"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
10 ans. Cela faisait 10 ans que l’on attendait le retour de Darkspace. Pour le coup, on ne va donc pas se perdre en présentations et autres palabres contextuelles. Il y a tout de même deux précisions à coucher. La première est que le line-up du trio suisse a bougé. La bassiste Zorgh s’en est allée, en fondant Apokryphon dans son coin, et est remplacée par le mystérieux Yhs. La deuxième, c’est que la galaxie Darkspace n’est pas restée inactive pour autant. Son avatar plus forestier, le projet de Wroth, Paysage D’Hiver, a pu enfin se montrer réellement en sortant, coup sur coup, deux full-length : Im Wald (2020) et Geister (2021) ; lançant enfin réellement le projet après 23 ans passés dans l’underground (10 démos !). L’effervescence pour Im Wald - un peu retombée pour Geister il est vrai - a tout de même montré que le microcosme de Darkspace est toujours très attendu, sachant que les clones sont nombreux mais peu qualitatifs - à l’exception notable d’un Arkhtinn par exemple, ou d’un Thanatonaut. Dernière info et pas des moindres, l’Espace Sombre a quitté Avantgarde Music pour Season of Mist. Pour enfin, laisser entrevoir plus que sérieusement la sortie d’un cinquième album. L’attente insoutenable est donc terminée… mais le retour de Darkspace en bacs se fera d’une manière relativement imprévue. On attendait, logiquement, un Dark Space III II. Mais en lieu et place, pour le moment, nous aurons droit à… Dark Space -II. Nommé à revers de la toute première sortie du trio, Dark Space -I, en 2002. Que cache donc ce stuff ? Une démo exhumée ? Un prequel au prequel qui ferait frémir les producteurs de films à succès les plus commerciaux ? 10 ans d’attente et ce n’est finalement même pas un nouvel album au programme… ?
La vérité sera dévoilée bien vite. Dark Space -II se situe finalement entre EP, album-interlude et expérimentation. Il sera composé d’un unique morceau d’une durée de 47 minutes, nommé « Dark -2.-2 » pour respecter la typologie du groupe, mais il s’agira bien d’une composition originale et inédite. Bizarre de remonter le temps pour faire du neuf, mais le groupe a choisi de respecter l’univers si particulier qu’il a fondé il y a 22 ans à la lettre et il aurait été compliqué de faire autrement, si ce n’est faire passer cela pour Dark Space III II avec un seul morceau du nom de « Dark 5.21 ». Mais soit, étirons l'espace-temps à l'envi. Et Dark Space -II n’est pas non plus un réel nouvel album… car il y a tout de même des particularités à noter. Déjà, tout inédit qu’il est, « Dark -2.-2 » n’est pas non plus totalement inconnu. Car ce morceau avait déjà été interprété dans son intégralité au Prophecy Fest en septembre 2023. Cela ferait un peu « commande Roadburn » à l’instar de Final Light et Sól Án Varma et on comprend un peu mieux pourquoi tout ceci semble avoir été volontairement détaché de la discographie régulière de Darkspace, et peut être considéré comme un interlude de luxe. Et donc comme on le disait, il y aura aussi une part d’expérimentation. Car l’art de Darkspace va s’exprimer autrement sur une unique piste de 47 minutes. Certes, le trio nous avait déjà habitués à pondre des morceaux bien longs (20 minutes pour « Dark 2.10 », 23 minutes pour « Dark 2.8 », 27 minutes pour « Dark 4.18 », tel est le podium actuel), mais ici la dimension sera encore plus élastique, quoi de plus logique pour cette formation qui frôle les trous noirs. Mais si un « Dark 2.10 » faisait office de référence dans l’art si raw et brutal de Darkspace, comment tenir la cadence sur plus du double du temps ? Dark Space -II semble être l’album, ou l’EP, ou la performance artistique de tous les risques pour le trio suisse embarqué dans de biens sombres trips interstellaires…
Rassurons-nous, Darkspace ne vire jamais de bord. Ses caractéristiques sont toutes là, enfin presque. Si le groupe a trouvé son équilibre de production sonore avec Dark Space III I et ne sera pas plus « propre » ici, il garde sa science des riffs bien appuyés, ses « chants » toujours aussi étranges et ses nappes de synthés cosmiques typiques. Ces éléments se triturent alors sur une composition qui s’étale sur trois gros quarts d’heure sans jamais dévier d’un cap prédéfini, telle une dérive interminable dans le cosmos. On trouvera donc bien sûr ces touches dark ambient également typiques, qui se posent dès les premières minutes, avec une particularité qui sont ces étranges voix semblant issues d’une transmission perdue que l’on va entendre constamment en fond pendant toute la durée de l’œuvre, peu importe ce qu’il se passe musicalement par-dessus. L’autre fil rouge étant cette rythmique de batterie programmée qui va elle aussi tourner à l’infini et proposer une expérience particulièrement lancinante pour peu qu’on se concentre dessus. L’expérience de Dark Space -II sera donc très aliénante à sa manière, surtout que Darkspace oblige, l’atmosphère sera très noire, à peine illuminée par les étalages de leads habituels. Pour le reste, les compositions black metal seront classiques pour le projet suisse. En 47 minutes, peu de mouvements seront réellement distinguables et « Dark -2.-2 » ne sera finalement que peu « progressif ». L’équilibre entre synthés et riffs change de temps en temps, de même que les leads se mettent sur le devant de la scène, les chants varient, le milieu de course est un poil plus ambiant, mais c’est bien une expérience très monolithique que nous propose Darkspace. Il manquera néanmoins une caractéristique de la musique de Darkspace que sont ces passages blastés absolument terrassants, ces murs de son infernaux. Autant dire que Dark Space -II, privé de ces assauts, perd notablement en intensité et c’est aussi ce qui faisait le sel de Darkspace. « Dark -2.-2 » se retrouve donc un peu entre une démonstration artistique d’un groupe dont on connaît pourtant les talents, et une sorte de méga intro qui ne finit jamais, tel un voyage stellaire vers l’inconnu. Au début, la déception est énorme, 10 ans après. On finit par s’y faire car Dark Space -II est un trip qu’il faut assimiler, d’autant que les compos bien que sans surprise tiennent la route, avec quelques moments inspirés et efficaces et des leads astraux qui fonctionnent toujours. C’est une autre facette de Darkspace, une expérimentation un minimum réussie, plus sur la forme que sur le fond qui est reconnaissable entre mille, avec une ambiance toujours aussi prenante. Un « petit » retour en somme, qui dans un univers idéal ne servirait que d’interlude ou de remise en condition pour un Dark Space III II qui arriverait bien vite. On l’espère… car sinon, on attendait « Interstellar Le Retour » avec Matthew McConaughey, Sigourney Weaver et Mark Hamill, et là on aurait Kad Merad.
Tracklist de Dark Space -II :
1. Dark -2.-2 (47:12)