
Chroniqueur doom, black, postcore, stoner, death, indus, expérimental et avant-garde. Podcast : Apocalypse
One-man-band dont le premier album est sorti en 2018, Délirant propose son deuxième opus cette année chez Sentient Ruin Laboratories. Si D.B., l'homme derrière ce projet, a eu besoin de sept années pour concocter cette deuxième offrande, cela tient d'une part au fait qu'il mène plusieurs projets de front (il est aussi aux manettes de Hässlig et Negativa), mais aussi (et peut-être surtout), parce que la densité de la musique de Délirant doit nécessiter des couches et des couches de réécriture et d'arrangements.
Délirant s'insère dans le champ désormais très exploité, pour le meilleur comme pour le pire, du black metal dissonant et chaotique. Si les deux épithètes sont parfois des arguments "commerciaux" un peu galvaudés, en ce qui concerne le propos de Délirant, ils sont admirablement adaptés. « Thoughteater I », sorte d'introduction en longueur, nous plonge dans ce bain poisseux de riffs pernicieux, déroulant un son que l'on sent déjà hostile alors même que l'intention agressive n'est pas pleinement exprimée. Et quand démarre « Thoughteater II » (les sept titres des morceaux sont sur ce format), avec son blastbeat et toute sa hargne, on comprend que Délirant va nous aspirer dans un univers noir et imprévisible. Le son de guitare est à la fois extrémement tranchant et rugueux, mais il semble néanmoins déposer, ou plutôt diffuser, une étrange brume qui empêche une claire lisibilité : on perçoit bien que l'on est en train de se faire noyer par quelque chose que l'on pourrait toucher, mais chaque fois que l'on se débat pour comprendre ce qui nous assaille, cette forme puissante semble s'évanouir dans un brouillard cauchemardesque.
Si dans cet espace du black metal dissonant et chaotique, on trouve des groupes où l'agression est le maître mot (Serpent Column, Ὁπλίτης [Hoplites dans notre bon vieil alphabet latin]) d'autres travaillent davantage les atmosphères et ambiances (Blut Aus Nord, Deathspell Omega). Et c'est dans cette deuxième catégorie que se range Délirant, même si le groupe ne rechigne pas à asséner quelques passages bien frontaux (en témoigne « Thoughteater IV »). Mais d'un bout à l'autre de l'album plane le spectre de Blut Aus Nord, tant dans la manière de construire certains riffs que dans la façon qu'a Délirant de tisser la trame de ses morceaux. Le chant plein de réverbération, un peu vaporeux et placé au second plan du mix rappelle également l'approche des Français. Délirant a repris cette manière intelligente et troublante de construire des riffs extremement difficiles à qualifier, qui paraissent traîner un poids, qui dessinent des formes abstraites, qui évoquent des refoulements et des idées que l'on ne veut pas voir. On ne sait plus exactement combien de couches instrumentales il y a, si tous les sons proviennent de la guitare ou si des effets s'ajoutent à l'ensemble. Délirant tend patiemment son piège jusqu'à ce que soudain vous ne puissiez plus respirer sans même remarquer la raréfaction de l'air.
Thoughteater est une petite pépite de noirceur et de disharmonie à la densité remarquable. Sachant aussi bien manier l'attaque frontale que la construction patiente (« Thoughteater VI », et ses neufs minutes, le prouve), Délirant propose un remarquable second album. Intense et mûrement réfléchi, porté par un son ni trop raw, ni trop lisible, ce deuxième effort du one-man-band espagnol est un régal pour les amateurs de la frange la moins conciliante du black metal.
Tracklist de Thoughteater :
01.Thoughteater I
02.Thoughteater II
03.Thoughteater III
04.Thoughteater IV
05.Thoughteater V
06.Thoughteater VI
07.Thoughteater VII