Cephalophore – The Eye of Heaven
Black metal atmosphérique – USA (Autoproduction)

ZSK : Un one-man band américain de black atmosphérique sur bandcamp… c’est une occurrence que l’on voit souvent, alors il faut creuser pour trouver la perle rare. Voilà donc un nouveau challenger en la personne de Cephalophore, originaire de Baltimore et existant à peine depuis l’année dernière. Il n’empêche que le projet a, en date de la mi-février 2023, déjà sorti… six albums. On est donc sur un gros niveau de productivité, ce qui arrive souvent dans ce microcosme. Mais parti d’un étrange mélange entre math-metal et post-black sur Synthetic Memory, Cephalophore est en train de devenir plus consistant et intéressant.

Après Seraphimus, sorti le jour de l’an 2023, voilà The Eye of Heaven, par ailleurs accompagné d’un album ambiant du nom de The Light. Et quand je parlais de consistance… ce qui est le cinquième stuff de Cephalophore en un peu moins d’un an se permet d’aligner pas moins de 96 minutes à la toise ! Il va falloir être prêt à aller à l’aventure. Dans la lignée du prometteur Seraphimus, Cephalophore montre déjà tout son potentiel. Un black atmosphérique plutôt classique, agrémenté de quelques nappes de synthé, accompagné d’un chant criard d’obédience post-black (assuré par Azerate Nakamura qui fait partie de plusieurs groupes de brutal death), prenant vie au sein de cinq morceaux sacrément longs. Hélas illustrés par de (déjà) sempiternels visuels en IA, mais dont l’abstraction ont le mérite d’aussi poser une étrange ambiance.

Niché entre l’héritage du black cascadien (Wolves In The Throne Room, donc), du vieux Deafheaven et du black atmo plus commun, Cephalophore ne réinvente pas la poudre mais fait montre d’un bon savoir-faire du genre. Certes, The Eye Of Heaven se traîne en longueur, mais ce black atmo pas si dépouillé que ça s’avère très prenant, et l’incroyable morceau de clôture de 21 minutes qu’est « The Light, The Eye of Heaven » récompense l’attente. Seraphimus est plus immédiat et constitue encore une meilleure porte d’entrée mais The Eye Of Heaven est déjà un peu plus travaillé, prometteur mais déjà réussi. De toute façon, c’est le genre de projet qui sera capable de repondre un album de 2 heures du jour au lendemain, alors gardons le nom de Cephalophore en tête et restons alertes, car la qualité est là.

Minenwerfer – Feuerwalze
Black Metal assaisonné au shrapnel – Etats-Unis (Osmose Productions)

Matthias : Le grand suicide européen qui débute à l'été 1914, première guerre totale et industrielle, a de quoi inspirer bien des groupes de metal, et le black et ses différentes subdivisions ne manquent pas à l'appel, en particulier depuis le centenaire du début des hostilités. Et le genre s'y prête, mais il a quand même du mal à s'affranchir des images d'Epinal sur la Grande Guerre, la fameuse trilogie tranchées – barbelés – corps désarticulés. Des images d'horreur absolue façon Otto Dix qui collent très bien à l'esthétique des diverses musiques extrêmes, mais qui les enferment dans un vision très classique, très grand public en fait, d'un conflit bien plus large et varié. Quand s'ajoutent une focalisation germanique et un goût certain pour la croix de fer, le bingo BM WWI est complet ; parfois pour le meilleur (1914, Kanonenfieber), mais pas toujours.

Projet californien, Minenwerfer ne peut pas mettre en avant son origine géographique pour se justifier de son amour du stahlhelm et de la grenade à manche. Il n'empêche qu'on n'est pas dans le simple gimmick, les Américains savent de quoi ils parlent et se lancent dans un déluge de son et d'acier dès « Cemetery Fields », première piste de ce Feuerwalze qui est leur premier album chez Osmose Productions (mais Minenwerfer semble changer de label à chaque sortie). Le thème est très clairement l'artillerie et sa grêle d'acier qui défigure les terres et déchire les hommes, ce qui est pertinent, maid ne rend pas l'écoute des plus faciles. Le son est fort saturé, et les premières compositions balancent une lourdeur qui confine au techdeath agressif. Quelques soli nous permettent de souffler sur le très bon morceau éponyme, mais dans l'ensemble les pistes sont longues et très peu mélodiques ; c'est un choix. On notera quand même un « Labyrinthine Trench Sectors » dans lequel pointe la folie, la perte de tous les repères dans un réseau de boyaux noyés d'eau sale ou d'acier furtif où le terrain change à chaque bombe, broyant tous les fils d'Ariane.

