La caution grunge du webzine.
Mai 2015 à l’ex-Café du Parc (Le W) : début de l’été, ambiance de fin de cours dans ce repaire d’étudiant·es étriqué. Seeds Of Mary partage la scène avec In A Nutshell à l’occasion d’un plateau grunge. Depuis cette époque, de « l’eau a coulé sous les ponts ». D'artistes novices, armés d'un EP efficace, spontané, les Bordelais sont devenus, à mesure que leur discographie s’est étoffée, des techniciens du grunge.
Seeds Of Mary libère enfin sa vraie nature, en épousant une production metal – sans « concessions » mélodiques. Car Serendipity développait à certains endroits une fibre très alternative ; les refrains étaient plus lisibles, et des moments flottants ponctuaient intelligemment l’album (« Reinventing You », « From the Void »). Celle-ci s’est perdue sur l’autel de la complexité, suivant l’exemple du Tripod d’Alice In Chains – un spécimen. Mais à ce jeu-là, le quintet excelle ; il se hisse au-delà de la norme. Jusque dans ses guitares frôlant le progressif, jouées avec pudeur, retenue. Citons « Fire is Bright Fire is Clean », et l’image que véhicule son issue, celle d’un shred impeccable, elliptique, qu’un musicien, rompu à l’exercice, exécuterait sur ses concerts, de façon rituelle. Ce n’est pas tant la variété que la densité des titres qui rend ce 4ᵉ méfait si difficile à appréhender. Aux refrains accrocheurs, les anciens D.I.R.T. préfèrent désormais travailler les ambiances, la « couleur » d'ensemble.
Plus généralement, et outre les influences susnommées, la formation présente un matériel sombre, quelquefois proche d’un black grunge (l’incendiaire « New Anger »). L’album « respire » peu ; chaque seconde est exploitée. Tout est gris, sauf un intermède mariachi sur « Parasite Paradise » incluant des trompettes fiévreuses, un choix suffisamment inhabituel pour être souligné. Interrogé à ce sujet, Julien, le guitariste, commente : « J’entendais cet instrument dans ma tête en composant le morceau. Cela vient peut-être de sa légère influence trip-hop, qui m'a spontanément évoqué la world music. Ça n’a pas fait l’unanimité tout de suite au sein du groupe, mais finalement, on l’assume très bien ». Quoi qu’il en soit, tel un Layne Staley désincarné, Jérémy Dourneau explore de nouveaux recoins et tourments. Le quintet clarifie son orientation, en intégrant ses éléments extrêmes de manière plus logique, naturelle, que ce soit le chant crié ou le grunt. Quitte à nous faire oublier que l’on a face à nous un album d’alternatif. Et, « Begin the End », est un exemple significatif – il interpelle, tant il s’avère agressif. La dissonance présente dans les guitares, l’énergie du morceau, la batterie martiale des dernières secondes, sur le point de « produire » de la double pédale, font appel à des références black metal. Aux trois quarts de la pièce, une mélodie old-school traînante et lugubre se déploie, rappelant une procession religieuse.
Cela étant, même si Love refoule tout sentiment nostalgique, Seeds Of Mary ne renie en rien ses premiers amours. Les fans de l’ère « Killing Monsters » pourront se consoler en écoutant « Insomnia » et le titre éponyme, tous deux porteurs, à divers degrés, d’un esprit néo-metal. Le premier emprunte à un registre émotionnel, en proposant à l’occasion un rap lancinant, tandis que le second crée un son électro-industriel, s’inscrivant dans une démarche expérimentale, semblable à celle de Korn au début des années 2010.
Les Bordelais ont pris de l'envergure ; leurs débuts paraissent une éternité. Love est un album cérébral et tortueux, dont les morceaux se révèlent après deux ou trois écoutes. D'innombrables couches de musique se superposent : Seeds Of Mary n'en a jamais assez. L’album est-il trop « riche » ? Peut-être. Le fait est que le collectif, soutenu par Klonosphère, contribue à repousser les limites d’un genre souvent confiné, voire passéiste : le grunge.
Tracklist :
- Amor Fati
- New Anger
- Parasite Paradise
- Spiral Me Down
- Insomnia
- Fire Is Bright Fire Is Clean
- Nothing_s Sacred
- The Narcissist
- Begin the End
- Love
