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A peine l’album lancé, je sens un souffle glacial envahir ma chambre. Je n’ai même pas le temps de me rendre compte de sa provenance que le riff d’intro retentit, je sens remonter un frisson le long de mon épine dorsale, faisant se hérisser mes poils sur tout mon corps. Un vent glaçant commence à m’envelopper le corps et me glace le sang. Soudain la déferlante, une tempête de neige s’abat sur moi, les flocons me fouettant le visage avec la même force que cette batterie qui explose, m’obligeant à fermer les yeux. Je tends les bras devant moi pour essayer de me protéger mais cette bourrasque de neige est trop forte, je laisse tomber un genou à terre, je commence à respirer difficilement, le froid pénétrant ma gorge et se répandant dans mes poumons m’oblige à me courber.
Puis l’intensité baisse, je peux enfin ouvrir les yeux pour me rendre compte que je ne suis plus chez moi, mes pieds sont enfoncés dans une épaisse couche de neige, ça et là des bourrasques de poudreuse se lèvent au rythme des riffs lancinants, j’essaye d’ouvrir la bouche mais aucun son ne sort. Le blizzard reprend, soudainement, je manque de me renverser en arrière mais me rattrape de justesse, je décide de me relever et d’avancer, l’immobilisme c’est la mort. Dans ma tête résonne cette musique, des vocaux emplis de détresse, des claviers déprimants soutenus par des riffs renforçant cette atmosphère de désolation et une batterie accablante, pesant de tout son poids, je ne peux que perdre espoir quand à mon avenir proche dans ce brouillard froid.
Le répit. Des chœurs d’église attirent mon oreille, je me relève, est-ce la fin ? Arriverai-je au bout de mon calvaire ? Ou serais-je déjà mort ? Non, mon corps tout entier me brûle à cause de cette température terriblement négative, me prouvant que je suis encore bien vivant et me redonne finalement espoir. Un sample de Louis- Ferdinand-Céline résonne dans ma tête, je pensais voir une éclaircie, non, ces paroles m’accablent, me font me sentir minable quant à ma situation d’être humain juste avant que le blizzard ne reparte de plus belle, plus violent encore.
Cette fois je ne peux plus tenir, ces baisses de violence ne font qu’en amener une pire encore, je tombe en avant, les mains et les genoux dans la neige, j’essaye de pleurer mais mes glandes lacrymales me donnent l’impression d’être gelées. Le calme à nouveau, je tente de me relever et regarde autour de moi une dernière fois.
Je me retrouve dans un blanc dehors, je tâtonne, j’essaye de trouver des repères, un endroit où me cacher, ou tout autre chose à laquelle me raccrocher, mais rien, la musique reprend pour s’accorder avec mon désespoir, les vocaux sont chargés d’affliction je lutte pour garder l’esprit intact malgré tout mais j’ai peur de perdre la raison tout comme j’ai peur de tomber dans une crevasse lorsque je marche perdu dans le grand froid.
Soudain plus rien.
La musique reprend, calme et douceâtre après ce déferlement de violence froide et implacable 20 minutes durant. Ici on a l’après tempête, tout est calme, je peux enfin contempler le paysage pour apercevoir à perte de vue des montagnes aux neiges éternelles recouvertes par une épaisse poudreuse et autres lacs gelés. Mais le froid continue à me mordre les os alors que je me sens seul, terriblement seul. Juste cette température polaire pour m’accompagner.
Cette solitude pousse indéniablement à la réflexion : et j’essaye de comprendre ce qui s’est passé, d’abord le titre de cet album, 1994, ça veut dire quoi ? Historiquement c’est une grande année pour le Black Metal, c’est là que sortirent les meilleurs albums des grands groupes de Black Metal norvégien dont les spectres glaciales planent ici. On peut sentir l’ambiance malfaisante des Mayhem et Burzum de l’époque, un certain coté pompeux caractéristique d’Emperor dans les voix claires de Glaciation et la violence inhérente à cette période et à ce style. On pourrait donc penser que l’on a affaire à une sorte d’hommage à cette période.
Mais il n’y a pas que ça, ce titre qui résonne pendant que je marche dans la neige n’a rien à voir, il montre une réelle scission face A / face B avec le précèdent bloc - rendant tout simplement impossible la transposition sur CD, support analogique ou autre, retour au BM du début 90, il n’y a pas de hasard – de par son rythme, beaucoup plus lent,sa structure : composé uniquement avec de la guitare sèche, des samples et cette voix. Or ce genre de voix miauleuse à la Alcest n’a pour moi rien de Black Metal.
Seulement, qu’est-ce que le Black Metal ? C’est avant tout une histoire d’ambiance, de ressenti, et ici nous avons affaire à un morceau qui, comme le reste de l’album, m’a fait voyagé. J’ai rarement été transporté si loin, si durement à l’écoute d’un album et ce titre y contribue fortement ! Là où d’autres groupes se contentent de ressortir une resucée de ce qui a fait leur légende sans réussir à mettre la main sur ce qui a rendu leur musique si magique, ici nous avons un groupe sorti de nulle part qui peut vous faire mourir de froid à l’écoute de leur art.
Au final Eus (Notre rechute) serait-il là aussi pour emmerder les metalleux bornés ? Depuis qu’il est devenu une blague, l’ultime hommage au Black Metal ne serait-il pas de lui faire un doigt d’honneur ? Là où nombre de groupes s’essayent à la provocation, de par des roulages de pelles sur scène ou autre clip façon BB Brunes, en général le soufflet retombe vite à cause d’une musique bien en deçà de la qualité requise. Ici ce n'est pas le cas, tout est maîtrisé, des compositions sans failles à tout ce qui entoure le groupe, à commencer par son entité et le mystère sur les membres qui le composent.
Car le Black Metal ce n’est pas que ça. C’est une éthique, et à l’heure d’internet où les misanthropes en carton y vont chacun de leur facebook, un groupe qui s’essaye à un certain niveau de professionnalisme, (on ne parle pas ici d’un one man band de merde qui ne sortira jamais de sa cave) et qui refuse de dévoiler le moindre indice quant à son line up nous offre une certaine fraîcheur, rendant ce style à un certain état de pureté, comme cet épais manteau blanc qui m’entoure.
Après 10 minutes, la musique s’arrête, je suis à nouveau transporté et me retrouve enfin chez moi, mes oreilles en feu et mes joues endolories étant le témoignage de ce voyage enneigé. Où serait-ce simplement dû à la puissance des compos et de la baffe que je viens de me prendre ?
1. Glaciation
2. 1994
3. Eus (Notre Rechute)