Honnêtement ça n'est pas mon album préféré de Minenwerfer ; je retournerais plutôt vers un Nihilistischen et ses titans d'acier, plus classique dans sa musique mais plus original dans ses thématiques. Pour le reste, j'attends des groupes qui sortiront enfin la Première Guerre mondiale de l'Europe. Quid de la guerre lacustre africaine ? Des seigneurs de guerre sibériens et chinois ? Des corsaires du Pacifique ? Allez, un peu d'imagination et rompez !

Fleshmeadow – Domus Cadavra
Black metal technique – Norvège (Autoproduction)

ZSK : Dès que j’ai écouté les premières notes de Fleshmeadow, j’ai fait direct un constat facile : nous tenons ici un challenger à Vredehammer - qui vient du même pays en plus. Car oui, il n’a pas été facile de trouver un groupe capable de rivaliser avec Vredehammer, ou même une formation qui fasse peu ou prou la même chose que lui, à savoir un black metal résolument technique. Existant depuis 2013 et comptant notamment dans ses rangs Fabian Jiru, actuel chanteur de Trollfest, Fleshmeadow était passé inaperçu malgré un premier album en 2016 (Umbra) puis un EP en 2019 (Daymares).

Après un Umbra un poil plus classique - comme les débuts de Vredehammer en somme -, Fleshmeadow avait passé la seconde pour Daymares, en injectant une grosse dose de technique dans son black metal déjà relativement moderne, montrant en sus une certaine ambition avec des morceaux assez longs. Quatre ans plus tard, pas de deuxième full-length à l’horizon, hélas. Mais un nouvel EP 4 titres, Domus Cadavra. Qui se place logiquement dans la lignée de Daymares et commence très fort avec le tonitruant « The Long March to Total Annihilation » et ses riffs rangés et frénétiques façon black/thrash survitaminé mais ultra moderne. Et donc agrémenté d’un sacré touché technique.

Fleshmeadow enfonce alors le clou avec le très efficace « Polemos », mais ensuite, son art se tasse un peu, avec deux morceaux un peu moins remuants (même si « Insatiable Bloodlust » démarre à cent à l’heure). Mais non moins intéressants et qui permettent à Fleshmeadow d’élargir un peu sa palette, avec quelques plans plus mélodiques. A noter que pour cet EP, sont présents Bjørn Dugstad Rønnow (Borknagar) derrière les fûts et Gerlioz (Dimmu Borgir) derrière les claviers. Si le premier a été remplacé par le batteur de Koldbrann pour un contrat plein temps, l’équipe est prometteuse et ce Domus Cadavra est souvent jouissif. En attendant que Vredehammer donne un successeur à l’énorme Viperous, Fleshmeadow est à suivre de près en parallèle, et on espère aussi de sa part un nouvel album au plus vite, pour bien montrer qu’il existe du « techno-black » et que ça fonctionne du tonnerre.

Lamp of Murmuur – Saturnian Bloodstorm
Trve norvégo-californien black metal – USA (Argento Records)

Circé : Ah, Los Angeles. Hollywood, Sunset Boulevard, la chaleur et les palmiers... Et l'un des projets de black metal underground les plus intéressants de ces dernières années. C'était en tout cas le cas avec Submisson and Slavery, désormais avant-dernier album de Lamp of Murmuur. Cette cuvée née en plein covid avait une drôle d'odeur de crasse sublimée, avec sa prod lo-fi et son étrange esprit gothique mêlé à des riffs et blasts bien trve. Un album fort particulier, frais et inspiré. On attendait le successeur avec impatience. Et c'est là que le one-man band décide de poser un instant son originalité pour sortir quarante minutes d'hommage pur à Immortal et au TNBM. Adieu l'ambiance goth, les étranges arrangements sortis de nulle part, l'aura envoûtante qui englobait la musique. Alors certes, l'hommage est excellent. Chaque morceau demeure inspiré, blindé de riffs épiques pour chevaucher les vents glaciaux de Scandinavie... Servi par une prod cette fois plutôt propre et puissante, il s'agit définitivement là d'un des meilleurs albums du style que vous pourrez écouter cette année. Et dans cette catégorie tellement saturée, ce n'est pas peu dire. J'aurais été plus que ravie si n'importe quel autre groupe avait sorti cet album. Mais malgré le plaisir de l'écoute, le nom de Lamp of Murmuur sur la pochette laisse indéniablement un arrière goût amer : n'est-ce là qu'un petit pas de côté pour se faire plaisir, ou n'aura t-on plus jamais droit à la déroutante grandeur des sorties précédentes ?

