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mercredi 26 mars 2025

Iskandr + Fluisteraars + Alkerdeel @Gand

De Vooruit (Viernulvier) - Gand

Hugo

Des plateaux comme celui-ci, c’est malheureusement devenu assez rare. En tout cas, dès qu’on s’éloigne du Roadburn, les soirées black metal autour d’une scène en particulier ou d’un label, comme les tournées de Ván Records et du Black Twilight Circle à la grande époque, me semblent être devenues très exceptionnelles. En ce samedi 22 mars, on retrouve donc Fluisteraars, groupe curateur de la soirée, aux côtés du projet-frère Iskandr, et des plus mystérieux Alkerdeel, qui jouissent néanmoins d’une excellente réputation dans l’underground local.

Cet underground local, c’est celui de la ville de Gand, en Flandre Orientale, ce soir au cœur du très beau centre d’art Viernulvier, et sa magnifique salle de concert (De Vooruit), ancien cinéma avec ses peintures murales et ornements, bien loin des lieux habituels de concerts black metal. Pour une soirée aussi singulière il fallait bien une salle à la hauteur, afin de célébrer en même temps le passage de l’hiver au printemps. Une saison qui colle plutôt bien à la musique de Fluisteraars, c’est l’évidence-même, et dans une moindre mesure à celle des autres groupes présents ce soir, dans toute leur singularité, qui perpétuent un héritage black metal traditionnel autant qu’ils s’en démarquent.  

Iskandr

Iskandr est l’une des émanations du label Haeresis Noviomagi, structure locomotive pour la nouvelle scène black metal néerlandaise.Entre 2018 et 2020, pour la grande période du label, les excellentes sorties se multiplient autour de projets comme Solar Temple, Turia, Lubbert Das… et Iskandr, donc. À la tête de ce dernier, on retrouve Omar K., par ailleurs membre de chacun des groupes précédemment mentionnés, et de tant d’autres tout à fait recommandables. On vous laisse faire le digging de votre côté, car si ce label s’est un peu essoufflé entre temps, chaque projet évoluant désormais plus ou moins de son côté, il laisse derrière lui des dizaines de disques qui comptent parmi les plus intéressants de la scène actuelle.

De surcroît, Iskandr est un projet protéiforme, mais qui a débuté avec un black metal froid (Euprosopon, à jamais dans mon cœur) qui évoque autant les scènes d’Europe du Nord que de nombreux projets américains autour de Yellow Eyes et Ash Borer. Aujourd’hui, la musique du groupe est bien différente et en dehors du metal, à l’image de l’évolution d’un Solar Temple, ayant aussi débuté avec un black metal atmosphérique sans concession et qui s’incarne aujourd’hui dans un mélange d’ambient, de musique électronique et de rock psychédélique. L’album Spiritus Sylvestris (2023) est l’aboutissement de cette évolution d’Iskandr, en germe dans les disques précédents, qui a conquis un nouveau public, pouvant aller des fans de Jay Jayle, à Swans et Midwife.

Finalement, et c’est particulièrement le cas ce soir en concert, cette évolution du groupe agglomère pas mal de choses différentes. Les instrumentations en fond rappellent assez ce qui se fait dans la scène neofolk actuelle, Of The Wand & The Moon en tête, alors que le chant part souvent vers quelque chose de beaucoup plus incantatoire. En fait, le set est loin d’être monochrome, évoluant d’une base folk/rock électrique et gothique vers des passages presque ritual ambient, de plutôt haut niveau. L’un des meilleurs moments du concert, selon-moi, c’est quand Omar se retrouve seul en scène avec sa trompette, jouant sur un fond de field recording d’animaux et de la nature – c’est beau, sans en faire des caisses. Petit bémol à mes yeux : il n’y a personne aux percussions ce soir, seulement une guitare et une contrebasse avec la boîte à rythme, donnant par moment un rendu coldwave un peu étrange aux morceaux.

Alors je l’avoue, je suis très attaché aux premières versions du projet, et moins à la suite et au dernier album. Néanmoins, Iskandr reste un groupe parfaitement singulier, d’un bout à l’autre de sa discographie, et il paraît impossible de ne pas tomber sous le charme de son incarnation live actuelle.

 

Fluisteraars

La tête d’affiche de ce soir est incontestablement Fluisteraars. Déjà, car il s’agit du seul concert du groupe en 2025, et de son septième en tout (!) depuis sa création en 2009, et de son premier en salle hors festival. Tout un programme, donc, pour un groupe, très productif par ailleurs, qui s’est progressivement imposé comme un élément incontournable du black metal moderne. Aussi, Fluisteraars fait le lien entre différentes scènes représentées ce soir : ayant toujours gravité autour des membres d’Haeresis Noviomagi, le musicien Mink Koops étant impliqué dans plusieurs projets (on retrouve également Omar d’Iskandr dans le lineup live), le groupe a aussi une forte proximité artistique (et géographique) avec des projets comme Alkerdeel

