La caution grunge du webzine.
Dans un article de presse daté de juin 2023 consacré à l’Académie du massacre, Philippe Papineau (Le Devoir) titrait « Les 20 ans de la “symbiose” entre Mononc’ Serge et Anonymus ». Au cours de l’entretien, les artistes eux-mêmes décrivent un succès commercial inespéré : plus de 20 000 exemplaires du disque se sont écoulés à ce jour. Celui-ci avait, entre autres, été précédé par une rencontre impromptue lors du festival itinérant Polliwog, ayant signé le premier germe d’une collaboration florissante, largement plébiscitée au Québec. C’est en 2001 que l’oncle Serge, ancien bassiste des Colocs, monta sur scène pour jouer un titre de son répertoire, « Marijuana », avec les thrash-metalleux d’Anonymus. Finalement, il aura fallu attendre quinze ans après « l’extrême » Musique barbare, avant que cette association clownesque ne se reforme.
Ainsi, les Canadiens poursuivent leur œuvre en suivant la démarche qu’Ultra Vomit avait initiée à ses débuts – et uniquement. Bien qu’ils investissent un genre musical différent de leurs homologues français, Mononc’ Serge & Anonymus jouent en effet le contraste entre une instrumentation sérieuse et crédible sur le plan technique, et des paroles tantôt grossières et déjantées. De surcroît, leurs morceaux s’ancrent rarement dans le temps, en opposition à la plupart des travaux à visée parodique. Les académiciens autoproclamés cherchent moins à les jalonner de références musicales explicites récentes, ou à correspondre à un fait d’actualité récent, qu’à aborder des thématiques intemporelles. Et donc, « traiter sans tabou les sujets les plus épineux de l'heure : la soupe aux pois, les groupes hommage, la violence au hockey, la drogue, les vieux tabarnak de metalleux », écrit l’oncle sur son site internet, en écho à cette analyse.
Hormis un ou deux morceaux à l’inclinaison easycore, l’on observe une réelle continuité de style et une uniformité entre les morceaux, à la manière de Musique barbare. À la différence que les artistes pastichent la scène heavy et thrash de la vieille école (Anthrax, Megadeth, Iron Maiden), en amplifiant certains éléments « signature », dont la scénarisation de la passion guerrière, les chants suraigus et les refrains kitsch supposément fédérateurs (« c’est la guerre de la technologie quand t’es fan de musique/et c’est la technologie qui gagne »). Dans une moindre mesure, notre union québécoise dresse le (son ?) portrait-robot des spectateurs et spectatrices des concerts de heavy et ses styles périphériques (« J'parle Vrai »). Si absorbé·es par le moment présent, qu’elles et ils répètent les mots que le frontman prononce aléatoirement. « La Bataille du Vendredi Saint » est un condensé de tout ceci. L’oncle Serge offre un cours d’histoire de trois minutes, entrecoupé de commentaires sportifs, sur le légendaire match qui opposa des équipes de hockey sur glace montréalaises le 20 avril 1984. Et un palmarès : deux bagarres générales, 10 expulsions et 198 minutes de pénalité.
Le collectif insuffle également du comique, via l’instrumentation. Le metal qu’ils attaquent est générique, disgracieux. Dans cette monotonie, pourtant, Anonymus ajoute de l’absurde, en exécutant ici et là un rythme tribal au minimalisme hasardeux (« La Ligue du vieux pouèl ») ou encore en intercalant une reprise de « The Imperial March » sous la forme d’un solo au milieu d’un titre faisant l’apologie de la violence : « tuer du monde, c'est l’fun/tuer du monde, j’aime ça ». L’album comporte deux couches : une première qui s’adresse à celles et ceux à même de décoder ce qu’est le hard, le heavy et ses dérivés les plus proches (ses caractéristiques, ses gimmicks, ses travers, son public...), et une seconde pour les initié·es, qui reconnaîtront les emprunts à Anthrax (« Indians » sur « La Ligue du vieux pouèl ») ou Guns N’ Roses (« Sweet Child O’ Mine » sur « Hommage aux hommages »).
Une nouvelle fois, Mononc’ Serge & Anonymus réalisent une « masterclass » de metal canadien-français. En outre, la réussite de ce 3ᵉ essai se mesure au-delà de l’aspect comique, de la technicité, car les morceaux recèlent de refrains entêtants, de surprises et de riffs volés.
« Des bouteilles pour le Roi-Soleil. Des canettes pour Marie-Antoinette ! ».
Tracklist :
- La Ligue du vieux pouèl
- Métal canadien-français
- La Bataille du Vendredi Saint
- Moé mais en mieux
- La guerre de la technologie
- Hommage aux hommages
- Shitty Accent
- Tuer du monde
- J’parle vrai
- S’a coche
- Biloubiloubilou
- Bonne année