
L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.
Avantasia a une place particulière dans mon cœur. Le projet de Tobias Sammett a sorti en 2008 l'un des albums que j'ai le plus poncés dans ma vie : le culte The Scarecrow, bien naturellement présent dans la sélection d'albums ayant marqué mes 16 ans (à relire ici). Et au fil des albums, je dois énormément à Sammett et Avantasia : ça peut paraître fou, mais c'est sur « Shelter from the Rain » que j'ai découvert la voix de Michael Kiske, sur « Reach out for the Light » (The Metal Opera) que j'ai entendu pour la première fois les montées angéliques d'André Matos (Angra). Je découvrais les géants du power metal par la porte de derrière, et au vu de l'ampleur prise par Avantasia au fil des années, je ne dois pas être le seul à pouvoir sincèrement remercier Tobias Sammett pour ce travail éducatif.
À chaque annonce d'un nouvel album, c'était la même excitation : quels invités le chef d'orchestre allemand allait-il bien pouvoir sortir de son chapeau ? La liste commençait à être impressionnante : Russell Allen (Symphony X), Klaus Meine (Scorpions), Jon Oliva (Savatage), Biff Byford (Saxon), Ronnie Atkins (Pretty Maids), Marko Hietala (Nightwish), Sharon den Adel (Within Temptation), Geoff Tate (Queensrÿche) ou encore récemment Hansi Kürsch (Blind Guardian) ou Mille Petrozza (Kreator). Un véritable who's who du heavy, du power et des musiques symphoniques, sans même parler des « réguliers » tels que Kiske, Jorn Lande et Bob Catley (Magnum).
Mieux encore : à lui seul, avec Avantasia, Tobias Sammett a réalisé des miracles. On se rappelle ainsi que Michael Kiske avait totalement laissé le metal derrière lui, privilégiant une musique bien plus AOR-FM qui oscillait entre le très bon et l'anecdotique. Par amitié envers Sammett, le légendaire vocaliste de Helloween est revenu à ses premières amours, a retrouvé à la fois sa voix et sa voie, jusqu'à former Unisonic avec son pote et compère Kai Hansen pour enfin réintégrer Helloween en 2017. Et Avantasia a joué un rôle crucial dans cette réunion. Bob Catley, chanteur de Magnum, a quant à lui été de presque chaque tournée d'Avantasia depuis les débuts : nul doute que l'été indien qu'a connu Magnum, l'un des groupes les plus classes de la scène hard rock actif depuis les 70s, doit au moins un peu à ce jeune public ayant découvert la voix chaude du père Catley sur album et sur scène. À titre personnel, je pense même que Geoff Tate, (ex) chanteur de Queensrÿche et l'un des meilleurs de sa génération, a été en bonne partie « sauvé » par sa participation à Ghostlights en 2016 : lui qui était en perdition a paru revigoré par sa tournée en compagnie d'Avantasia, forcé de travailler dur pour se hisser au niveau du reste du casting – et il en était encore capable. Depuis, Tate rejoue quasi-exclusivement du Queensrÿche old-school en live et le fait à un niveau qui fait passer le « vrai » Queensrÿche pour un cover-band.
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Bref : une dernière fois – merci Tobias. Mais ce qui devait arriver arriva : on a l'impression avec ce Here Be Dragons, 10e album studio d'Avantasia, que le Metal Opera est proche de tirer le rideau. A Paranormal Evening with the Moonflower Society (2022) accusait déjà sérieusement le coup, mais se rattrapait in extremis grâce à un panel d'invités toujours capables de faire le job (les inénarrables Jorn et Michael Kiske, bien sûr, mais aussi Floor Jansen – Nightwish – et Ralf Scheepers – Primal Fear). Cette fois, le line-up bat franchement de l'aile. Les nouveaux venus, Tommy Karevik (Kamelot), Kenny Leckremo (H.E.A.T.) et Adrienne Cowan (Seven Spires, dont je n'avais jamais entendu parler) sont des vocalistes de haut vol, là n'est pas la question, mais l'effet « waow » est désespérément absent : cette fois, Tobias Sammett a paru estimer qu'Avantasia se suffisait à lui-même et n'avait plus besoin d'attirer de nom ronflant. Il a donc privilégié des artistes... disponibles pour le suivre en tournée, ce que ne sont plus certains routiniers du projet depuis un petit temps maintenant. Pourtant, par le passé, ça ne l'avait pas arrêté – non, Avantasia n'a jamais tourné avec Alice Cooper, Klaus Meine ou Biff Byford...
Cela dit, le plus important n'est pas tant le panel d'invités que de savoir faire chanter tout ce beau monde, et c'est bien là que le bât blesse solidement. Voilà un paquet d'albums que Sammett est, il faut le dire, le plus mauvais vocaliste d'Avantasia, mais son ego l'a cette fois poussé à ne laisser que portion congrue à ses guests. On a pris l'habitude que l'album soit lancé par un titre « solo », mais « Creepshow » sonne carrément comme du Edguy, bien trop « goofy » et second degré pour du Avantasia pur jus. Il faut attendre cinq bonnes minutes d'album pour entendre Geoff Tate débarquer sur un « Here be Dragons » qui fait partie des 9 pires minutes jamais composées par Tobias Sammett : une soupe sans queue ni tête, mal chantée qui plus est (cette montée dans les aigus digne de Vince Neil...). Fort heureusement, l'album touche le fond dès le deuxième titre et remonte sensiblement par la suite, sans jamais sortir la tête de l'eau pour autant. Le souci étant que chaque titre donne l'impression d'avoir déjà été fait, mais en mieux : Michael Kiske sonne nettement moins bien sur « The Moorlands at Twilight » que sur « Shelter from the Rain » (The Scarecrow) ou « Where Clock Hands Freeze » (Mystery of Time), Ronnie Atkins n'impressionne plus autant sur « Phantasmagoria » que sur « Invoke the Machine » (Mystery of Time). Bien sûr, la classe immuable de Bob Catley fait de la ballade « Bring on the Night » un beau moment lors duquel Sammett s'efface enfin, tout comme sur le très sombre et créatif « The Witch » où Tommy Karevik brille réellement et qui est probablement le meilleur titre de Here Be Dragons. On sera bien en peine, cependant, de retenir un vrai morceau de bravoure comme Avantasia avait su en offrir : les échanges vocaux hallucinants de « Stargazers » (Angel of Babylon) ou « Let the Storm Descend Upon You » (Ghostlights) sont loin.
Bref : de très, très loin, Avantasia vient de sortir son pire album, dont on ne retiendra que de brefs moments tirés du néant par des invités qui font ce qu'ils peuvent avec ce que leur fournit un Monsieur Loyal en perdition. Et sans Jorn Lande, Michael Kiske, Oliver Hartmann, Geoff Tate ou encore Amanda Sommerville en live, on est en droit de se demander combien de temps la machine gardera un peu d'inertie sur scène avant de s'arrêter pour de bon. Quand ce sera le cas, il sera toujours temps de ressortir Edguy du placard...
Tracklist :
1. Creepshow
2. Here be Dragons
3. The Moorlands at Twilight
4. The Witch
5. Phantasmagoria
6. Bring on the Night
7. Unleash the Kraken
8. Avalon
9. Against the Wind
10. Everybody's Here Until the End