
Punkach' renégat hellénophile.
Avec Lupercalia, sorti en 2015, Selvans arrivait à point pour apporter au black metal atmosphérique – qui avait le vent en poupe à l'époque – une esthétique et des sonorités inspirées d'un certain aspect plus sombre, plus glauque, du folklore italien. J'avais apprécié la saveur bien particulière de ce premier album, ainsi d'ailleurs que la performance habitée du chanteur éponyme sur scène. Par la suite, le split de Selvans avec Downfall of Nur avait su me plonger dans les limbes d'un autre âge, puis le deuxième album Faunalia avait apporté quelque chose de plus baroque, comme une fête de village sur le point de vraiment mal tourner. Mais je dois admettre qu'ensuite, j'ai un peu décroché des sorties du loupoïde qui hante l'Ombrie. Jusqu'à ce que je finisse par tendre une oreille vers ce Saturnalia.
Il faut préciser que Selvans Haruspex, le compositeur, s'était engagé à n’enregistrer que quatre sorties sous ce nom ; il estimait qu'après, tout serait dit. Et si on compte le gros EP Dark Italian Art, le voilà, l'album final. Mais quel album !
Alors déjà, il faut oublier tout cadre de référence inscrit dans le black metal, et toute allégeance à l'une ou l'autre orthodoxie musicale. Non, avec Saturnalia, Luca Del Re / Selvans fait éclater tous les carcans qui pourraient retenir sa musique, dans une grande explosion baroque qui correspond somme toute très bien à cet acteur de théâtre au civil. Si ses soli font de « Il Mio Maleficio V'incalzerà! » une sorte de performance heavy horrifique enrichie de growls, c'est avec « Madre dei Tormenti » que l'album se révèle dans toute sa grandiloquence – celle de l'orchestre de soixante musiciens et solistes qui accompagnent le groupe sur l'enregistrement, car apparemment rien n'est trop beau, rien n'est trop grand, quand un Italien veut chanter sa magie noire.
Entièrement chanté dans la langue de la péninsule, ce qui renforce l'immersion, Saturnalia est un véritable OVNI musical, et pas dans le sens d'un album qui ne saurait pas trop où il irait. Non, en 38 minutes à peine, Luca Del Re nous offre une œuvre théâtrale, malsaine, mais cohérente, un opéra de heavy metal bâtard et fier, qui puise dans une hérédité qui plonge à la fois dans le shock rock des 70's, le protoblack et les prémices du metal extrême, et puis surtout toute cette galaxie Giallo et ce cinéma déviant et kitsch qui sert de face sombre à l'Italie derrière ses calvaires et ses basiliques. Toutes ces influences se mêlent dans une grande sarabande sur un « Pantàfica » qui en deviendrait même dansant, pour qui n'aurait pas peur de laisser son âme sur la piste.
Avec cet ultime opus, Selvans s'offre une sorte d'apothéose chtonienne, qui laisse à Del Re toute la place pour libérer une voix superbe, que je n'aurais pas soupçonnée en découvrant son « simple » black metal il y a dix ans de cela. Chapeau, rideau.
Setlist:
Necromilieu
Il mio maleficio v'incalzerà!
Madre dei tormenti
Pantàfica
Il capro infuocato
Fonte dei diavoli