La caution grunge du webzine.
À défaut d’être irradié par les flashs médiatiques, Bala a vécu son « moment » en honorant un contrat d’album avec le label allemand Century Media en 2021 (Maleza). Preuve, s’il en fallait, que les enragées de Galice le tiennent particulièrement en estime : lors de trois concerts-événements dont l’un à l’Azkena Rock Festival en juin 2024, les musiciennes se sont illustrées aux côtés de Bonnie Buitrago (Nashville Pussy) pour « expédier » quelques morceaux de l’opus susnommé, sur lequel l’Américaine enregistra les parties de basse. Mais loin d’ajouter un nouvel album « criard » à sa discographie, le duo étend le champ de ses influences ; il innove. Avec le sentiment, amplifié par les hymnes qu’il contient, d’avoir « entre les mains » un disque profondément ancré géographiquement, portant haut les couleurs de l’Espagne.
Bala possède une connaissance aiguisée de sa musique, en se jouant de la manière dont elle est perçue. Le produit de cette réflexion s’illustre sur l’artwork. La DA emprunte à l’enfance au féminin, à l’onirisme, tandis que le titre de cet effort signifie littéralement « la bête ». Tout·e fan sait ce à quoi Anxela et Violeta font allusion ; à ce punk animal très « Parental advisory »-compatible, similaire à une agression verbale. « Equivocarme » ne déroge pas à la règle. À la seule exception qu’en réunissant un line-up sororal élargi (Dani Miller, Ana Curra, Laura Willar) et en « cassant » le morceau à l’aide de violents pré-refrains en a cappella, elles en décuplent la puissance. D’un point de vue euphonique, la langue espagnole s’avère « dure », « marquée ». Son identité permet aux auditeurs et aux auditrices de s’approprier facilement la rage distillée, à l’image du conquérant « 100 jinetes del apocalipsis/cabalgando en tu interior » (« Verde »). En outre, le tandem crée un référentiel commun avec ses fans ; l’influence des L7 apparaît clairement dans certaines voix retranchées, à la fois graves (masculines ?) et parfois en léger décalage avec la musique. Ces éléments – singuliers – sont plutôt à mettre au crédit de Violeta Mosquera, batteuse et vocaliste d’appoint, ou d’Ana Curra, « la Reine du punk espagnol », récidivant lors d’un second featuring sur « 3 Veces ».
Mais si au premier abord, le schéma reste inchangé, l’évolution se mesure à deux niveaux. Bala délivre une production ambitieuse, en accordant de nouveau sa confiance aux frères García (Ultramarinos Costa Brava). La volonté de s’imposer comme une référence internationale dans le milieu alternatif se vérifie également au regard de ce bloc de douze titres à la fois accessible et, de temps en temps, étonnamment lumineux. Car passé son introduction cérémoniale, vaporeuse, « Nada más » emprunte à la vague moderne du pop-punk : ici, un Blink-182 hurlant, habillé d’éléments (de riffs) metal. Cette incartade s’explique en raison de l’approche rythmique auxquelles les Espagnoles nous ont habitué·es. Ce style de jeu facilite en effet le basculement d’un sous-genre de punk à un autre. Enfin, la rupture avec Maleza est consumée du fait d’un contenu d’album moins attendu. Le sas de décompression que représente « Ouveo » illustre à lui seul la richesse de cette œuvre, souvent « nichée » dans les détails, c’est-à-dire derrière des arrangements au souffle tantôt épique, tantôt chaotique (« Inmutable », « 3 Veces »). En l’occurrence, une formation de pandereteiras (joueuses de tambourin) assure l’ouverture de ce 4ᵉ morceau. Ces trente secondes d’exposition offertes à Tanxugueiras assoient l’engagement féministe, linguistique, relayé par Bala. Au début de sa carrière, cette formation de musique traditionnelle galicienne s’affichait moins en tant que trio vocal qu’en tant que backing-band. Cela explique sans doute sa discrétion au cours du morceau.
Punk, grunge, hardcore, stoner doom… Au-delà de l’étiquette que les médias lui attribuent, Bala parvient à s’extraire de la fourmilière. De ces groupes déclassés situés en dehors du monde anglo-saxon, « sonnant comme ». Una clase magistral.
Tracklist :
- Equivocarme (feat. Dani Miller, Ana Curra & Laura Villar)
- Inmutable
- Verde
- Ouveo
- Prisas
- Fuera
- 3 Veces (feat. Ana Curra)
- No eres
- Nada más
- Estás
- Jugar
- Todo muy mal