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Raton et la bagarre #28

mardi 10 septembre 2024
Raton

Amateur de post-musique, de breakdowns et de gelée de groseilles.

Début septembre, c'est bon, Raton il s'est sorti les doigts et la Bagarre redevient bimestrielle. Et ce n'était pas une mince affaire car le hardcore n'a pas chômé durant l'été. Les mois de juillet et août ont été d'une richesse impressionnante et conduisent à une sélection principalement composée de sorties majeures. 

Alors lisez jusqu'au bout et prenez des notes car les albums chroniqués dans cette Bagarre ont de grandes chances de finir dans les tops de fin d'année !

Blind Girls | Nails | Speed | Graphic Nature | State Faults | Goblin Soap | Tenue | Your Arms Are My Cocoon | Onewaymirror | Excrucis | Mentions bonus

 

Blind Girls – An Exit Exists
Emoviolence – Australie (Persistent Vision / Secret Voice / Life Lair Regret)

Ce n’est pas la première fois que je vous parle de Blind Girls car le groupe d’emoviolence australien avait fait un impressionnant comeback en 2022 avec The Weight of Everything. Dans ma chronique, j’appelais de mes vœux que ce deuxième disque lui apporte la reconnaissance de scène qu’il mérite et ça a plutôt été le cas, Blind Girls étant désormais considéré comme une tête de gondole moderne du style.

Quid alors d’un nouvel album, créé très clairement dans la continuité du précédent ? An Exit Exists commence là où The Weight of Everything s’arrête, dans une emoviolence rêche, sombre et grinçante, portée par le chant incroyablement déchirant de Sharni Brouwer. Pendant 21 minutes, le disque ne marque aucune véritable pause (si ce n’est l’interlude menaçant « Pallid Mask ») et enchaîne des pistes furieuses et anxiogènes, aux confins de la dissonance émotive. Sauf que ce troisième album monte encore d’un cran le niveau de composition et propose des puissants stand alone (des morceaux qui fonctionnent aussi bien extraits de leur album, ce qui dans l’emoviolence est le plus proche d’un tube) avec un talent frappant pour la transmission d’émotions amères et pessimistes. Dès la première écoute, il semble même assez évident qu’il s’agit là de leur plus grande œuvre, au-dessus même du fabuleux introductif Residue.

La musique de Blind Girls est à son niveau le plus éprouvant, profond, mature et incarné. La chanteuse révèle que le disque a été intégralement inspiré par deux périodes d’abus qu’elle a subies de la part de proches. Œuvre sombre et difficile, An Exit Exists n’en est pas moins une des plus belles choses qu’il m’ait été donné d’écouter cette année dans le champ des musiques extrêmes.

 

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Nails – Every Bridge Burning
Grindcore / Metalcore – USA (Nuclear Blast)

Huit ans. Ça faisait huit ans qu’on attendait le retour de Nails, depuis la sortie du marquant You Will Never Be One of Us. Et ce retour ne se faisait pas sans quelques inquiétudes chez les fans du groupe. L’album précédent, bien qu’ayant rencontré un succès certain, avait lassé quelques puristes, regrettant le polissage (relatif) du son et la disparition des influences de la powerviolence californienne. Puis l’intégralité du line-up, à l’exception du chanteur-guitariste Todd Jones, s’est fait la malle. Et enfin, le deuxième single « Give Me the Painkiller » a surpris tout le monde avec une rythmique thrash metal et un solo (!). Alors est-ce que les rois du revival HM-2 ont réussi leur comeback ?

Si on retrouve instantanément la signature sonore du groupe, avec les guitares sous HM-2 et les aboiements déments de Todd Jones, Nails fait tout de même évoluer sa recette. Sur la même base grindcore qu’à l’accoutumée, les Américains y ajoutent beaucoup de metal. Surtout du thrash (« I Can’t Turn It Off »), un peu de speed metal (« Give Me the Painkiller »), et une grosse dose de ce metalcore rampant convergien (« Lacking the Ability to Process Sympathy »). Comme le veut une tradition bien connue dans les musiques caverneuses, le dernier morceau est plus long et emprunte la lourdeur du sludge. S’il n’atteint pas le niveau d’anxiété de « They Come Crawling Back » sur le dernier, ce « No More Rivers to Cross » est une grande réussite. 

