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Album

27 mars 2025 - Di Sab

Deafheaven

Lonely People With Power

LabelRoadrunner Records
styleBlackgaze
formatAlbum
paysU.S.A
sortiemars 2025
La note de
Di Sab
9/10


Di Sab

Hollywood est une usine à rêves et un charnier à ciel ouvert. Cette dualité entre les mirages proposés par l’industrie californienne, boursouflure du rêve américain national, et la morbidité de la réalité a été le sujet de certaines œuvres majeures : Sunset Boulevard et Mulholland Drive en premier lieu mais aussi Sunbather. Illustration de l’impossible convergence entre les nantis de Californie et les accros aux opioïdes condamnés à les observer et les jalouser. Événement incontestable du metal extrême moderne qui a redéfini une partie du public black metal et a, dans une moindre mesure, favorisé le revival du shoegaze, l’émergence de Deafheaven a autant été vu comme une hérésie que comme une modernisation nécessaire d’un style qui avait besoin de s’hybrider pour rester pertinent.

Et depuis, chaque album avait en lui quelque chose de particulier, une sorte de couleur, d’identité. Sunbather possédait ses grands aplats de post rock lumineux, la radicalité de New Bermuda n’enviait rien aux albums de metal extrême traditionnels tandis qu’Ordinary Corrupt Human Love portait en lui une forme de naïveté adolescente qu’on aurait pu retrouver dans un album de rock indé. Et après avoir poli leur blackgaze, le très dreampop Infinite Granite laissait penser que Deafheaven quitterait définitivement les contrées du metal. Que tout avait été dit et que McCoy poursuivrait ses explorations sonores le regard tourné vers les possibilités offertes par le rock indépendant ou par les synthétiseurs.

Mais pour la première fois, Deafheaven ne poursuit pas de manière aussi radicale ses expérimentation. Avec Lonely People With Power, le groupe propose une synthèse absolument magistrale de ce qui a fait son prestige. On retrouve ce mélange parfait entre la mélancolie cotonneuse apportée par les éléments post rock et shoegaze, le riffing purement black metal de Sunbather, et les espèces de purs éclats de beauté qui apparaissent au cours de l’album de manière totalement épiphanique et laissent l’auditeur béat et vide. Je vais vous épargner une lecture un peu technique de quel plan rappelle quelle époque. Il est à noter qu’en plus du retour à la dimension heavy de leur musique, Deafheaven a quand même remobilisé des éléments acquis avec Infinite Granite : la très dream pop intro de « Heathen » en est l’exemple même. Il serait cependant injuste de dire que Lonely People With Power ne constituerait qu’une magnifique stagnation. Après avoir flirté avec le shoegaze, le post rock et la dream pop, c’est au tour du post punk d’être assimilé dans le blend des californiens. « Body Behaviour » est, pour moi, le titre le plus accrocheur de l’album et un des tous meilleurs de la discographie du groupe. Intelligent dialogue entre cette basse martiale et l’identité sonore du groupe complété par une prise de risque vocale par Clarke que je trouve particulièrement réussie. Le fait de le proposer lors d’un seul titre peut s’avérer frustrant mais donne également à « Body Position » un statut réellement unique au sein de l’album.

Globalement sans temps faible, il conviendrait tout de même, par pure honnêteté intellectuelle, de mentionner une limite identifiée. Le groupe pêche parfois par excès d’orgueil et les quelques titres longs sont, à mon sens, pas les plus réussis de l’album. On peut assez vite sentir quelquefois la volonté de se dépasser, de proposer des titres complexes, à tiroir et ceux-là fonctionnent sans tenir l’intégralité de leurs promesses. Je pense notamment à « Amethyst » qui est pensé comme la colonne vertébrale de l’abum : le titre le plus long de l’album placé en son centre. A l’inverse, ce sont les pistes les plus directes qui marquent le plus : « Body Behaviour », « Magnolia », « Heathen » et surtout « Revelator » qui est la digne héritière de « Black Brick » avec ses riffs très lisibles et ses breaks. Les trois interludes (dont celui avec Boy Harsher) ne sont pas d’une nécessité absolue bien qu’elles contribuent à renforcer la dimension narrative de l’œuvre.

En interview, George Clarke a déclaré qu’ils faisaient, en général, les choses pour eux, mais que cette fois-ci, Lonely People With Power était également pensé pour nous. Et cela se ressent. Cependant, considérant que pour la première fois, le groupe synthétise ses magnifiques acquis, il ne sera pas en mesure de faire changer d’avis celles et ceux qui n’apprécient pas tel ou tel aspect de la musique du quintet.

D’une beauté vénéneuse à l’instar de sa pochette, Lonely People With Power n’a pour seul défaut que d’avoir des prédécesseurs. Deafheaven est au sommet de son art et, pour la première fois de sa carrière, décide de proposer une synthèse de ce qui a fait son prestige plutôt que de repousser les limites de son spectre musical. Album à mettre dans toutes les mains des personnes d'ores et déjà convaincues, il continuera de laisser indifférents celles et ceux qui ne voient en Deafheaven qu’une fraude à destination de gens prêts à payer plus de 3 euros un café.

 

Tracklist :

1. Incidental I" 
2. Doberman"  
3. Magnolia        4:14
4. The Garden Route
5. Heathen
6. Amethyst
7. Incidental II" (featuring Jae Matthews)
8. Revelator
9. Body Behavior
10. Incidental III (featuring Paul Banks)
11. Winona
12. The Marvelous Orange Tree

 

 

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