Cursebinder – Drifting
Black metal psyché/progressif – Pologne (Avantgarde Music)

ZSK : Comme vous vous en doutez, je ne peux décemment pas intervenir dans une Série Noire sans poser un disque sorti par Avantgarde Music. Cette fois-ci, c’est Cursebinder, polonais de son état, qui s’y colle. Formé en 2019, il compte notamment dans ses rangs des membres de Dormant Ordeal, groupe de death metal dissonant qui s’était fait diablement remarquer pour son album The Grand Scheme Of Things (2021). Cursebinder, lui, évolue dans un tout autre registre, mais lui aussi particulièrement aventureux.

Classé comme groupe de « black psychédélique », Cursebinder ne donne pas vraiment dans quelque chose de bien perché à la Oranssi Pazuzu ni de très bruitiste à la Thaw (histoire de citer des compatriotes). On est plutôt dans un registre de black assez moderne, progressif à sa manière. Le côté « psyché » est davantage apporté par des nappes de synthé assez enfumées, plutôt variées et qui se font régulièrement remarquer au sein des 42 minutes constituant ce premier full-length qu’est Drifting.

Mais pour le reste, on est surtout assez proche d’un Waning, pour un black metal très froid, rocailleux mais mécanique, au tempo restant soutenu. Drifiting a du coup parfois du mal à vraiment décoller, mais les compos demeurent inspirées, les morceaux convaincants même si aucun ne tire vraiment son épingle du jeu. Evoquant par moments ses compatriotes d’Entropia (période Ufonaut), Cursebinder se place aussi dans la mouvance du black psyché en vogue (White Ward et consorts…), mais sans trop d’artifices. Encore un peu juste donc, mais il y a suffisamment de personnalité là-dedans pour faire de Drifting un album plaisant, et surtout prometteur. On se le note…

Supremative – Goat Blood Communion
Black bestial – Espagne (Crimson Tide)

Sleap : Histoire de faire drastiquement baisser le QI de cette rubrique, il est temps d’aborder le premier « album » de Supremative. Je mets album entre guillemets car, en réalité, il s’agit simplement d’une réédition LP digne de ce nom de la demo tape de 2020 (avec un titre en plus). Mais avec près d’une quarantaine de minutes au compteur, le terme « album » est finalement plutôt adéquat. Inutile de faire un dessin, le plus néophyte des blackeux pourra déduire le style pratiqué à la simple vue de la pochette. Artwork morbide et ritualiste blanc sur fond noir, gros logo rouge et un titre évocateur : Goat Blood Communion. Pas de doute, nous sommes ici dans le plus pur des Blasphemy-worships. À ceci près que les membres de ce power trio (guitariste/bassiste/batteur) sont tous les trois vocalistes, ce qui crée une dynamique supplémentaire tant les différentes vociférations ne cessent de s’entrechoquer dans ce tumulte quasi-permanent. Un black bestial totalement primitif qui saura nous faire oublier la séparation de leurs compatriotes de Proclamation il y a 10 ans déjà. Pour être honnête, en voyant la nationalité (espagnole) du groupe, j’ai cru à une reformation de ces derniers sous un autre nom. Mais ces trois gaillards sont en fait originaires des îles Canaries et officient depuis pas mal d’années dans divers combos plus ou moins consanguins du même genre. Affaire à suivre…

Gravekvlt – Gravekvlt
Black / speed – France (Frozen Records)

Circé : Les Nantais et Nantaises connaissent déjà sûrement bien le nom de Gravekvlt, et si vous regardez un peu les concerts underground français, il ne doit pas vous être inconnu non plus. Au programme, que du classique, que de l'efficace : du black, du speed, du heavy pour une pure ambiance 80s. Les riffs et la batterie forcent au headbang le plus frénétique qui soit, tandis que les parties vocales sont blindées de cris suraigus, de « ugh » et de refrains fédérateurs. Avec une durée inférieure à trente minutes, on n'a aucun temps mort, rien de superflu, pas de fioritures. « Ghoul's Whipser » ralentit un peu le tempo pour mettre une ambiance de vieux film d'horreurs, renforcée par l'interlude qui suit, et l'album reprend sur sa lancée avec trois derniers morceaux qui mettent une touche un peu plus mélodique sans pour autant perdre en nervosité. Quelque part entre Hexecutor, Devil Master et un Midnight inspiré, Gravekvlt combine atmosphère et art du riff pour un premier album qui met la barre assez haut dans un style qui n'est définitivement pas mort avec les 80s.