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mercredi 10 avril 2024

Headbussa + Last Wishes + Depressed + The Shredder @Bangkok

Blueprint Livehouse - Bangkok

Raton

Amateur de post-musique, de breakdowns et de gelée de groseilles.

Ce n’est pas la première fois que Horns Up part dans des contrées lointaines et improbables pour vous narrer des expériences singulières de concert : Malice est un habitué de l’exercice avec un report de Aria à Moscou et un festival à Tbilissi en Géorgie, Circé avait couvert un concert événement de Moonsorrow à Tampere et Prout avait aussi tenté l’expérience avec le Nex Fest à Tokyo. Permettez-moi donc de poursuivre l’exercice avec une plongée dans la scène hardcore thaïlandaise à l’occasion du passage des Parisiens de Headbussa et des Britanniques de Last Wishes à Bangkok.

Des dires qui m’en sont faits, la scène thaï semble être l’épicentre du hardcore dans la partie continentale de l’Asie du Sud-Est (la Malaisie, Singapour et l’Indonésie bénéficiant de scènes nettement plus développées). Les tauliers du coin se nomment Whispers, font dans le très bon metalcore façon Europe fin 1990s et orchestrent une grande partie du hardcore local et de passage. Mais ce soir, c’est le label Holding On qui assure le show. Sur la scène nationale, Gap, son gérant, nous confie : « Je pense que ça devient de mieux en mieux chaque jour, des nouvelles personnes viennent aux shows, bien plus que ce que j’aurais imaginé. Ce soir est un bon exemple : on n’a pas une scène immense mais elle est robuste et fun, tout le monde se connaît et s’entend bien. »

Le concert se tient au Blueprint Livehouse, une salle d’environ 200 places dans un quartier moderne et occidentalisé à l’Est de la ville. A côté, une concession Maserati, une clinique dentaire et un spot de surf artificiel qu’on peut observer depuis la mezzanine extérieure de la salle.

 

The Shredder

Le temps de rejoindre la salle, je loupe Fordecision, groupe de hardcore local dont l’EP sorti l’année dernière mérite une écoute. J’arrive donc pour The Shredder, qui fait dans le beatdown tirant volontiers sur le death metal avec des mosh parts sourdes et une attitude bagarre de rue attendue pour la soirée et le lieu. Les jeunes Thaïs assuraient déjà la première partie de Headbussa et Last Wishes sur les dates précédentes et notamment à Chiang Mai, dont ils sont originaires. En fin de set, Gaultier de Headbussa assure même un morceau à la guitare.

La recette est classique pour qui aura écouté quelques disques de beatdown ou plus d’une sortie DAZE de ces trois dernières années, mais elle est bien interprétée, notamment dans les chugs particulièrement low tempo. Le groupe maîtrise sa partition et orchestre un pit virtuose. C’est ma grosse surprise de la soirée : les hardcore kids locaux m’impressionnent par la technicité de leurs mouvements alors qu’ils ont quasiment tous une petite carrure. On est pas dans le pays du muay-thaï pour rien, les pieds voltigent, les gestes sont précis et les cabrioles nombreuses. Pourtant malgré la prédominance du beatdown et la hargne des coups de pied, l’attitude n’est jamais négative, comme ça peut régulièrement être le cas en Europe. Tout le monde arbore un grand sourire et se tape dessus avec une joie extrêmement communicative.

Crédit photo : @juthecrew

 

Depressed

À la suite de The Shredder, ce sont les locaux de Depressed qui profitent du passage des deux groupes européens pour faire la release party de leur dernier EP, intitulé Warfare Humiliation et dont la pochette est une référence à l’incroyable premier EP de Billy Club Sandwich.

Autant d’indices qui devraient vous mettre sur la piste : on ne va pas assister à un récital de Chostakovitch. Et pour cause, le beatdown de Depressed jette des yeux très réguliers sur la copie de son voisin slam death. Le chant est principalement aboyé, la caisse claire est une casserole (bien que ce soit encore plus flagrant sur EP) et le groupe ne peut pas s’empêcher de lancer des cornes de brume avant chaque break (et laissez-moi vous assurer qu’ils sont très, très nombreux). Dans le pit, l’intensité monte progressivement jusqu’à devenir un vrai ring dans la deuxième moitié du show. Pour ne rien arranger, Depressed reprend un des hymnes absolus de la bagarre, « Vendetta » d’Irate.

Pas malin pour un sou, Depressed assure néanmoins un excellent show dans son genre qui achève de me convaincre de la grande pertinence de la scène thaï.

