Chroniqueur doom, black, postcore, stoner, death, indus, expérimental et avant-garde. Podcast : Apocalypse
Parmi les musiciens dont l'ombre plane sur les musiques extrêmes de ce début de millénaire, Greg Anderson tient une place de choix. Si ses deux projets principaux (Sunn O))) et Goatsnake) ne parlent sans doute pas à toutes les oreilles, il y a en revanche toutes les chances pour que l'un des projets de Southern Lord Records fasse partie de vos classiques, tant le label a signé des groupes dans des registres différents tout en restant d'une exigence sans faille quant à la qualité. Et c'est bien ce bon Greg qui se cache derrière ce nouveau projet répondant au nom de The Lord et dont le premier album sort bien entendu chez Southern Lord.
Toujours amateur de guitares ronflantes et immersives, Anderson nous accueille sur ce nouveau terrain de jeu avec un premier morceau intitulé THEME et dont les quelques notes répétées en boucle réapparaîtront çà et là sur l'album, à la manière d'un thème musical dans un film. The Lord se veut d'ailleurs une forme d'hommage à des compositeurs de musique de film, citant Carpenter ou Bernard Hermann. Il se dégage immédiatement de ce premier titre quelque chose de très spooky, presque de la peur surannée et adolescente mais avec un son que l'on ne peut prendre qu'au sérieux. La suite va précisément vers quelque chose de très solennel avec l'orgue grandiose qui structure Church of Hermann et sur lequel se posent les accords longs et volumineux si chers à Anderson. Faisant appel à des paysages musicaux variés mais cohérents, Forest Nocturne déroule presque un scénario, ou à tout le moins vous embarque dans une traversée où chaque mouvement (ou morceau, comme vous préférez) peut offrir au précédent une lecture nouvelle, et inversement. Le bizarre et inquiétant Lefthand Lullaby I (une reprise du THEME avec un clavier angoissant) peut être entendu comme une mélodie diabolique et hypnotique, mais son rôle se transforme lorsque la partie II arrive et prolonge le cauchemar vers des profondeurs encore plus noires et touffues : on croyait s'enfoncer dans la forêt alors que nous n'en contemplions que l'orée.
The Lord repose donc sur le drone de guitare qui a fait la renommé d'Anderson mais d'une manière plus construite, plus riffée presque. Là où Sunn O))) semble naviguer à vue, il y a quelque chose de plus rigide et construit chez The Lord, de plus scénarisé encore une fois. Ce qui impressionne toujours en revanche c'est bien cette capacité à créer de grandes cathédrales de sons avec toujours aussi peu d'artifice, de rester dans une forme de minimalisme sans jamais tomber dans l'ennuyeux ou le rébarbatif. Même le THEME, si souvent répété qu'il en devient presque rassurant, avec ses quelques notes en boucle a cette aura fascinante qui caractérise les travaux d'Anderson. Et bien sûr, on retrouve sur l'album le compagnon Attila Csihar qui vient, sur Triumph of the Oak, le dernier titre évidemment, au cœur de la forêt et de la nuit, poser sa voix et ses grognements hantant encore davantage les lieux comme s'il y en avait besoin.
Comme souvent avec Greg Anderson, poser des mots sur quelque chose d'aussi peu conventionnel afin d'en faire ressentir la teneur est délicat. The Lord est drone. Mais c'est aussi la BO d'un cauchemar où se croisent claviers inquiétants et ronflements électroniques. C'est également une contemplation d'une nature menaçante que l'humanité a redoutée pendant des millénaires et qui est aujourd'hui en passe d'être réduite à des colonnes de chiffres dans des tableurs Excel afin d'exorciser cette peur, quitte à ce qu'on en crève tous à la fin. The Lord ramène du mystique dans ce monde, rappelle qu'il y a des choses qui dépassent nos concepts et médite sur le canevas des légendes de la nuit des temps.
Tracklist de Forest Nocture :
01.THEME
02.Chruch of Herrmann
03.Lefthand Lullaby I
04.Lefthand Lullaby II
05.Forest Wake
06.Deciduous
07.Old Growth
08.Triumph of the Oak