Cette patte metal plus appuyée vient probablement des trois nouveaux musiciens. Shelby Lermo, à la six cordes, est un habitué du death metal car guitariste d’Ulthar, Vastum et Extremity. Le nouveau bassiste Andrew Solis est lui un nom de la powerviolence (Despise You et Deadbeat), tout en ayant un solide CV metal (Apparition et Cormorant). Quant à Carlos Cruz, à la batterie, c’est un ponte du thrash metal avec Hexen, Warbringer ou Mantic Ritual. À ce titre, leur intégration au modèle Nails est extrêmement bien amenée, tout en conservant la moelle du groupe.

Avec les singles, j’avais peur que l’album soit décousu et que les morceaux soient trop disparates. Par une composition ingénieuse de la setlist qui assure les transitions entre explosions grind et titres plus metal, l’écoute du disque est digeste et cohérente. Le Nails terrifiant, sauvage et cauchemardesque de Unsilent Death a beau être loin, le quatuor parvient encore à montrer l’ampleur de sa dangerosité avec ce Every Bridge Burning.

 

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Speed – Only One Mode
Beatdown metalcore – Australie (Flatspot)

C’est peu dire que Speed a absolument roulé sur la scène hardcore en deux-trois ans de temps. En 2021, leur tube « We See U » fait le buzz, puis est publié le très solide EP Gang Called Speed en 2022 et depuis les Australiens montent sur les affiches d’innombrables tournées. Il n’est pas non plus très compliqué de comprendre d’où vient ce succès : Speed revient à la racine d’un hardcore bagarreur et énergique et fait preuve d’une incroyable générosité dans son rapport à la scène.

Car si Speed reconnecte avec les thématiques et la démarche qui ont fait les grandes heures du hardcore dans les années 90, il sait aussi s’ancrer dans les priorités actuelles et être un groupe de son époque. Sur sa dernière tournée australienne, avant même de savoir si les dates seront complètes, le groupe a promis 10 000 dollars australiens pour un foyer venant en aide aux femmes victimes de violence à Sydney et la même somme pour un groupe qui soutient les réfugiés-es palestiens-nes en Australie.

Et la musique est à l’exacte image de ces actions : généreuse, sincère, puissante tout en étant bienveillante. Only One Mode est leur premier long format et il fournit tout ce qu’on était en droit d’attendre du groupe, c’est à dire du beatdown sous stéroïdes, nourri aux gang vocals et aux breaks vicieux. À ce niveau, des mentions spéciales pour ceux de « Kill Cap », « I Mean It » et « No Love  But for Our Own » qui donnent envie de rayer le bitume avec les dents.

Et si Speed ne cède pas aux effets de mode et se concentre à faire du hardcore efficace et solidaire, ce disque n’est pas sans innovations discrètes. « Don’t Need » et « Shut It Down » apportent des petits refrains chantés, des chœurs ont été ajoutés sur « No Love But for Our Own », et évidemment, « The First Test » ramène une flute traversière sur le pont (Jem Siow a reçu une éducation musicale classique et a même été professeur de flute avant le succès de Speed). Les Australiens s’amusent (le « speeeeeeed » hurlé entre les dents sur « Send Them 2 Sydney ») et ça se sent.

Certains diront que Speed n’a rien d’original ou que TUI faisait les mêmes riffs il y a plus de 10 ans, mais ce serait oublier que ça n’a jamais été la priorité de la scène. Le hardcore c’est avant tout une volonté de faire groupe et Speed en est probablement le plus bel exemple aujourd’hui en redéfinissant l’âme communautaire du style. Et ça fait un bien fou.

 

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Graphic Nature – Who Are You When No One Is Watching?
Nu-metalcore – Angleterre (Rude Records)

La scène nu-metalcore est toujours en pleine ébullition et l’année 2024 restera probablement un jalon dans l’histoire du style. En plus du Alpha Wolf, on a eu le droit au Diamond Construct, aux premiers albums de Thrown et Dealer, mais surtout au nouveau Graphic Nature. Je vous présentais le projet anglais dans la Bagarre #20 comme celui qui venait pour la couronne et c’est pour moi chose faite avec ce second album.

Faire du nu-metalcore de bon goût est un grand défi auquel s’adonne sans relâche Graphic Nature. Je vous redonne le contexte : le style prône la rencontre entre le metalcore dissonant et un revival nu-metal avec scratchs, riffs jumpy et chant rappé. Graphic Nature a pour particularité d’y ajouter des influences électroniques, principalement drum & bass / jungle (« To the Grave », « Session24. », « Low »). Pensez à un Vein.fm période Errorzone poussé dans ses retranchements nu-metal, ou à un Alpha Wolf sans le kitsch.

