La caution grunge du webzine.
« Le caractère des formes et des espaces architecturaux que nous rencontrons habituellement est un puissant facteur qui détermine la nature de nos pensées, de nos émotions et de nos actions, même si nous en sommes inconscient·es. » Le postulat d'Hugh Ferriss, architecte et artiste missourien, semble avoir inspiré bien au-delà de sa profession. Jusqu’à la culture populaire (l’esthétique de Gotham City et Rapture) et même underground, en infusant ses idées et les dessins futuristes qui en sont issus, dans le dark jazz. The Midnight Shade dépeint ses travaux et ceux de ses contemporain·es comme une influence centrale de son premier EP.
Éclos avec le concours du label indépendant bulgare Corvus Records (qui a soutenu des artistes tels qu'October Falls ou plus récemment Waveshard, ayant bénéficié d’un petit succès d’estime), le projet matérialise la rencontre entre deux univers connexes, à savoir le jazz noir et le metal, sous sa forme « radicale ». Izzy Op de Beeck, cuivriste chevronné (Detour Doom Project, The Sarto Klyn V), et le guitariste S.G., associent respectivement ces forces, à l’occasion d’une parenthèse musicale de vingt minutes. Cet EP, divisé en trois pièces uniformes, s’inscrit dans la tradition du genre : il s’agit de créer une atmosphère propre à un lieu urbain fictif, comprenant son lot de danger et de mysticisme. En d’autres termes, l’objet s’apparente à une BO. De gré ou de force, l’auditoire est emmené, de nuit, à l’intérieur d’une petite ville fortifiée, désertée par sa population. La trompette d’Izzy fabrique un décor médiéval. Ses notes rampantes, grisâtres, sont autant de signes prémonitoires d’un danger approchant : serait-ce une « chasse à l’homme » ?
Cet imaginaire moyenâgeux se confirme dès « City of Shadows », via une instrumentation primitive, reflet des activités de S.G. – auteur de nombreux albums de funeral doom. Cet aspect one-man-band-like est largement exacerbé, d’une part, avec le désengagement de ses musiciens envers la batterie, puisqu’un ou deux coups de ride tout au plus sont exécutés. À cela s’ajoutent quelques notes de piano étouffées, ajoutées à la fin de chaque boucle. Et d’autre part, en recourant à une approche typiquement black metal : guitares crasseuses, saturées à l’extrême, et nappes de synthétiseur linéaires, voire mélodramatiques. Se pose donc la question du genre. À bien y réfléchir, le tandem propose une musique trop bruyante pour justifier pleinement l’étiquette dark jazz, en particulier lorsque les guitares monopolisent l’attention, et absorbent la trompette ou le bugle. Sur la moitié de « Gumshoe Blues », elles entraînent le morceau dans une seconde phase, plus sale et privée de ces « silences », qui forgent en partie l’esthétique du jazz noir. Les schémas se répètent sur 75 % de l’EP. Le supergroupe change néanmoins son logiciel in extremis. À trois minutes de la fin de « Gunsmoke and Chiaroscuro », S.G. joue un air acoustique étrangement clair et propret, teinté d'influences arabes. L’hostilité cède alors la place à une mélancolie accidentelle : un appel d’air, qui permet à Izzy d’imposer son hégémonie.
Entendons-nous : la diversité n’est point l’objectif recherché. The Midnight Shade crée une atmosphère angoissante, idéale pour accompagner des moments créatifs ou encore l'after d'un film noir des années 50.
Tracklist :
- Gumshoe Blues
- City of Shadows
- Gunsmoke and Chiaroscuro