"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Pour paraphraser ce que je disais au début de la chronique du dernier album de LLNN, « Le très populaire label Pelagic Records est en général porteur de deux choses : une musique aux accents « post » et des groupes prometteurs aux allures de « Next Big Thing » - ou qui arrivent déjà à confirmer ». Hé ben, ça continue, encore et encore. Après les belges d’Hippotraktor, son énième découverte dans un genre post/prog/math/moderne se nomme Bipolar Architecture. Un nom et un layout, déjà et finalement, très Pelagic Records et très post-metal un peu ou beaucoup technique. Pourtant, quand on regarde de plus près, peu de signes permettaient de dire que nous allions avoir affaire à un nouvel avatar de ce genre musical très contemporain. Bipolar Architecture est originaire de Turquie et compte dans ses rangs des musiciens ayant évolué dans des formations locales qui pratiquaient un style autrement plus traditionnel et extrême. Le guitariste Burak Altıparmak a notamment mené entre les années 2000 et 2010 les groupes Milk Hunter (death metal), Kranthor (mélodeath) et Heretic Soul (death metal). De cette dernière formation ont également été rapatriés le chanteur Sarp Keski et le bassiste Enes Akovali (reparti depuis) ; tandis que le groupe a depuis récupéré le batteur Fatih Kanık de The Exile (black metal) et Nitro (thrash metal). Autre chose, originaire d’Istanbul, le groupe s’est relocalisé à Berlin… pour se rapprocher de ces scènes plus modernes ? Toujours est-il qu’après un EP en 2020, Bipolar Architecture a balancé en 2022 Depressionland, son premier album très prometteur. Dans un style aux codes assez balisés certes, mais qui a quand même ses particularités. Bipolar Architecture tente donc d’apporter sa pierre à l’édifice.
On retrouve donc dans la mixture de Bipolar Architecture ce qui fait la base du post-metal en général : des trémolos, beaucoup de moments aériens, des progressions et des mélodies un peu dépouillées. Les Turcs y ajoutent quant à eux deux singularités principales : un unique chant hurlé légèrement black metal qui confère à la formation une évidente touche « blackgaze » ; et un riffing qui se fait souvent plus groovy et syncopé. C’est d’ailleurs sur ce deuxième point que se distingue fortement Bipolar Architecture, Depressionland avait pour lui un paquet de moments remuants absolument imparables, générant des bangers comme « Expectations » ou « So I Altered ». Le premier jet du groupe originaire du détroit du Bosphore était donc déjà très convaincant. Deux ans plus tard, le line-up a donc un petit peu bougé pour affiner l’identité germano-turque actuelle, mais l’art de Bipolar Architecture bouge peu voire pas du tout, si ce n’est que la production sonore s’améliore. Les sept morceaux de Metaphysicize vont donc surtout transformer l’essai, et accessoirement ou même principalement faire découvrir Bipolar Architecture à plus de monde via son passage du méconnu Talheim Records au très branché Pelagic. Le morceau-titre ouvre ce deuxième album et on y retrouve déjà tout ce qu’on peut attendre de ce genre de post-metal : imbrications de mélodies acoustiques ou saturées, riffs lourds qui affleurent, ambiance de lumière qui se fraye un chemin dans un ciel grisâtre, et ce chant à fleur de peau peut-être un peu redondant mais étonnamment prenant. Bipolar Architecture semble toujours aussi inspiré, avec déjà quelques mélodies mémorables et surtout ces assauts de riffs syncopés toujours aussi efficaces. Avec un album qui sera bien plus court que son prédécesseur (41 minutes contre 53), l’Architecture Bipolaire s’en va chercher de nouveaux adeptes.
Qui risquent de bien vite s’accrocher au très dynamique « Disillusioned », qui continue de prouver que même si Bipolar Architecture reste un groupe de post-metal avec tout ce que ça implique comme développements d’ambiances, il sait quand même faire preuve d’un groove imparable sans pour autant vraiment virer dans le djent. De toute façon c’est surtout un « Death of the Architect » qui montre toute la palette du groupe turc, avec de belles progressions (l’intro est magnifique, et que dire du vrai départ sur des trémolos épiques) qui débouchent sur du metal moderne syncopé vraiment cossu (c’est une véritable déferlante en seconde partie de morceau, jusqu’à un final incroyable). Si la suite de Metaphysicize n’est pas aussi impressionnante, elle réserve son lot de moments encore forts, et cela commence d’ailleurs par le certes plus classique et très aéré « Kaygı » qui a l’originalité d’être chanté en turc - avec même des mélodies légèrement plus orientales pour le coup. « Alienated » est lui presque le morceau le plus blackgaze de l’album, multipliant les trémolos et les riffs plus tranchants avec malgré tout des breaks assez désenchantés. « Immor(t)al » remet une louche de structures plus progressives mais aussi un grand coup de riffs syncopés qui déboitent, notamment pour un « refrain » assez entraînant. « Dysphoria » conclut assez classiquement Metaphysicize avec déjà un résumé de tout ce que peut proposer Bipolar Architecture, mais toujours avec une inspiration de tous les instants (et une dernière rasade de mélodies épiques et surtout de riffs syncopés mortels). Si il est vrai que tout semblait déjà dit sur Depressionland - et alors que ce n’était qu’un premier album ! - Metaphysicize permet à Bipolar Architecture d’affiner et de déjà poser définitivement son style. Avec de grands et beaux moments, efficaces comme enivrants, au sein d’un album très homogène - peut-être un peu trop mais au fil des écoutes on finit par trouver son bonheur et apprécier l’inspiration des Turcs/Allemands, qui confirment aisément les dispositions de Depressionland. Moins varié qu’un Hippotraktor, mais quelque part plus extrême, Bipolar Architecture fait donc sérieusement une belle entrée dans le petit monde du post-metal bien moderne, que l’on appelle aussi… le « Pelagic-core ».
Tracklist de Metaphysicize :
1. Metaphysicize (5:25)
2. Disillusioned (4:16)
3. Death of the Architect (5:51)
4. Kaygı (6:56)
5. Alienated (5:42)
6. Immor(t)al (6:11)
7. Dysphoria (6:16)