Who Are You When No One Is Watching? est prodigieux en matière de gestion de l’intensité. Le rythme est constant, la tension est viscérale et les progressions me cueillent systématiquement (« To the Grave »). Le mélange est subtil et tire le meilleur de ses influences, avec le groove du nu-metal, la nervosité du metalcore et ses breaks (celui, démentiel, de « Blinded » ou celui groovy et sous-accordé de « When No One Is Watching »), tout en utilisant la drum & bass pour densifier le spectre sonore.

Niveau paroles, c’est toujours cru et intime, pas nécessairement savant mais si vous avez suivi le groupe avant, vous savez que c’est l’âme de Harvey Freeman couchée sur papier. Ce dernier révèle à propos du disque qu’il s’agit d’un « album focalisé uniquement sur l’émotion humaine ». Ça s’entend particulièrement sur le dernier morceau, « For You », assez poignant dans son impudeur : « I told myself / I just need to make it / Through “One More Day” » suivi par des sanglots qu’on imagine sans peine réels. C’est aussi ça la force de Graphic Nature, conjuguer la détresse et l’efficacité et en faire une œuvre cohérente et puissante.

 

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State Faults – Children of the Moon
Screamo intello – USA (Deathwish / Dog Knights)

Dans le rayon des groupes dont on attendait le comeback, State Faults n’était pas loin de la tête de gondole. Son grand succès, l’album Clairvoyant, était sorti en 2019 et depuis, plus rien ou presque. Le groupe californien avait pourtant atteint une grande renommée avec ce dernier, troisième long format et œuvre aboutie dans l’hybridation entre screamo et post-rock. C’était pourtant un disque qui m’avait laissé sur ma faim, notamment à cause des structures post-rock que je trouvais assez fades.

On sent d’emblée que cette nouvelle sortie, Children of the Moon, est le produit d’années de réflexion et d’une prise de recul sur 13 ans de carrière. Il est la suite logique de ce qui le précède, avec beaucoup plus d’ampleur. Car ce qui caractérise ce disque c’est bien l’ambition. En dépassant l’heure et avec deux morceaux autour des 10 minutes, il fait ce que peu d’albums de screamo moderne ont fait. 

Ce soin particulier se retrouve aussi dans les compositions, recherchées, riches et foisonnantes. Il y a notamment un énorme travail sur les guitares avec une grande variété dans leur emploi et un recours récurrent aux solos. Le disque va chercher des influences diverses, naturellement beaucoup du côté des post-musiques avec un patronage Deafheaven assez clair sans le black metal (« No Gospel », « Palm Reader »), mais aussi des touches alternatives intelligentes dans les refrains et l’utilisation de la voix claire (« Transfiguration »). Children of the Moon en devient un album de premier de la classe, particulièrement mélodique, voire mélodramatique par moments (« Palo Santo » est un morceau dingue d’émotions). Le chant de Jonny Andrew fonctionne aussi bien en écorché (« Nazar ») qu’en clair, où il a un timbre assez androgyne.

Mais avec cette ambition et ce focus mélodique, l’album finit parfois par être ampoulé (« No Gospel », « Leviathan ») et subit quand même sa longueur. L’amputer de quelques morceaux n’aurait pas fait de mal à mon sens. En revanche, le final « Bodega Head », très emo, est un choix intéressant pour clore le disque. Un peu verbeux mais indéniablement prodige, il vient apaiser le discours tout en maintenant l’énergie et la justesse. Alors si vous aimez votre screamo rêche et brutal, penchez-vous sur les autres disques de la sélection, mais si vous n’êtes pas hermétiques à un screamo plus progressif (j’ai parfois pensé à Gospel) et mélodique, vous passerez assurément un grand moment.

 

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Goblin Soap – Goblin Offensive
Hardcore goblineux – Allemagne (Axle Steel / Cellar Door)

Il y a pour l’instant dans cette Bagarre un peu trop de grosses sorties à mon goût. Il en va de l’intégrité de cette rubrique de vous présenter aussi des sorties à côté desquelles vous seriez passés-es autrement. C’est très probablement le cas de Goblin Soap, groupe de hardcore allemand qui m’a amusé au premier coup d’oeil.

