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Nous avions laissé Steven Wilson perdu dans le vide et l’absence de matérialité suite à un premier effort solo effroyable de noirceur et de minimalisme, négativiste dans sa beauté et pessimiste dans son absence de violence. "Insurgentes" était un sommet, peut-être même le sommet infranchissable d’une œuvre d’art complète et cohérente, celle où l’homme n’est plus en relation étroite avec l’œuvre mais où chacun ne fait plus qu’un avec l’autre.
Loin du monde de cauchemar qu’une telle noirceur pourrait suggérer, "Insurgentes" se complaisant dans une latence, un immobilisme et une torpeur lancinante à glacer le sang, qui nous laissait sombrer…sombrer profondément dans les méandres d’un monde où l’espoir n’a plus cours, et où la résistance est si futile qu’elle n’est même pas entamée. "Insurgentes" est un froid emplie de vide et de solitude, des expérimentations sonores rendant le malaise encore plus grand, et votre vie plus futile encore…
"Insurgentes" était une œuvre littéralement plus extrême dans le fond que les précédents Blackfield et Porcupine Tree, et c’est probablement cet extrême qui fit de "The Incident", l’opus suivant de Porcupine, fut une réelle et sincère désillusion autant qu’une profonde déception. La simplicité d’accès, la fausse prétention conceptuelle d’un album musicalement simpliste ne fit qu’alimenter encore plus une suspicion qui plaçait "Insurgentes" comme une œuvre solo indépassable et qui resterait peut-être seule et unique.
A l’heure de "Grace for Drowning", concept tout autant ambitieux sous son propre nom, Steven Wilson est attendu par une troupe d’auditeurs en émoi. Un packaging magnifique mettant en scène un artwork des plus mystérieux, et moins explicite que le précédent, tout en étant tout aussi non-conventionnelle. Deux disques, douze morceaux, quatre-vingt-cinq minutes au compteur avec en point d’orgue une composition magistrale de vingt-trois minutes. La simplicité d’accès semble avoir été remisée au placard une fois de plus…
Le titre éponyme et "Sectarian", deux morceaux instrumentaux, ouvrent l’album dans une sphère opaque et très progressive comme Steven Wilson nous a longtemps habitué, mais dans une dimension plus ésotérique qu’à l’accoutumé. Le britannique, une fois encore, fait presque tout sur cet album, tout en déléguant à des musiciens de sessions les autres instruments, dont un Jordan Rudess participant beaucoup plus ici que sur le premier album. "Sectarium" place déjà l’auditeur entre plusieurs émotions convergentes mais étonnamment contradictoires, que ce soit la rugosité de certaines rythmiques, même joués en clean, dans la folie absolutrice mais malsaine d’un saxophone venant apporter une touche d’insanité à l’atmosphère où les claviers ésotériques et songeurs, propres au questionnement et au mysticisme, mais sans ce degré de non-existence si troublant d’un morceau comme "Abandoner" ou "Verano para las Hadas".
"Defor to Form a Star" laisse planer pour la première fois le spectre vocal de Wilson, dans des horizons relativement connus de l’auditeur, très éthéré et proche de ce qu’il avait pu nous offrir sur son premier volet solo, bercé par une macabre mélancolie plus qu’une profonde dépression. Le désespoir s’efface au profit d’une certaine expectative, d’un doute, d’une réflexion poétique, à l’instar de ces flutes qui apparaissent au détour d’une ligne de piano à la pureté troublante. Les mélodies vocales, très belles, évoquent inéluctablement ce qu’il a fait récemment avec Porcupine Tree, une légère surprise en moins.
"No Part of Me" dérange déjà plus l’auditeur, le plongeant dans un monde contradictoire où les synthétiseurs contrebalancent avec la froideur glacée de samples frissonnants, avant que Steven ne pose une voix angélique, simplement belle, sur cette musicalité décharnée et pourtant tellement évocatrice et travaillée, à l’atmosphère aussi angoissante que magnifiquement belle. Des riffs plus lourds, progressifs et tordus font progressivement (en toute logique) leur apparition pour densifier un spectre devenant par la même occasion moins accessible et moins accueillant, plus dément presque, puisque un solo très saturé déchire une atmosphère devenant étouffante. Néanmoins, c’est avec "Remainder the Black Dog" que l’on retrouve réellement le Wilson du précédent "Insurgentes", et amenant au second disque. Car jusque ici, la surprise n’était souvent que partielle, l’expérimentation réduit au plus bas, et surtout la noirceur très parsemée, ombrée. Cette ultime composition du premier disque offre un panorama bien moins exaltant, le chant passant au vocodeur, la mélodie centrale se voulant bien plus glauque et surtout, les nappes de claviers refaisant leur apparition par l’intermédiaire d’éléments drone opaques et indéfinissables. Le chant perd de son humanisation, de sa chaleur pour accompagner un ensemble plus hostile émotionnellement, mais sans encore être foncièrement agressif. Nous sommes dans le suggéré, le non-dit, la subjectivité…des hurlements bestiaux viendraient arracher le voile sonore que nous ne serions pas surpris…mais c’est encore un saxophone qui nous rend visite, ne rendant que plus précaire notre équilibre émotionnel, notamment avec le solo de clavier qui suit et son riff très agressif digne d’un Dream Theater.
