Non.
En 2020, Ellengaest a réellement été l'une des plus belles lueurs qui ait pu illuminer les temps sombres que nous traversions. Je ne sais combien de fois l'album a tourné et continue de tourner aujourd'hui, fait rare qui transforme un véritable coup de cœur en un album culte personnel. C'est donc avec beaucoup d'impatience que j'attendais Banefyre, dont quelques titres avaient déjà été dévoilés depuis juin dernier.
Un sentiment d'étrange et de mystère se dévoile au premier regard de la pochette proposée par Lucy Marshall. Il se trouve qu'elle transcrit à merveille l'essence de cet album, résumée par le nom du titre introductif « Incantation For The Different ». Les différent(e)s : les opprimés, les rêveurs, les pauvres (et les) pécheurs... Ce sont les protagonistes pointés du doigt par Crippled Black Phoenix, non pas pour s'en moquer mais bien pour leur dédier une œuvre et leur proposer des hymnes à scander. Bien sûr, la figure de la sorcière comme symbole moderne est parsemée çà et là tout au long de l'album : rien que le titre Banefyre fait écho aux feux de l'ancien temps du vieux continent. S'ajoutent des titres évocateurs comme « Wyches and Basterdz » et de nombreuses allusions. Allusions au spirituel, à la magie et à des concepts difficiles à saisir, insérées dans des grandes lignes quand même bien connectées au réel, au quotidien des persécuté(e)s (« Bonefire », « Blackout77 » et même de notre planète malmenée avec « Everything is Beautiful but Us »). Crippled Black Phoenix continue de nous émerveiller par le sens que le groupe arrive à insérer dans ses textes, que cela passe par l'identification de leur auditorat, la création d'images mentales très précises ou les nombreux clins-d'oeil à l'histoire ou à notre monde actuel.
Bien sûr, le style musical du groupe se prête habilement à ces thématiques avec un dark rock qui tire vers le post-rock et s'imprègne continuellement de nombreuses influences. J'y entends du post-metal, j'y entends du Esben and the Witch, des batteries assumées presque pop, des lignes de basse qui évoquent parfois un bel hommage à la musique goth, des pistes vocales aériennes à la Mazzy Star et des incrustations de trompette qui participent à donner cette couleur spécifique à Banefyre.
Si vous n'avez pas suivi, le groupe s'était séparé de son chanteur après le superbe album Great Escape. Ainsi, pour Ellengaest, la chanteuse restante s'était alliée à de nombreux guests, créant un tableau giga éclectique où de nombreux styles et voix prenaient place dans un ballet bien orchestré. Cela permettait également à la voix si envoûtante de Belinda Kordic d'être mise au premier plan, ce qui n'était pas pour me déplaire. Ici, Joel Segerstedt s'est installé pour lui donner la réplique et je dois avouer ne pas être très fan de son timbre, sur le long terme de l'album en tout cas. Par exemple, les belles bêtes de 13 et 15 minutes « Rose of Jericho » et « The Scene is a False Prophet » me touchent très peu, même si j'avoue que « The Reckoning » et « Blackout77 » fonctionnent très bien avec ses lignes vocales et le feeling pop qui les anime. On comprend bien sûr que tourner en live avec plusieurs guests doit être compliqué et qu'il a fallu retrouver un line-up stable avec un chant masculin, toutefois c'était l'explosion de tessitures et de registres qui faisait le plus gros atout du précédent album, atout qu'on perd inévitablement ici.
Sans surprise, ce sont donc les titres qui mettent en avant la voix de Belinda Kordic qui me plaisent le plus. « Everything is Beautiful but Us » m'a mis une claque immédiate lorsqu'il est sorti en single, « Bonefire » également car le titre mêle à merveille les élans des deux vocalistes. Lors de la première écoute de l'album, j'ai également été happée par le superbe « Wyches and Basterdz » puis « Down the Rabbit Hole » pour son feeling étrange, progressif et à la limite du psychédélique. Cela n'est toutefois rien comparé au tube absolu dont je ne me lasse pas : « Ghostland ». Son aura plus sombre et martiale, placée en début d'album, m'a complètement surprise car je ne m'attendais à rien de la sorte venant de Crippled Black Phoenix.
On retrouve donc bien sûr la patte inévitablement éclectique du groupe sur Banefyre, mais l'éclatement des tendances et des styles reste plus chaotique que sur le précédent album (qui était pourtant extrêmement varié). Dans ce joyeux bordel, tout garde cependant un feeling très pop, même dans la noirceur proposée. Il y a un constant mélange de lumière aux mélodies claires et d'une impression de ballades lancinantes de fin du monde. Les titres, dans leur majorité, pourraient être utilisés comme génériques de fin de films mélancoliques mais épiques. Banefyre dresse un tableau large, qui prend le temps de s'attarder sur de nombreuses thématiques qu'on a pu évoquer plus tôt, car Crippled Black Phoenix semble être un groupe qui a des choses à dire. Le parallèle avec le cinéma n'est pourtant pas si tiré par les cheveux quand on voit la longueur de l'album, dont je n'ai pas encore parlé et qui est pourtant l'une des caractéristiques les plus importantes de Banefyre : 1h37 ! Une durée qui rappelle celle de nombreuses œuvres du septième art, bien que le film de genre soit plutôt du genre à s'étirer un poil en longueur (que ce format court pour le cinéma et long pour un album). D'ailleurs, une durée finalement trop longue pour moi, qui perds l'attention au bout de 45 minutes et, je pense, pour la plupart des auditeurs et auditrices, qui seront un peu perdus dans l'affluence de données que propose Banefyre. Un peu trop distordu ? Perché ? Éclaté ? Après de nombreuses écoutes, j'en garde un souvenir de tubes inégalables noyés dans un peu trop de propositions floues ou portées par le nouveau chanteur qui ne me convainc pas.
1. Intro/Incantation For The Different
2. Wyches And Basterdz
3. Ghostland
4. The Reckoning
5. Bonefire
6. Rose Of Jericho
7. Blackout77
8. Down The Rabbit Hole
9. Everything Is Beautiful But Us
10. The Pilgrim
11. I'm OK, Just Not Alright
12. The Scene Is A False Prophet
13. No Regrets (bonus track)