Un mec qui écrit des trucs.
Le Grindcore. L'un des vilains petits canards de notre scène et surtout dans notre pays. En France, on est des relous. On a une scène. On a de quoi tout défoncer. Mais le soutien c'est un autre combat. Cette mouvance Punk, cette frange parmi les plus jusqu'au-boutistes des musiques saturées, toujours rabaissée au stade anal de la musique à cause d'une mauvaise perception. Les gens ont décidé de manière arbitraire que le Grindcore devait ressembler à Ultra Vomit et Gronibard. Parce que c'est Français, et ça a marché, et ça gueulait "BIIIITE" très fort donc forcément c'est un groupe phare de la scène. Brutal Truth, Terrorizer, Napalm Death ? Ouais ouais on connaît, et c'est vrai qu'ils causent pas franchement que de pénis ceux-là. Mais c'est tellement plus drôle de rabaisser gratuitement et renvoyer pleurer notre scène locale, histoire que les Blockheads, Chiens, Whoresnations, Unsu ou Inhumate (pour donner des noms de qualité en vrac) puissent bien chialer leurs races en remplissant que des MJCs parce que le metalhead moyen les a décidé puérils. Tellement drôle et juste. Ha ha ha ha. On rigole.
Et puis, y'a ces trucs-là, qui transcendent les barrières et prouvent à qui veut le savoir que derrière tous ces hurlements il y a bien véritable démarche artistique. Que ces kilos de blasts et cette rage ne font que cacher quelque chose de profond, un message, et que ça n'a au final rien à envier sur aucun niveau à aucun autre courant musical. L'année dernière, Gridlink a balancé cette bombe qu'est "Longhena", et qui sera également leur chant du cygne à cause de graves problèmes de santé du guitariste pivot l'empêchant désormais de se servir d'une guitare, probablement pour toujours. Et quel testament. Le groupe cassait déjà tout sur ses deux premiers albums (si on peut considérer le premier et ses 11min comme un album), affirmant un style très marqué et original, qui ne change ici pas mais se transcende tout seul. On prend simplement le Grindcore le plus pur, de l'école d'un Pig Destroyer, et on le jette dans un bouillon de créativité ne crachant sur rien et sachant incorporer une énorme dose de mélodie et de titres surprenants.
Alors oui, je parle de mélodie. Enfin vous voyez, quand même, 14 morceaux pour 21minutes, on reste dans l'expression rageuse et directe qui caractérise le genre. Mais ces mêmes quatorze titres diffèrent à un point impressionnant, nous en font voir de toutes les couleurs de manière totalement littérale et ne nous donnent qu'une envie, appuyer sur Replay encore et encore pour déjouer toutes les subtilités, pour identifier chaque passage, déterminer ce qui va où dans ce puzzle de violence bariolée et enfin le comprendre. Dès le troisième titre, c'est l'acoustique de toute beauté un poil orientalisante qui sort les violons, preuve que tout est permis, mais quand je parle de mélodie, ce n'est pas pour parler de bêtes collages entre les blasts. On a énormément de violence, de gros matraquages et des blasts méchants. Et ça hurle à pleins poumons, avec un son absolument énorme, mais les riffs sont... Autres. Totalement en marge de ce qui se fait dans le genre, bardés d'émotions, et pour une fois pas négatives. Rien qu'à écouter les sonorités de titres comme "Ketsui" ou "Constant Autumn", on retrouve un entremêlement de riffs Post-trucs et de Grind brut, pour quelque chose d'encore différent de ce qu'on pourrait appeler Post-Grind car le tout garde une efficacité expéditive propre. Ce que je dis est totalement incompréhensible, je sais, mais allez poser des mots sur un tel cocktail.
C'est par cet éventail d'idées que Gridlink réussit à tout démolir sur son passage. Même les morceaux les plus expéditifs comme ce "Stay Without Me" de 50sec regorgent d'assez de trouvailles pour contenter d'autres groupes sur la durée d'un album total. Et en 21minutes on passe par différents stades émotionnels, on prend parfois juste lourd de manière méchante mais les riffs nous portent vers la lumière (le fin de "Taibas", ou "Island Sun", qui ferment bien fort le claque merde transcendental de HHH) puis refont plonger dans l'angoisse et le stress urgent sur un titre éponyme dissonant et oppressant, pour se terminer sur trois longues minutes d'un "Look to Windward" à la fois encore plus mesuré et plus débridé, montrant toutes les facettes successives du combo dans une orgie de guitares à couper le souffle. Il y a tout. Ce Grindcore spécial et perché réussit le tour de force d'être juste touchant, riche et beau, tout en conservant tous les poncifs virulents évitant de faire la moindre erreur de classification. L'art, l'ébauche, les coups de pinceaux balancés sur une toile vierge, la création à l'état pur qui ne prend de sens que lorsqu'on observe le tout, l’œuvre finie. Et tout ça ancré dans la violence et la hargne.
On peut donc verser une larme sur l'absence de futur du groupe, sur cette fin parmi les plus frustrantes qu'on ait jamais observé dans notre musique. Que ce projet mashup USA / Japon se finisse de manière aussi triste et sèche rajoute encore un cachet supplémentaire, couplé à cet artwork cyber et énigmatique ne donnant tellement aucune info sur le genre pratiqué qu'il est on ne peut plus à propos et complet. Bref, amateurs de musiques extrêmes aventureuses et justes, ne passez tout simplement pas à coté de Gridlink, qui sert sous ses apparences trompeuses ce qui est probablement le missile le plus dévastateur de 2014, pas le plus méchant, mais le plus inoubliable de son créneau pour sûr.
Tracklist :
1 – Constant Autumn
2 – The Last Raven
3 – Thirst Watcher
4 – Stay Without Me
5 – Taibas
6 – Retract Perdition
7 – The Dodonpachi
8 – Black Prairie
9 – Island Sun
10 – Chalk Maple
11 – Wartime Execution Law 205
12 – Ketsui
13 – Longhena
14 – Look to Winward