C’est dans cette ambiance peu accueillante que le second disque s’ouvre, et viendra étaler sa noirceur et sa créativité et que l’on pensait quelque peu éteinte vis-à-vis de ce que nous avions écouté précédemment, excellent mais sans vraie surprise, et restant trop proche de ce que cet artiste si complet nous avait déjà composé. "Index" nous plonge dans les profondeurs de son psyché torturé et malade et, en support d’un clip exceptionnellement beau et malfaisant, dévoile le malaise selon Wilson. Une boite à rythme glaciale, quelques notes de claviers cybernétiques et une latence sonore, presque imperceptible, évoquant l’espace et le vide et cette voix…cette narration glaçante, sans âme, mécanique et violente dans son absence d’émotion, qui nous assaille et nous glace car sans ton, sans perception, sans parti pris…à l’égal de celle d’un mort. Une progression rigoureusement identique, métronomique…puis une légère explosion, une voix encore plus spatiale et quelques errements rythmiques avant une explosion de sonorités drone à couper le souffle, au spectre sonore immense et flou, opaque mais si clair, compréhensible dans leur propre incompréhension. Sans aucun doute l’une des compositions les plus marquantes de ce "Grace for Drowning"…
"Track One" s’ouvre ensuite sur une douce litanie acoustique, presque une prière, dans une ambiance froide et hivernale, partagé entre mélancolie et dépression. Puis, à l’instar d’"Abandoner", les ambiances drone reprennent le dessus pour assommer un auditeur dans une noirceur innommable, un effluve de sonorités graves et anti-mélodiques qui ne forment même plus de mélodies, mais un condensé magmatiques de sons inorganisés et propre au malaise, où la batterie reste seule pour former une structure un tant soit peu connu.
Puis vint le temps des montagnes…"Raider II"…vingt-trois minutes. Nous n’avions pas entendu ça depuis "Anesthetize", et la direction prise ici est bien différente. Une partition d’orgue nous plonge dès les premiers instants dans une ambiance solennelle, lourde, pleine de reproche et de religiosité…proche du sacré…Steven se fait tout aussi obscur que sur les précédents morceaux de ce second volet, au bord du gouffre, susurrant, soufflant ses mots, sifflotant des tessitures de voix désespérément faibles, proche de la fin…un premier riff, très prog dans l’âme se fait entendre, ponctué par des chœurs angéliques et une intonation de voix plus tranchante, plus belliqueuse et négative. Les guitares ne sont que des pulsations monolithiques et sombres, les claviers abreuvent l’atmosphère de multiples éléments paradoxaux selon notre volonté d’écoute (que ce soit les éléments drone ou saturés, ou à l’inverse les carillons ou les sonorités de flute plus doucereux) et le chant évolue comme évolue la vie d’un homme, d’une situation. On retiendra également un riff à l’orée des huit minutes bien plus tortueux et brut que le reste, conférant une sensation de violence et de complexité pendant quelques fugaces instants avant de plonger dans un univers presque ambiant pendant de longues et suffocantes minutes, avant de redevenir plus typique (bien grand mot) d’un morceau progressif, avec un final digne des films d’horreur ou d’ambiance de très haute volée.
« Pour moi, un album ne devrait pas dépasser 45 minutes. C’est pourquoi je déconseille fortement quelqu’un ne me connaissant pas d’apprendre à me connaître avec "Grace for Drowning" ».
Voici les mots de Steven Wilson récemment accordé à propos de son nouveau monstre…et de l’accessibilité, il en est clairement dépourvu. Complexe, fouillé, très dense et long, sombre et partagé entre mélodies à la sublime pureté et son absence totale, "Grace for Drowning" est une œuvre complète et avant-gardiste qui a besoin de temps pour se faire comprendre et accepter. Et si nous pourrons reprocher une certaine simplicité de composition lors du premier disque, parsemé de formules déjà utilisées par le britannique, nous ne pourrons que nous baisser bien bas face à la relative perfection du second disque. En étant moins marquant qu’"Insurgentes", ce second opus est pourtant plus accompli et personnel…un dyptique important qui, si ce n’est déjà fait, marquera un tournant dans son œuvre. Gageons que l’avenir, s’écrira également teinté d’opacité…
DISC 1 - DEFORM TO FORM A STAR
1. Grace for Drowning
2. Sectarian
3. Deform to Form a Star
4. No Part of Me
5. Postcard
6. Raider Prelude
7. Remainder the Black Dog
DISC 2 - LIKE DUST I HAVE CLEARED FROM MY EYE
1. Belle de Jour
2. Index
3. Track One
4. Raider II
5. Like Dust I Have Cleared from My Eye