.
Revenons à la France : quels sont les artistes actuels dont tu suis le travail ? Et à l'étranger ?
Je ne fais pas vraiment de distingo entre les artistes nationaux et étrangers. Il est du reste assez difficile de me surprendre et de me plaire. Mes artistes vivants préférés restent NSK, Hermann Nitsch, Wim Delvoye, David Nebreda, Helnweinn, Sverre Mallig, Mirko Ilic, et j'en oublie sûrement.
Tu as créé des artworks pour des groupes que tu adores ou admires, tu as accompagné Laibach en Corée du Nord, cousu des patchs sur le dos d'un homme, créé une encre avec des os humains broyés, conçu un poster qui serait imprimé avec du sang humain... C'est quoi la prochaine étape ? Est-ce qu'il y a des idées loufoques ou que tu pensais irréalisables que tu envisages maintenant, après tout ça ?
J'ai des projets d'impression en cours qui poursuivent cette démarche amorcée en 2010 avec Watain oui. Cela soulève toujours beaucoup de questions sur la multidimensionnalité artistique. Quel matériaux utiliser et comment les utiliser pour ajouter une couche narrative supplémentaire à un projet, et par ce biais, lui donner plus d'épaisseur, de substance?
Lorsqu'une idée me semble bonne et pertinente, je finis toujours par arriver à la faire aboutir.
Je travaille en ce moment toujours sur des projets impliquant la mise en danger physique mais aussi des trucs plus poétiques et moins spectaculaires mais c'est trop tôt pour en parler. Le tirage de tête du livre comprendra une performance vidéo me mettant en scène, dans laquelle je rends hommage aux victimes du Bataclan et plus particulièrement à ma bien-aimée amie Claire tombée sous les balles de ces porcs ce soir-là.
Merci pour tes réponses, je te laisse le mot de la fin.
Paris ou la mort!
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