"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
En termes de sortie d’un album de musique, il faut toujours essayer d’apporter une notion de contexte. Une sortie qui aurait pu paraître anodine - ou au contraire très attendue - peut se transformer en tout autre chose que ce qui était prévu, et cela à cause de moult éléments. Il se pose aussi la question de la promotion dudit album en amont, et en termes de contexte, il faut dire que la période pandémique que nous avons traversée a provoqué et fait bouger beaucoup de choses. Nombreux sont les artistes qui ont du sortir de leur plan défini à l’avance, surtout ceux qui comptent sur les Lives et tournées pour promouvoir leur nouveau bébé. Des albums pourtant fin prêts ont donc été repoussés pour mieux coller à l’exposition que voulaient avoir les groupes. La formation suédoise The Great Discord n’y a pas été étrangère, et ce n’est que près de 9 mois après son annonce initiale avec un premier extrait - en mai 2021 donc - que son troisième album Deam Morte sort enfin. Cela, visiblement, pour coller au plus près de leur release party… on passera sur cet argument (d’autant que cette release party a fini par être annulée…!), toujours est-il que là aussi, le contexte a changé. Et The Great Discord l’a changé presque involontairement. Pour combler cette attente, le groupe notablement mené par l’ex-batteur de Ghost Aksel Holmgren aura été généreux tout au long des 9 mois d’attente en arrière-boutique de Deam Morte. Ce ne sont pas moins de 7 (!) singles qui auront été dévoilés de manière régulière, toujours accompagnés de clips travaillés d’ailleurs. A l’arrivée de l’album complet, nous n’aurons donc plus qu’à découvrir 3 nouveaux morceaux de The Great Discord, dont… un interlude et un morceau un peu à part. On peut trouver d’autres exemples dans le Metal mais je me souviens que Harakiri For The Sky avait fait pire avec Arson en 2018, seul… un des sept morceaux qui le composait n’avait pas été dévoilé avant la sortie de l’album complet. Et mine de rien, à moins que l’on ne choisisse sciemment de ne rien écouter, cela casse un peu la découverte de l’album que finalement, on connaît déjà aux ¾ au moment de sa sortie. Le contexte change, et cela va bousculer l’avis final sur un album que l’on attendait de pied ferme après le fantastique effort qu’était The Rabbit Hole (2017)…
Revenons déjà sur la carrière de The Great Discord, un groupe qui aurait du exploser bien plus tôt mais qui a connu une trajectoire étrange. Signé chez Metal Blade pour Duende (2015), le groupe était ensuite passé chez The Sign Records pour The Rabbit Hole, où… il n’avait finalement rien à faire là au milieu de tout le catalogue de Hard Rock vintage de l’écurie. Après un EP, Afterbirth (2019), sorti dans l’anonymat, The Great Discord se présente désormais chez « Pazuzu Recordings », mais cela dénomme en réalité… leur studio d’enregistrement. The Great Discord est donc, comme d’autres, cantonné à l’autoproduction, par choix ou non cela leur appartient, mais c’est quand même grandement triste que le talent de la formation ne soit pas plus reconnu et se retrouve presque réservé aux initiés. Le groupe de « Progressive Death Pop » qui cache un Metal moderne légèrement technique ultra accrocheur et touffu, porté par les vocaux délicieux de Fia Kempe, qui s’est trouvée un nouvel alter-ego en la personne de « Dea », The Great Discord travaillant toujours le fond et la forme. Après un The Rabbit Hole calqué sur l’œuvre de Lewis Carrol, Deam Morte s’éparpille peut-être un peu plus sans concept précis mais le style est toujours là, et toujours aussi personnel et finalement reconnaissable entre mille. On avait donc bien eu le temps de découvrir ce que Deam Morte allait nous proposer grâce à ses… sept singles. C’est assez frustrant de devoir aborder cet album davantage comme une collection de singles avec des inédits (et assez court, 35 minutes). Un peu comme quand TesseracT avait sorti One alors que l’on connaissait déjà la majeure partie de l’album avec l’EP Concealing Fate, les singles et les morceaux repris des démos. Fichu contexte… qui ne devrait pas nous empêcher d’apprécier ce troisième album de The Great Discord après un Duende prometteur et un The Rabbit Hole fantasmagorique. Et cela faisait quand même cinq ans que l’on attendait la suite de ce dernier. Qu’attendre de cet album qui passe après un chef-d’œuvre, là aussi un contexte compliqué et particulier ?
