L'édito #3 | Mars 2015
lundi 2 mars 2015Mes chers compatriotes, aujourd'hui, arrêtons le temps avec la petite télécommande invisible que l'on tient tous sans le vouloir (si ça ne fonctionne pas, changez les piles). Si j'appuie moi-même dessus, je vois des arrêts sur image nauséabonds. Des captures d'écran de pugilats virtuels verbeux. Des garçons au physique ingrat et à la peau imprégnée de leur grasse adolescence qui s'affrontent en duel pour impressionner des filles qui les regardent béates. Des coups de poing dématérialisés. Du mépris, de la haine et du désir de puissance factice. Pourtant, non, je ne vous parle pas là des commentaires sous les posts de la page Facebook d'E&R, je ne vous parle pas des débats sur Charlie Hebdo, je ne parle pas de sociologie, pas de religion, pas de morale. Cela va vous sembler stupide et peut-être ais-je effectivement sensiblement dramatisé la chose par simple dessein stylistique, mais oui, encore une fois, je parle bien de musique, de celle que l'on écoute ou pas forcément, et que l'on commente durement avec un terre-à-terre qui fait froid dans le dos. Et bien cette même musique, maintenant, on va la vivre.
Et si chaque note était un clignement des paupières, nous ouvrant à chaque mouvement à de nouveaux horizons, à un décor renaissant, et à une vie fantasmée bien que pas forcément voulue ? Pour chaque note, ce bouton "pause" dont nous parlions, un arrêt du réel, et une même question : à quoi est-ce que cela me ramène ? Jouons. Aaron, avec Artificial Animals Riding on Neverland, me ramène à un amour adolescent, indécent, à la découverte du corps, à des larmes heureuses ou acides, à une époque révolue, et à la vie qui s'arrête le temps d'un baiser innocent au Trocadéro, puis sur le quai de la gare. Vous voyez ? C'est simple. Last Days of Humanity me ramène à ces voix hurlantes que je ne parviens pas à tolérer depuis ma plus tendre enfance. À des bruits de coups, à une tentative d'exil sonore, à un baluchon, à cinquante euros dans le porte-monnaie et à des adieux brefs et très provisoires. Et oui, même eux. Viranesir me ramène à l'impossible, au monde du non-tabou, à l'excès, à la démesure, à un orient néandertal, à un faux-espoir, à des projets avortés, à des menaces et à l'indépendance créatrice. Diapsiquir me créé des tourments, Murmur les apaise, Nails me réchauffe, Darkspace me refroidit, la vie s'arrête avec Gris et reprend avec Alcest, là où la musique m'enferme avec Vomir avant de me faire émerger à nouveau avec Cynic.
Il s'agit de s'approprier la musique, de l'assimiler, de se redécouvrir en son sein, de grandir en dansant, et de forger, pas à pas, ce qui devient la bande-son de notre vie, un complément essentiel aux images qui nous hanteront toujours, qu'on le veuille ou non. D'apprendre à dire JE. Fermons les yeux, mettons une pièce, et laissons nous porter sur ces eaux incertaines où chaque vague nous emmène plus loin encore, jusqu'à ce que les berges nous rattrapent et que nous n'ayons plus que l'écume pour nous faire voyager, le temps que la réalité reprenne doucement ses droits, finissant de mettre un terme à ce moment rare où l'écoute laissait place au rêve. À nous d'apprendre à naviguer, désormais.
Et vous, c'est quoi la bande-son de votre vie ?