Chroniqueur doom, black, postcore, stoner, death, indus, expérimental et avant-garde. Podcast : Apocalypse
Qu'un groupe de black metal puise dans la littérature pour nourrir son œuvre, la chose est assez courante ; que son choix se porte sur un roman post-apocalyptique psychédélique et surréaliste écrit par un représentant de la Beat generation, voilà qui est moins commun. N'ayant pas lu l'ouvrage en question (Sucre de pastèque de Richard Brautigan), impossible pour moi de vous dire si la transcription musicale proposée par Somniate fait écho au matériau original. En revanche, je peux vous assurer que We Have Proved Death, le second album des Tchèques, est tout à fait réussi.
Si la longue introduction du premier titre,« I Am Here and You Are Distant », ne montre pas l'ensemble des talents de Somniate (et ils sont nombreux, j'y reviendrai), elle pose déjà une ambiance et une façon de faire. Le quatuor prend son temps dans la construction, il développe une atmosphère un peu clinique tout étant au bord de l'explosion et déploie un son riche et net. Mais c'est quand démarre la cavalcade de blast beat et que se pose le double chant possédé que toute la puissance de Somniate apparaît : derrière une apparente évidence se cachent des petits bijoux de composition et d'agencement. Les titres dépassent pour la plupart les cinq minutes et proposent tous un kaléidoscope d'idées variées mais amenées avec une cohérence indiscutable. Tantôt avec une approche assez mélodique (« A Lamb at False Dawn »), tantôt avec une volonté bien plus sauvage et agressive (« Non-You », « We Have Proved Death »), Somniate pioche dans différents registres de black metal et assemble le tout sans perdre l'auditeur. On lorgne parfois sur le terrain d'un Dark Fortress, avec la patine gothique en moins et une dose d'agressivité globale plus élevée.
Somniate propose aussi un travail très léché sur les transitions entre les morceaux, à base de petites séquence ambiant/noise qui lient les titres et renforcent l'effet concept album - tout en favorisant l'écoute intégrale. Parce que oui, We Have Proved Death vous happe rapidement et ne vous laisse pas partir facilement. Il y a tellement d'intelligence dans la composition et de finesse dans l'agencement qu'on a envie de suivre le groupe jusqu'au bout. Que ce soit une petite touche jazz placée là l'air de rien (« The Statue of Mirrors », « Black Soundless Sugar »), ou une embardée de violence inattendue, Somniate maintient éveillée votre attention tout au long de l'album par des relances toujours bien pensées et amenées (mention spéciale à la guimbarde sortie de nulle part sur « Black Soundless Sugar » et qui, aussi surprenant que cela puisse être, est parfaitement à sa place). Et bien sûr, il y a ce double chant : un cri dément et désespéré alterne avec une approche plus growlée et pleine de haine, si bien que sur ce point encore, on ne se lasse jamais.
Si le premier album des Tchèques se défendait très honnêtement, We Have Proved Death marque un changement de division (avec pour preuve la signature chez Lavadome). Avec une production moins raw sans perte de sauvagerie, un talent de composition qui s'affine et une approche qui embrasse largement l'éventail du black, Somniate se taille une jolie place parmi les sorties toujours aussi nombreuses dans le genre.
Tracklist de We Have Proved Death :
01.I Am Here and You Are Distant
02.A Lamb at False Dawn
03.The Statue of Mirrors
04.Black Soudless Sugar
05.Non-You
06.We Have Proved Death