The Great Discord n’a finalement pas bougé son style d’un pouce, et même mieux, Deam Morte sera son album le plus « Metal », laissant un peu de côté les velléités plus cotonneuses et poétiques de The Rabbit Hole. On avait déjà pu le constater dès le premier vrai single plutôt percutant, bien que relativement simpliste, qu’était "Blood and Envy". Bien sûr, on a toujours affaire à des morceaux « pop » dans l’esprit, qui se veulent accrocheurs en toutes circonstances, portés par la voix toujours maîtrisée de Fia bien que le plus traînard "Gula" - que je n’appréciais pas vraiment en single - lance assez mal l’album passé l’introductif "Arrival". Mais ensuite, il y a de quoi faire. Entre le plus aéré et mélodique "Recalcitrance" - toujours animé par cet esprit un peu Circus/Avant-Garde Metal - et les très efficaces "Dies Irae" (qui aborde le sujet des violences conjugales) et "Noonday Devil" en passant par le fort joli "Avarice", la qualité est toujours là et le talent de The Rabbit Hole est loin d’avoir été perdu en 5 ans (enfin, 4 ans, le temps que l’album finisse par sortir). Mais voilà, pour peu qu’on ait pas pu se retenir d’écouter encore et encore les singles au fur et à mesure de leurs sorties, on a vite fait le tour de Deam Morte, encore plus si on avait poncé les deux précédents album vu que le style est resté le même, sans nouveauté notable. Seuls trois « inédits » seront donc à découvrir par les fans, dont… un interlude ("Interlude in D Minor"), un morceau à part car plus électronique ("Wildfire"), et le final "No Light", plutôt bon en soi mais qui n’apporte rien de plus à l’équation si ce n'est un autre nouveau morceau de The Great Discord. Double peine de contexte donc, car passer après un album tel que The Rabbit Hole était difficile, surtout que Deam Morte est un opus qui reste à l’essentiel, cherchant davantage à créer de nouveaux tubes, ce qu’il arrive pourtant à faire ("Blood and Envy", "Dies Irae", "Avarice" sont de sacrés hits). Sentiment curieux donc, Deam Morte se posant malgré lui comme un « album à singles », ce qu’on attendait pas forcément d’un album de Metal à la base même si pour un groupe plus ou moins revendiqué comme « Pop Metal », ça tomberait sous le sens. Deam Morte est un bon album, ne nous trompons pas, mais disons au minimum que les deux précédents avaient tout dit et ce troisième effort apporte avant tout de nouveaux morceaux de The Great Discord, réussis et encore très accrocheurs mais sans révolution. Une bonne porte d’entrée pour ceux qui ne connaîtraient pas encore la formation car l’efficacité est de mise ici, mais il faudra se tourner vite vers The Rabbit Hole pour saisir tout le talent de la formation suédoise. Qui, hélas, comme d’autres, est un peu victime du contexte particulier de ces deux dernières années…
Tracklist de Deam Morte :
1. Arrival (2:29)
2. Gula (3:30)
3. Blood and Envy (3:48)
4. Recalcitrance (3:15)
5. Dies Irae (4:20)
6. Wildfire (4:12)
7. Noonday Devil (3:20)
8. Interlude in D Minor (0:59)
9. Avarice (3:51)
10. No Light (5:37)