En plus d’un nom très rigolo et d’une pochette savoureuse (signée Reece Thomas, aussi membre du groupe), Goblin Soap propose une recette très originale. À un hardcore lo-fi et caverneux non loin de SPY, sont ajoutés des influences D-beat, des riffs post-punk passés à travers la distorsion et des interludes dungeon synth. Dans l’esprit, j’ai souvent pensé aux excellents Toulousains de Nohz.

L’EP est irrévérencieux, sournois et facétieux, construisant les revendications des gobelins imaginaires. Ceux ci, je cite, n’ont pas prévu de partir, te considèrent comme une quête secondaire et détestent les transphobes. Demandes précises, mais auxquelles on souscrit aussi. Avec quatre morceaux et trois interludes, l’EP conserve quand même une densité intéressante et ne tombe pas dans la blague ou le projet monté à la hâte. C’est une écoute plaisante, consistante et qui vient aussi changer de la surenchère bagarreuse à laquelle se livre parfois la scène européenne.

 

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Tenue – Arcos, bóvedas, pórticos
Screamo / Neocrust – Espagne (Zegema Beach / Pifia / bcp d'autres)

Vous savez que si vous aimez les aventures musicales ET la bagarre manifeste, il y a un genre qui parvient à répondre à ces deux envies simultanément : c’est le screamo. Et particulièrement le screamo espagnol, qui a cette frénésie et cette sensibilité vertigineuses et qui a su nous donner certains des groupes les plus prometteurs du vieux continent : Viva Belgrado, Vibora, Drei Affen, Boneflower ou encore Crossed

Tenue fait partie de cette galaxie créative et je vous avais parlé de leur exceptionnel deuxième album en 2021 dans la 10e Bagarre. Les Galiciens ont cette formidable capacité à exploiter toute la sève du screamo, tout en le combinant à d’autres styles comme le post-metal et le neocrust, cette branche atmosphérique du crust et représentée par His Hero Is Gone, Ekkaia ou Alpinist. Mais ce nouveau disque parvient à échapper au jeu des étiquettes tant il s’affranchit des codes pour livrer une musique brute, intime mais radicale et tumultueuse.

Il a aussi la bonne idée d’ajouter des cuivres, parfois discrets (« Inquietude »), parfois triomphants (« Enfoque ») et qui renforce un sentiment de dynamisme et l’impression d’entendre un tableau évoluer. Le ballet des influences et des différents segments jouent sur les mélodies comme sur les abrasions, rendant Arcos, bóvedas, pórticos aussi rude que profondément beau. Si je ne suis pas sûr de lui trouver l’intensité de son prédécesseur, il n’en reste pas moins un disque fou, prenant et infatigablement généreux.

 

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Your Arms Are My Cocoon – Death of a Rabbit
Bedroom screamo – USA (indépendant)

Les plus attentifs-ves d’entre vous se rappelleront peut-être que dans la Bagarre #6 j’avais eu un coup de coeur pour la première sortie de Your Arms Are My Cocoon, un mélange unique entre bedroom pop, screamo et midwest emo. C’était un EP amateur, lo-fi, mais d’une douceur et d’une mélancolie absolument renversantes. Ce qui était une curiosité Bandcamp est devenu une référence absolue qui a donné naissance à toute une vague de « bedroom screamo » avec des projets similaires, naïfs mais crus et intenses : The Civil War in France, Gingerbee, poorly wrote suicide note ou Calendar Year.

Le genre est notamment défini par son atmosphère adolescente, ses claviers Casio cheap et ce curieux mélange entre acoustique et saturation. YAAMC étant le parrain du genre, il n’est pas étonnant que ce premier album, quatre ans après l’EP, soit au sommet de son style. Le jeune Américain offre la rencontre singulière entre la mélancolie lo-fi de Alex G ou dandelion heads, la créativité chaotique de The Brave Little Abacus et la rugosité du screamo underground. Il mêle ces références tout en étant profondément ancré dans la gen Z, son approche spontanée à l’art, son côté auto-référentiel et l’abandon du sens comme ordonnée.

Cette approche ingénue, mais pourtant expérimentée, est partout, de l’influence des jeux vidéos Nintendo, au son délibérément très lo-fi (« city in ashes »), à la déconstruction du modèle traditionnel des morceaux. Le meilleur exemple est pour moi sur « city on fire » avec un break soudain, suivi par des trifouillages électroniques et un sample de Mario Kart sans que cela ne détonne particulièrement. YAAMC livre un premier album prodigieux de créativité (le saisissant « runner duck » de presque 11 minutes), joueur et sensible. Il polarisera inévitablement car c’est une musique impudique, chaotique et qui piétine les conventions du style, mais on ne pourra pas nier le jusqu’au-boutisme intégral de la démarche.

