Chronique Retour

Album

22 janvier 2025 - Rodolphe

The Orchestra Of Mirrored Reflections

Surfin' Kali-Yuga

LabelAutoproduction
styleDark jazz
formatAlbum
paysUkraine
sortiejanvier 2025
La note de
Rodolphe
8.5/10


Rodolphe

La caution grunge du webzine.

Le dark jazz « slavique » a toujours su extraire des atmosphères grisâtres et industrielles que ses représentant·es côtoient ; des inspirations musicales comme il en existe peu ailleurs. Cette inclinaison pour les émotions fortes a, par extrapolation, sans doute un lien avec les crispations géopolitiques opposant les pays d’Europe de l’Est. Jol Tai en sait quelque chose. Contraint de fuir l’Ukraine à cause de la guerre, le multi-instrumentiste a sillonné la Belgique, la France, l’Espagne ou encore l’Asie du Sud-Est, à l’occasion d’un exode s’étant muté, selon ses propres mots, « en un extraordinaire pèlerinage créatif ».

D’une manière incomparable, Surfin` Kali-Yuga assume l’ambition d’être plus qu’un simple album ou une collection de chansons à écouter « par temps de pluie ». Jol Tai parle même « d’un manuel de survie ». Ces morceaux illustrent en effet la diversité de ses expériences de voyage. Le titre éponyme annonce le premier arrêt : direction l’Asie et le Proche-Orient. Construit comme un mille-feuille musical, chaque élément se superpose au gré des envies, en une sorte d’improvisation salvatrice, fortement inspirée du film de cyberpunk italien « Nirvana ». Et c’est ainsi que des bourdonnements électroniques menaçants cohabitent avec des motifs arabes (joués au saz) et des airs de xylophone. 

Cet effort d’expérimentation, perceptible sur les deux morceaux d’ouverture, relègue le saxophone au second plan jusqu’à ce qu’il brille à partir du trésor dark jazz, « Walking Black Hole ». Ce morceau pilier entraîne au passage l’album vers des compositions plus attendues, fidèles aux standards d’Orchestra Of Mirrored Reflection. Influencé par la culture du zen, il dévoile une fragilité, voire une affliction (en témoigne la mue à 5 min), donnant corps à l’instrument, loin du vaudou et rampant « Her Scent Was All Over Me That Night... ». Des mots susurrés, à peine audibles, s’élèvent à la fin du titre. « C’est ma voix. Et pour ce que cela signifie... c'est explicite, je suppose », répond Jol Tai. Un sens du mystère qu’il partage avec David Lynch, décédé récemment, à l’aube de son 79ᵉ anniversaire. Si ce n’est de surprendre, le musicien continue d’innover dans son propre style, peu avant le terminus. Hormis qu'il soit pris en tenaille entre deux titres de jazz, « I Will Never Look Into Your Eyes » ressemble à s’y méprendre à un exercice de style auquel s’adonneraient des guitaristes de djent. Un interlude sobre, évoquant l’infini, et dont l’énergie positive contraste avec l’ensemble de l’œuvre, aux variations de tristesse et de mélancolie. À ce propos, l'on peut à nouveau citer le drone-jazz « Her Scent Was All Over Me That Night... »en association avec le projet The Midnight Ensemble, connu pour son approche occulte et romantique du genre. Il y a là une atmosphère plongeante, une dramaturgie, plus difficilement attribuée à l'Ukrainien.

Aussi différentes soient-elles, toutes les pièces de Surfin` Kali-Yuga sont imprégnées d’une forme d’introspection « forcée ». Cet album représentera, à n’en pas douter, la clef de voûte de la discographie de l’artiste, tant parce qu’il dépeint notre époque qu’en raison de sa richesse musicale.

 

***

 

En hommage à David Lynch (1946-2025).

 

Tracklist :

  1. Surfin` Kali-Yuga
  2. Her Scent Was All Over Me That Night... (ft. The Midnight Ensemble)
  3. Walking Black Hole
  4. ...This Mortal Coil Sways Away With the Tide 
  5. I Will Never Look Into Your Eyes
  6. Time Goes Wierd, As You Float