Crédit photo : @juthecrew

 

Headbussa

Dans la mesure où je vous ai déjà décrit un concert des Parisiens un mois plus tôt lors de leur triomphe à l’Elysée Montmartre en première partie de Knocked Loose et que leur setlist est similaire, je vais davantage me focaliser dans cette partie sur comment Headbussa s’est retrouvé à tourner en Asie du Sud-Est après seulement deux EPs.

Pour un groupe français, passer deux semaines à tourner en Asie du Sud-Est et au Japon tient du prodige, et c’est probablement la première fois depuis des années, si ce n’est la première fois tout court (si quelqu’un a la VAR, qu’il se manifeste // Erratum : Les Sillons du Styx nous signale que les Normands de Primal Age ont tourné au Japon en 2013). Gaultier, guitariste et compositeur nous explique : « C’est grâce à Zuma de Kruelty, on s’envoyait des messages et il nous a proposé de faire une petite tournée au Japon et ensuite Asa de Gid Wreck Unit (une jeune orga de Singapour qui s’occupe de faire jouer des groupes internationaux comme Despize et Demonstration of Power il y a deux semaines) nous a contactés après, pour se greffer sur la tournée que Last Wishes faisait déjà. »

Sur la tournée, Headbussa joue sur du matériel local, ce qui leur évite de trimballer des instruments dans des nouveaux avions tous les deux jours. Ça ne leur empêche pas de livrer un set extrêmement précis et efficace (j’ai l’impression de reconnaître une reprise de Shattered Realm à un moment). Après le passage sur scène d’un chanteur local (serait-ce celui de Whispers ?), c’est à ma plus grande surprise Steph de Calcine qui prend le micro pour un feat incendiaire. Le concert est aussi clinique que dégoulinant et le public répond à merveille. À ce propos Gaultier nous dit : « Là on revient de Chiang Mai, c’était vraiment cool. La Thaïlande, c’est les deux meilleurs shows qu’on a eu pour le moment. Ici, les gens moshent hyper bien. »

Je lui demande si cette tournée représente quelque chose de particulier à ses yeux : « Complètement. Avant-hier à Chiang Mai, ils nous ont dit que ça faisait 10 ans qu’un groupe international de hardcore n’était pas venu, depuis The Ghost Inside en 2014. Donc pour nous c’est un honneur de faire ça. Et puis voir les gens kiffer comme ça à l’autre bout du monde, les voir faire des vrais moves dans le pit, j’adore ça, c’est pour ça que je fais cette musique. »

Crédit photo : @juthecrew

 

Last Wishes

C’est désormais au tour des Britanniques, aussi signés chez DAZE, de prendre d’assaut le Blueprint Livehouse. Dès le début du set, les lumières se coupent, créant une vraie atmosphère de menace dans la salle. Quelques petites lumières restent allumées sur la scène et donnent un effet d’ombres chinoises aux mosheurs dans le pit.

De base, la recette de Last Wishes me parle moins. C’est aussi du beatdown, mais moins métallique que Headbussa, avec des riffs moins incisifs mais qui groovent davantage, bien retranscrits sur scène, avec la basse mise en avant. Mais je dois reconnaître que le groupe maîtrise impeccablement sa performance et qu’il prend une autre dimension en live. Notamment grâce à la présence forte du chanteur qui harangue la foule entre chaque titre (« this song is for skanking and skanking only »). Avant d’entamer leur morceau phare « Loyalty », il chauffe la foule à blanc en multipliant les appels à la bagarre. À la fin d’un autre morceau, le bassiste prend le micro pour faire un discours sur l’esprit hardcore, avec un accent à couper au couteau. Le chanteur reprend le micro et lâche un « you understood that? Yeah, me neither » (vous avez compris ce qu’il a dit ? ouais moi, non plus).

À un moment, le chanteur prend la batterie pour que le batteur puisse aller se défouler et vu la vivacité du pit, heureusement qu’on est en dehors de la zone de juridiction de la CEDH. Plus le set avance, plus le ton est dur. Sur le dernier morceau, le break prend de court la salle qui se lance dans des side-to-side acrobatiques. Alors que le groupe dépose ses instruments, le public les fait revenir une première fois, puis une deuxième fois. Last Wishes se plie à la demande générale en annonçant « for this song, hard mosh only ». Et je n’ai pas meilleure conclusion pour cette date impressionnante de ferveur hardcore à l’autre bout du monde.

Crédit photo : @juthecrew

Merci beaucoup à Holding On pour l’organisation de la date, au Blueprint Livehouse pour l’avoir accueillie, à Gid Wreck Unit pour la partie Asie du Sud-Est de la tournée, à @juthecrew pour les photos, à Gap et Gaultier pour leur temps, aux trois groupes locaux pour avoir fait honneur à leur scène et à Headbussa et Last Wishes pour avoir donné l’opportunité à une centaine de personnes de s’étirer dans le pit.