 

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Onewarmirror – Everything wants me to write in cursive
Emoviolence / Metalcore – USA (Zegema Beach)

Onewaymirror est un très jeune groupe californien dont la majorité des membres sont mineurs, mais qui est en train de rebattre les cartes du microcosme hardcore émotif. Après un split avec le tout aussi prometteur Burial Etiquette, Onewaymirror avait sorti un solide album fin 2023 dans un registre emoviolence qui n’était pas sans rappeler Senza, Jeromes Dream ou Love Lost But Not Forgotten. Le disque manquait toutefois encore un peu de maturité pour faire date dans une scène très active.

Début 2024, le groupe sort un nouveau split, cette fois avec Gxllium, qu’il domine assez clairement. Le son quitte les seules sphères du screamo et devient plus noir et nerveux. Direction confirmée par ce nouvel EP qui sonne la rencontre entre l’emoviolence et le metalcore du tout début des années 2000 (difficile de ne pas penser au légendaire EP de I Have Dreams). Cette nouvelle parution est une bourrasque de nervosité crue, un plat âpre. Les voix s’y mélangent et les plans s’enchaînent avec impatience et amertume, ne laissant parfois que quelques secondes à des idées brillantes. Si des groupes comme Binary vous manquent et que vous avez huit minutes devant vous, c’est ce disque que vous devez écouter.

 

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Excrucis – There Are Collectivities That Devour Souls
Screamo – USA (Zegema Beach)

J’avais été marqué par la bizarrerie du premier album d’Excrucis, screamo féminin dissonant et dérangeant, sorti l’année dernière chez Tomb Tree. Je ne m’attendais donc pas à les revoir de sitôt. Pourtant, la bande de Chicago revient avec un deuxième disque, There Are Collectivities That Devour Souls, qui prolonge son prédécesseur avec un hardcore émotif influencé par I Hate Sex, Nuvolascura et surtout Foxtails. Comme chez ces derniers, Linda Sherman utilise une voix tantôt de tête, aiguë et chevrotante et tantôt avec une saturation démente. Elle rend même son chant plus théâtral (« Misery Must End »), avec ce soupçon d’impertinence qui peut énerver, mais qui rappelle surtout la scène sass du début 2000.

C’est aussi un disque qui entretient une atmosphère malaisante, inquiétante. Entre la voix plaintive et le caractère dissonant et imprévisible des instruments, les morceaux prennent souvent à rebrousse poils. Les paroles prolongent cette sensation avec un militantisme franc, que ce soit sur les traumas infantiles (« The Damage Has Been Done »), la violence de la classe dominante (« Eye of the Needle »), la santé mentale (« Misery Must End », « Dépassement » et son final breakcore) et ce qu’on imagine être le génocide palestinien (« Ceasefire », « Call It What It Is »). Ce n’est pas une proposition facile, elle est puissante par sa radicalité mais peut paraître répétitive et même déplaisante, et c’est aussi ce qui en fait tout l’intérêt.

 

 

Impossible de tout évoquer, alors voici mes autres écoutes mais qui sont passées à côté de la sélection principale :

  • J'aurais bien aimé vous parler du quatrième album de Respire, parce que je vous avais parlé de leur troisième mais honnêtement, la recette de screamo orchestral (cette fois avec même des touches klezmer) commence à me lasser et je trouve le disque très bavard pour pas grand chose. Je garde le morceau « We Grow Like Trees in Rooms of Borrowed Light » mais c'est à peu près tout.

  • Big Ass Truck a sorti un deux titres promo, la pochette c’est un monster truck qui sort de terre dans un cimetière un soir de pleine lune et il y a un feat avec un groupe de brutal death… Rappelez-moi pourquoi vous n’écoutez pas encore Big Ass Truck ?

  • Il y a en Californie une poignée de musiciens qui n’arrivent pas à passer six mois sans créer un nouveau groupe. C’est le cas des loustics de Twitching Tongues et God’s Hate (dont Colin Young) qui viennent de monter un nouveau projet. Ça s’appelle Holy Blade et c’est du hardcore mélodique, un peu mélancolique et influencé par l’horror punk et le skate punk. C’est du worship AFI période 98-2000 (enfin c’est les gens intelligents d’internet qui disent ça car moi j’y connais rien à AFI) et c’est vraiment chouette (« Only the Dead » est un sacré tube).

