"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
La Hongrie, ce n’est pas que Thy Catafalque. C’est aussi Sear Bliss. C’est aussi… bon, il faut bien avouer que bien peu de groupes hongrois ont percé à l’international, même dans les sphères extrêmes où l’on cherche toujours le talent caché à l’Est. Ektomorf est peut-être le nom qui a le plus circulé dans le metal le plus généraliste, mais ce n’est pas non plus grâce à la qualité propre de son copycat assumé de Soulfly. Toujours dans le généraliste, la formation de metalcore AWS a pu avoir son moment de gloire en participant à l’Eurovision en 2018, mais sinon c’est presque (déjà) tout. Dans l’underground et les sphères de niche, outre Finnugor qui a eu son « succès » à l’époque Holy Records, on pourrait citer Dalriada ou encore Bornholm qui a tout de même fini chez Napalm Records. Le spectre va tout de même de Tormentor - Attila Csihar restant le musicien de metal extrême hongrois le plus célèbre en soi - aux frontières du metal avec par exemple The Moon And The Nightspirit, mais pour le reste on ne parlerait que de noms découverts par les diggers de l’underground (Dusk, Marblebog…). C’est ainsi que, mine de rien, Thy Catafalque ferait maintenant office de locomotive. Outre les groupes qu’on a pu découvrir quand il est monté sur les planches avec les contributeurs au Live Mezolit (Reason, Tales Of Evening, Ahriman…) et ceux qui étaient déjà dans son sillage (Perihelion, les groupes d’Attila Bakos comme Taranis ou Descend), les plus malins auront coché les noms des nombreux invités en studio par Tamás Kátai. Ici il sera question d’un nom en particulier : celui de Gábor Veres, qui a chanté jusqu’ici sur les morceaux « Móló » (Vadak), « A felkelő hold országa » et « Néma vermek » (Alföld) puis tout récemment « Vasgyár » et « Ködkiraly » (XII: A Gyönyörű Álmok Ezután Jönnek). Gábor Veres qui d’habitude est chanteur de Watch My Dying, groupe d’Esztergom qui existe tout de même depuis 25 ans. C’est donc une découverte hongroise à faire, même si, sans me vanter, je les connaissais déjà avant (et ne me demandez pas comment, je ne sais même plus en fait). L’occasion de parler d’eux pour la sortie de leur quatrième album, Egyenes Kerülő (« Contournement Direct »).
Loin du metal avant-gardiste teinté de folk et de black metal de Thy Catafalque, loin du metal épique de Bornholm, loin du power-thrash poussiéreux de Ektomorf, loin du metalcore cheesy d’AWS, Watch My Dying pratique… un metal difficile à classifier en fait, énième preuve que finalement la scène hongroise ne fait rien comme les autres. On est dans un domaine parti de l’étiquette très large de « death progressif » de laquelle a découlé un metal technique et groovy, biscornu et bigarré, sautillant et râpeux, presque expérimental. La seule influence notable semble être celle de Meshuggah, surtout pour l’accordage très bas et le côté complexe et insaisissable, mais Watch My Dying ne fait pour autant du math-metal à proprement parler. Si Klausztrofónia (2004) avait déjà quelques idées originales, c’était avant tout un brouillon pour Fényérzékeny (2006), deuxième et excellent album de la formation qui lui permettait d’asseoir son style si particulier. C’est l’album qui m’avait permis de les découvrir et il avait beaucoup tourné, une fois encaissé leur metal si singulier mais finalement très accrocheur. Moebius (2009), plus écrasant, avait marqué le pas et depuis, Watch My Dying s’était fait discret. Pas chez lui où il multipliait les apparitions en concert, mais en studio ce fut plus chiche. Les EPs satisfaisants 4.1 (2013) et 4.2 (2016) montraient que le groupe était toujours là, prêt à ressortir vraiment du bois. Un remix de Fényérzékeny fut sorti en 2019, puis un single en 2021 (« 3. fejezet, avagy a valótlan város »), mais l’attente prendra fin à la toute fin de l’été dernier avec la parution surprise d’Egyenes Kerülő. Enfin un vrai retour de Watch My Dying, sans prétention et dans l’autoproduction. Pour un quatrième album tout de même expéditif de 33 minutes, avec trois interludes et un morceau-titre qui est davantage une intro de luxe. C’est peu ? Oui mais avec son metal inclassable, Watch My Dying va réussir le pari de faire un nouveau pas vers la modernité et livrer un album digne d’intérêt, voire même capable d’égaler son mètre-étalon qu’était Fényérzékeny. Chiche ?
Egyenes Kerülő s’ouvre (donc) avec « Egyenes kerülő » et on retrouve l’ambiance des albums précédents de Watch My Dying, avec des riffs lourds et légèrement dissonants, tandis que la prod faite maison certes toujours abrasive gagne en puissance et en clarté. Pour ceux qui n’avaient pas encore goûté à Watch My Dying, vous allez aussi découvrir son autre particularité qui est le chant de Gábor Veres. Intégralement interprété en hongrois, sa partition oscille toujours entre growls grognés, chant black criards et vocalises plus déclamées. Cela sera un point de crispation pour les profanes car sa performance est toujours aussi particulière, repoussante même, mais cela accompagne parfaitement le tech-groove metal bizarroïde de Watch My Dying, qui se lance vraiment ici avec le sombre et remuant « Kopogtatni egy tükrön ». Il n’y aura certes que six « vrais » morceaux sur Egyenes Kerülő (j’exclus l’étrange morceau « pop » avec chanteuse de clôture qu’est « Utolsó Fejezet », même s’il y en avait déjà eu un de ce style sur Fényérzékeny avec « Háttal álmodó »), mais ce sont six vrais tubes et l’attente en valait vraiment la peine. Du bien puissant et pesant « Napköszörű » où l’on retrouve toutes les particularités de Watch My Dying (notamment ces incursions électroniques) à l’entraînant et mélodique « Fedetlen lépés », le groupe hongrois est inspiré et se permet même un sacré enchaînement : « Zuhogó testek » et ses compos alternativement épiques et coup-de-poing, le dynamique et frontal « Minden rendben » (flanqué de breaks pour le moins originaux), et le plus aéré mais bien lourd « Csontfehér » bardé de riffs syncopés toujours aussi efficaces - et où l’influence de Meshuggah finit par ressortir. 15 (!) ans après Moebius, et même si du matériel était sorti entre temps, on aurait pu en attendre plus, mais Watch My Dying réussit à ne pas nous laisser sur notre faim avec des nouveaux morceaux franchement consistants. A vous de voir si vous voulez tenter l’aventure tant le style de Watch My Dying est particulier, je ne sais vraiment à quels fans de quel sous-genre de metal conseiller cela d’ailleurs. Mais la qualité est là et surtout l’originalité, comme quoi même quand on est hongrois mais qu’on ne s’appelle pas Thy Catafalque (mais qu’on traîne un peu dans ses guêtres, quand même), on peut faire un art avant-gardiste à sa manière, différent et surtout plus qu’intéressant.
Tracklist de Egyenes Kerülő :
1. Egyenes kerülő (3:47)
2. Kopogtatni egy tükrön (3:28)
3. Jobb nap úgysem lehet (0:50)
4. Napköszörű (3:43)
5. Zuhogó testek (3:58)
6. Minden rendben (2:53)
7. Csontfehér (5:01)
8. Mindenáron a béke se kell (1:11)
9. Fedetlen lépés (4:03)
10. A sötétség legalján (1:09)
11. Utolsó Fejezet (2:58)