Il s’agit aussi d’évaluer le succès de Fluisteraars en plusieurs temps. Après plusieurs démos relativement confidentielles, le groupe signe chez Eisenwald, produit plusieurs LPs, avant de sortir le magnifique split De oord (2018) aux côtés de Turia. Le prochain album du groupe, Bloem (2020), termine de convaincre les amateurs du genre, montrant tout ce dont le groupe est capable : un black metal aux ambiances printanières et romantiques, subtilement teinté d’influences mélodiques et pagan. Aucune faute de goût, et 33 minutes qu’on se repasse en boucle, devenu pour beaucoup l’un des disques du confinement. Le groupe ne s’est pas arrêté depuis, multipliant les sorties longues et courtes, comme la série des EPs De kronieken van het verdwenen kasteel, dont le troisième volume est en vente ce soir en exclusivité en attendant sa sortie le 4 avril – un extrait du disque sera d’ailleurs joué durant le concert.

Du reste, le constat est le même qu’à Bourlon il y a quelques mois : le groupe est impeccable en concert, donnant l’impression d’années de tournée et d’expérience. Bob Mollema, le chanteur (et par ailleurs illustrateur – il a créé l’affiche du concert), a une palette vocale proprement hallucinante qu’il tient sans souci en live, bien que la voix soit un peu trop présente dans le mix au début, et à mon sens un peu noyée dans la reverb. C'est malheureusement souvent le cas avec les concerts black metal. Côté musiciens, c’est en place comme jamais, sans aucune fausse note. Avec deux morceaux en plus qu’à Bourlon, la setlist fait la part belle aux différentes sorties du groupe, avec des pics d’intensité lors des essentiels « Nasleep », et sa deuxième partie absolument magnifique, lumineuse, et « Verscheuring in de schemering », pièce maîtresse de vingt minutes, bon condensé de ce dont le groupe est capable.

Me concernant, il est rare que je sois happé aussi longtemps (1h15 !) par un concert de metal. Fluisteraars prouve alors plusieurs choses. D’abord, la richesse de son répertoire, et toute la sincérité, la passion avec laquelle il est interprété. Ensuite, que le groupe a tout d’une tête d’affiche underground, ses sets étant purement impeccables bien que rares – les musiciens privilégiant les phases de composition aux tournées en grande pompe, ce qui se défend parfaitement. Seul regret, et même si le son est meilleur ce soir qu’à Bourlon, je constate qu’on perd quand même pas mal des subtilités qui caractérisent la musique de Fluisteraars, notamment avec une batterie qui prend un peu trop de place durant les passages les plus intenses. Rien de catastrophique cependant, cela renforce même l’envie de (re)voir le groupe au plus vite, et toujours dans de meilleures conditions.

 

Alkerdeel

Je ne vous le cache pas, Alkerdeel est le groupe que je connais le moins au sein du lineup de ce soir. En effet, je connais surtout son dernier album Slonk (2021), qui m’avait tout de suite intrigué avec son artwork représentant un lièvre (ou en tout cas un genre de lapin). Sur des critères extra-musicaux, au niveau des thématiques, de l’attitude et de l’esthétique globale, je retrouve pas mal de ce qui fait le sel de cette scène expérimentale flamande avec des groupes comme Lugubrum. Musicalement, les deux formations sont très différentes, mais ont en commun ce côté ultra singulier en même temps qu’opaque, hermétique, récompensant l’auditeur qui aura la curiosité de se plonger dans leur musique. La musique d’Alkerdeel, à ce sujet, c’est un genre de black atmosphérique auquel on accole pas mal d’influences sludge, doom, formant un tout assez déroutant et parfois dissonant.

Forcément, ça tranche avec les passages les plus lumineux et nostalgiques d’Iskandr et Fluisteraars, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose en clôture de soirée. Le set est d’ailleurs franchement carré, et les membres semblent habités par la musique qu’ils jouent. Celle-ci me semble d’abord moins marécageuse et vaporeuse que sur album, et plus directement frontale, parfois ultra intense et rapide. Mais quand le set évolue vers quelque chose de presque drone, vers le milieu, je repense à certains groupes comme Burning Witch (ex-projet de Stephen O’Malley), qui ne doivent pas être complètement étrangers à Alkerdeel. C’est là aussi le signe des groupes les plus intéressants : réussir, par la seule intensité de la performance à captiver un auditoire entier, malgré toute la singularité de sa musique.

Malheureusement, on manque la toute fin du set, les trains pour rentrer à Bruxelles s’arrêtant avant minuit. J’ai néanmoins hâte de revoir Alkerdeel sans être pressé par le temps, car ce set était peut-être la clé de compréhension qu’il me manquait pour apprécier pleinement la musique du groupe. Ce, d’autant plus qu’on a vraiment affaire à des vétérans de la scène belge, passés par tout un tas de formations grindcore, death et black, et qui n’ont pas l’air décidés à s’arrêter de sitôt. Tant mieux !

 

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Merci aux groupes, à l’équipe du centre d’art Viernulvier pour l’accréditation, ainsi qu’à Romain Ballez/Musiczine pour les photos !