"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Quand un groupe décide d’annoncer quelque chose d’aussi ambitieux qu’une tétralogie d’albums, il y a forcément un peu d’attente derrière. Et il y en a d’autant plus quand les deux premiers chapitres sont déjà à la hauteur, qu’ils sont sortis à un an d’intervalle et qu’il y a déjà de belles progressions et améliorations entre le premier et le deuxième opus. Autant dire que Panzerfaust, qui existe pourtant depuis 2005 et avait sorti 3 albums avant d’entamer sa tétralogie, est déjà suivi de près et commence à se faire un nom - en multipliant les concerts des deux côtés de l’Atlantique d’ailleurs. Il y a donc 3 ans, le quatuor canadien entamait sa série de 4 albums englobée d’un concept Orwellien avec The Suns Of Perdition - Chapter I: War, Horrid War. Mais, et je suppose que c’était le cas de pas mal de monde dont moi, c’est surtout The Suns Of Perdition - Chapter II: Render Unto Eden qui a vraiment fait découvrir Panzerfaust au plus grand monde. Le Black/Death orthodoxe de la formation, lorgnant vers une partie de la scène polonaise et Kriegsmaschine en particulier, s’était révélé plus que prometteur et même déjà très réussi, avec des pépites comme "The Snare of the Fowler". De quoi dépoussiérer un genre qui a du mal à produire quelque chose de vraiment marquant ces dernières années, à part les grands noms habituels ou quelques surprises - citons le Français Triste Terre, dont on aimerait bien avoir des nouvelles fraîches d’ailleurs. La suite était donc attendue avec impatience, surtout que Panzerfaust ne semble pas vouloir perdre de temps pour boucler sa tétralogie. Cette fois-ci, il aura tout de même fallu compter sur un délai de deux ans presque pile. Voilà donc la suite de l’« histoire », The Suns Of Perdition - Chapter III: The Astral Drain, toujours chez Eisenwald.
On s’imagine bien que pour ce genre de suite d’albums conceptuelle, il ne va pas y avoir de grands changements musicaux, même si certains ont pu tenter l’exercice (je pense à, dans un style qui n’a vraiment rien à voir, Division Alpha qui lui aussi avait sorti une tétralogie mais avec des atmosphères différentes au fil des albums). Render Unto Eden marquait surtout une progression dans la forme par rapport à War, Horrid War, et ça sera encore le cas ici. Panzerfaust dispose désormais d’un son presque parfait, avec beaucoup de relief, des sons de basse très présents sans renier son côté résolument organique, tempérant drastiquement le côté parfois brouillon et brut de Render Unto Eden. S’il doit y avoir du changement, ça serait donc a priori plus sur la forme… mais en vérité, Panzerfaust va un peu varier les plaisirs. Si les bases et influences sont toujours les mêmes, de même que la plupart des éléments caractéristiques de la formation (notamment ce duo de chants, toujours aussi prenants et possédés), l’atmosphère elle va évoluer, entraînant d’autres singularités dans son sillage. The Astral Drain se posera donc, dès les premières écoutes, comme l’album le plus aéré et le plus introspectif de Panzerfaust. Le tempo s’emballe rarement, l’agressivité n’est pas forcément de mise ou s’exprime de manière bien particulière, les mélodies sont pas mal présentes et dégagent même ici et là beaucoup de lumière. Ne nous trompons pas, The Astral Drain reste un album très noir, occulte mais encore à sa manière, mais tout ceci est très contenu, d’une intensité présente à chaque instant mais volontairement retenue. On notera d’ailleurs que pour enfoncer le clou, si comme pour les deux premiers chapitres il y a 5 « vrais » morceaux, Panzerfaust a ici choisi de les séparer par des interludes. The Astral Drain sera donc un album finalement assez différent de ses deux prédécesseurs sur une bonne partie d’un versant, et va apporter une autre sorte de pierre à l’édifice de la tétralogie The Suns Of Perdition.
Et on le constate dès l’ouverture sur le fleuve "Death-Drive Projections". Le départ n’a jamais été aussi épique pour du Panzerfaust, et le reste n’a jamais été aussi mélodique et aéré. Les Canadiens œuvrent ici dans un registre bien plus posé et feutré, même si l’on garde à l’esprit que l’on a toujours affaire à du Black-Metal plutôt orthodoxe. Pour que l’agression soit de mise, il faudra attendre la seconde partie du plus noir "B22: The Hive and the Hole", où une batterie plus offensive, un chant plus hargneux et des leads plus torturés et dissonants vont se faire entendre. Pour que, finalement, le groupe reparte aussi sec dans la lumière avec un "Bonfire of the Insanities", morceau de loin le plus atmosphérique de The Astral Drain… mais aussi, à vrai dire, le plus réussi, car finalement en s’aérant plus que de raison Panzerfaust arrive à rafraîchir son style, et le résultat est ici assez sublime, avec de véritables moments de grâce et un gros travail sur le son (ces basses sur le « refrain »…). Dommage qu’ensuite Panzerfaust choisisse la facilité avec un "The Far Bank at the River Styx" certes plus remuant mais qui donne dans un Mgła-worship bête et méchant qui n’était pas nécessaire. Mais on le sait, de Mgła à Kriegsmaschine il n’y a qu’un pas, et le morceau le plus marquant de The Astral Drain sera… un interlude, "Enantiodromia", qui pendant presque 6 minutes s’adonne à un travail percussif occulte imparable qui évoquera sans mal l’incroyable "Ascetiscim and Passion" des Polonais. Ce qui est finalement bizarre avec The Astral Drain, c’est qu’on a l’impression d’avoir affaire à un album presque entièrement rempli de morceaux « de transition », qui ont une bonne progression en soi mais qui manque d’explosions pour conclure le tout en fanfare. A vrai dire ça n’arrivera qu’une fois, pour le final "Tabula Rasa", qui démarre de manière assez noire et lourde avant un final en trombe absolument magistral. Donc, ce Chapter III sera-t-il vraiment un album de transition avant un Chapter IV final qui va tout détruire ? On l’espère et si ce qui est proposé sur The Astral Drain fait vraiment office d’ouverture à une conclusion flamboyante, ça risque d’aboutir sur quelque chose d’historique tant le potentiel est là depuis Render Unto Eden. En attendant, The Astral Drain laisse quand même un sentiment mitigé, l’impression que le groupe ne se lâche pas comme il le pourrait, mais le choix semble assumé bien qu’il ne fonctionne pas toujours, entre passages formidables et mémorables, et longueurs ou manques de peps. On tirera toutes les conclusions qui s’imposent à la sortie du prochain et dernier chapitre, mais au bout, Panzerfaust aura peut-être réussi à faire quelque chose de grand. Et c’est tout à fait possible…
Tracklist de The Suns Of Perdition - Chapter III: The Astral Drain :
1. Death-Drive Projections (10:37)
2. The Fear (1:29)
3. B22: The Hive and the Hole (7:04)
4. The Pain (0:38)
5. Bonfire of the Insanities (7:27)
6. The Fury (1:21)
7. The Far Bank at the River Styx (6:48)
8. Enantiodromia (5:54)
9. Tabula Rasa (6:20)