« De la méconnaissance des génies de ce monde » ou « De l'importance du mixage d'un album » ou encore « L'autarcie guidant l'inspiration »
Il y a de ces albums que l'on ne peut apprécier sans un bagage musical conséquent. Murmuüre en est l'exemple parfait.
Il serait de bon ton de commencer par décrire rapidement le processus créatif qui se trouve derrière l'unique album de l'unique membre de Murmuüre. Le disque (de 29 minutes au total) est entièrement basé sur une improvisation d'une heure à la guitare, ajoutée de samples, de synthés, de batterie partiellement enregistrée, partiellement programmée, et de vocaux enregistrés « lors d'une transe cathartique en un lieu sacré dans la forêt, à l'aide d'un mini-disque », plus trve tu meurs. Tout ça fut ensuite édité, mixé, collé, bricolé pour finalement donner ce que l'on peut vivre à l'écoute du disque.
Bien. Nous pouvons désormais nous intéresser au résultat. Et par tous les dieux quel résultat ! Ceci mes amis, est sûrement l’œuvre musicale la plus riche, émouvante et originale sur laquelle il vous aura été donné de poser l'oreille, si vous y prêtez suffisamment attention.
Le propos de l'album est, selon moi, une image d'un cycle de vie, suggérée par les titres, mais surtout par la musique et le sentiment dégagé au cours de l'écoute. Nous avons d'abord la création de l'être, un appel suivi d'un chaos se stabilisant pour donner un corps cohérent [Primo Vere], la conciliation du corps et de l'esprit lors d'une valse (!) rituelle [Reincarnate], l'exploration et la découverte du monde nouveau [Torch Bearer], l'épanouissement de la Vie, et la beauté arborescente qui la compose [Amethyst], la réalisation du caractère éphémère de celle-ci et la force que l'on peut déployer pour la garder en soi [L'Adieu au Soleil] jusqu'à l'inévitable Mort, le grand mystère [Desincarnate].
Ce n'est bien sûr qu'une interprétation, comme il pourrait y en avoir bien d'autres. C'est d'ailleurs là une force de l'album : malgré la richesse et la densité des morceaux, une place énorme est allouée à l'imagination, de nombreuses mélodies et sonorités ne sont qu'à moitié suggérées. Tout ici n'est que texture, que l'on peut presque toucher et en deviner la forme physique lorsqu'elle imprègne notre gosier auditif.
Le meilleur moyen de se faire à cette approche est de s'allonger, éteindre le monde autour de soi et ne laisser actives que nos esgourdes. Vous pourrez visiter de grandes cathédrales, marcher à l'aube dans des forêts aux brumes denses, vous engouffrer le long de profondes cavernes où quelques filets de lumière daignent apparaître çà et là…
Maintenant que je vous ai bien pris le chou avec mes images et ressentis abstraits, on va peut-être enfin pouvoir parler musique, didiou !
Soyez prévenu d'avance, il faut l'écouter à fort fort FORT volume, ce n'est pas une question de confort ou de préférence mais une nécessité. Pourquoi ? Comme je l'ai dit, le son est DENSE, écrasé sur lui-même. C'est une masse organique bouillonnante où chaque piste se débat pour se faire entendre dans le vacarme ambiant, n'hésitant parfois pas à en avaler d'autres, ou à surgir ponctuellement par dessus le reste avant de se faire rabattre le caquet. Mais alors, comment cela peut-il être autre chose que du bruit insensé et décousu ? Je n'aurai qu'un mot : Synergie. On peut le voir comme un chaos où chaque être tente de s'emparer du reste, ça fourmille et ça grésille dans tout les sens, alors qu'en fait tout s'imbrique et se répond pour former un tableau plus grand, à la fois beau et difficile à apréhender. Comme la Vie (ça y est il repart…), tout a sa place et s'y place.
Le tout pourrait paraître effrayant, mais étrangement, le sentiment général est plus consolant qu'inquiétant. Un berceau dégueulasse mais confortable.
Pour faciliter les choses, on pourra essayer de catégoriser ses influences. Déjà, l'approche est définitivement Black Metal, un son de guitare souvent très cru, agressif, des hurlements indistincts qui peinent à remonter à la surface et un abord identitaire et DIY à la création musicale. Il n'y a ici aucune hésitation à saturer et faire cracher le son, comme s'il remontait à nos oreilles au prix d'un incalculable effort avant de replonger dans le bouillon. D'un autre côté, ça sent très fort le Dark Ambient (on notera l'absence intégrale de parties « metal » sur deux pistes) seulement moins propre. Nous sommes presque toujours enveloppés dans des nappes sourdes et autres vrombissements noiseux (noisique ? noisant ? noisatoire ? Enfin ça crache quoi !), le tout ponctué d'apparitions en semi-mélodie se répondant toutes à la fois. Je pourrais détailler quelques similitudes avec Coil, mais comme je pisse à la raie de ce dernier la citation n'est que furtive, sachez seulement que l'influence est présente.
Sinon, le monsieur derrière Murmuüre a annoncé il y a un an et demi de ça qu'il bossait sur un nouvel album depuis presque un an. Sachant que le premier opus a mis quatre ans à maturer, we'll wait and see. Mais si le résultat est aussi addictif que cette précédente sortie, l'attente n'aura pas été vaine.
Tracklist :
Primo Vere
Reincarnate
Torch Bearer
Amethyst
L'Adieu au Soleil
Desincarnate