  • Ça fait des années qu’on (que je ?) attend le retour de buriedbutstillbreathing, groupe de metalcore à panic chords de Californie, dont le premier LP Exhumation était ultra prometteur. Ils viennent de publier un deux titres promo qui donne l’eau à la bouche tant c’est nerveux, méchant et bien composé. On (Je ?) croise les doigts pour une annonce rapide.

  • Ça faisait aussi longtemps qu’on attendait un retour de Queensway. Leur EP précédent était une tuerie et faisait preuve de finesse et de beaucoup d’habileté dans la violence du style. Cinq années plus tard, ils réapparaissent avec deux morceaux, sortis chez DAZE et pétris avec toujours autant de soin et un timbre de guitare terriblement gras. Sur « Baltimore Blood », ils ressortent les samples, cette fois avec un extrait de Macbeth, et livrent un morceau délirant d’efficacité. On espère très fort que ça annonce un nouveau disque.

  • DAZE a aussi sorti un split complètement bizarroïde dans le paysage hardcore européen, entre les Suédois de Blood Sermon et les Italiens de 3ND7R. La partie Blood Sermon est curieuse, avec un mix très sourd qui met surtout la batterie et le chant en avant. C’est très metal et guerrier, avec une guitare stompy et l’autre qui crache des solos heavy, accompagnées par un chant caverneux. Le morceau collaboratif est menaçant, lourd et véhément, avec du breakcore au milieu. De son côté, la partie 3ND7R est chaotique avec un dernier morceau chanté à l’arrache, mais qui rappelle un côté Riot Stares en beaucoup plus lourd. L’EP est construit de telle sorte que tout s’enchaîne sans pause, malgré le changement d’artistes, mais c’est bien la seule chose cohérente car sinon ça part dans tous les sens. Ce qui est plutôt amusant.

  • Je ne suis pas particulièrement client de toughcore (le hardcore métallisant qui joue la carte des gros bras et de la loyauté communautaire), mais le dernier album de Trail of Lies, groupe de Syracuse (le fief de Earth Crisis), sorti chez Triple B, est très solide. Il fait notamment la part belle aux invités avec des noms prestigieux comme Scott Vogel (Terror), Pat Flynn (Have Heart, Fiddlehead), Sebastian Paba (Regulate), Danny Diablo (Crown of Thornz) ou Aldo Felix (Section H8, Skinhead, ACxDC). 

  • La scène metalcore finlandaise se porte bien, merci de demander. Après Gray State ou xCleansingx, c’est au tour d’Ecotage d’ajouter une pierre au metalcore vegan/straight edge finnois. Dans un pur Arkangel-worship, Ecotage livre un très bon premier EP, féroce et métallique, centré autour des thématiques de cruauté animale et d’extinction du vivant. Le morceau central, « Until Justice Is Served », est le plus fort, mais il faut aussi mentionner le crépusculaire « Into Dust », efficace dans ses atmosphères. 

  • Vous êtes en manque de hurlements stridents et de guitares chaotiques et déstructurées ? Ça tombe bien, car le deuxième album de Detach the Islands pousse le curseur bien loin sur le sujet. Avec des membres de Fluoride, Thin ou Juan Bond, le disque contient onze morceaux abrasifs, intenses et anxiogènes entre le mathcore, une espèce de furie grind et l’emoviolence.

  • Toute fin mai, le groupe australien No Hope a sorti sa première démo dans le clair héritage de Modern Life Is War ou Verse. C’est très bien référencé, donc pas extrêmement original, mais ça fait toujours du bien d’entendre des réactualisations de cette formidable scène qui a animé les années 2000 aux Etats-Unis (j’ai concocté une playlist qui en résume le meilleur).

  • Six mois après son premier EP, Cross of Disbelief en sort un second chez Ephyra. En gardant leur recette metalcore sourd / deathcore première génération, les New-Yorkais ajoutent encore une dose de brutalité avec une sensibilité beatdown affirmée. C’est mieux que le premier qui m’avait vraiment laissé froid, même si ça manque encore de personnalité. 

  • Des membres de Year of the Knife (dont Brandon et Madison Watkins, respectivement guitariste et chanteuse) ont créé un nouveau projet, dans un style rock alternatif et émotif, appelé Ninth Cage. Pour l’instant, on ne va pas se mentir, c’est bancal et assez amateur.