"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
On le savait, Negură Bunget a brusquement et tristement cessé son existence en mars 2017, suite à la mort de son batteur - et dernier membre fondateur - Gabriel « Negru » Mafa. Une fin qui a laissé une œuvre inachevée, le groupe roumain ayant entamé une « trilogie transylvanienne » avec les albums Tău (2015) et Zi (2016) qui n’aura pas de conclusion. L’esprit de Negură Bunget et son Black atmo folk et shamanique ne s’éteindra pas pour autant, avec un héritage partagé. Entre Sur Austru, groupe fondé autour des membres subsistants du dernier line-up de Negură Bunget, auteur jusque là de deux excellents albums, Meteahna Timpurilor (2019) et Obârșie (2021) ; et Dordeduh, le « dissident » formé par Hupogrammos et Sol Faur après leur départ de Negură Bunget en 2009, qui a enfin sorti en 2021 également son deuxième opus, Har. Negură Bunget continuera donc à vivre de cette manière, mais… car il y un mais. Et une grosse surprise à la clé. A l’automne 2021, Prophecy Productions aura pris tout le monde de court en annonçant… la sortie d’un nouvel et ultime album de Negură Bunget. Et pas n’importe lequel, Zău, qui est tout simplement la conclusion qui était prévue à la trilogie transylvanienne. Un tour de passe-passe rendu possible grâce à une information qui était restée secrète : avant son décès, Negru avait en effet déjà enregistré les parties de batterie prévues pour cet album. Des démos, répètes et autres travaux en cours concernant cet album à venir avaient également été soigneusement gardés, et le reste du groupe subsistant a finalement bossé dessus pour concocter un ultime album, clôturer la trilogie et mettre fin proprement à l’aventure Negură Bunget. On retrouve donc au générique final le chanteur Tibor Kati, le préposé aux instruments folk Petrică Ionuţescu (tous deux chez Sur Austru), et le guitariste/claviériste Adi Neagoe (aussi vu chez Din Brad) pour cet ultime tour de piste. Histoire d’achever l’histoire, dans le plus grand des respects. Inattendu, mais terminant une année riche pour l’univers si particulier du groupe roumain qui a finalement acquis un certain statut de légende…
Il faut pourtant bien avouer que Tău et Zi n’étaient pas ce que l’entité Negură Bunget avait fait de mieux, même s’il était dur de passer après un album exceptionnel comme Om (2006) et même un excellent Vîrstele Pămîntului (2010). La hype autour du groupe étant bien retombée à l’époque, Negură Bunget allait terminer sa carrière dans un relatif anonymat, avec un Tău plutôt anecdotique et un Zi assez bancal. D’aucuns diraient que terminer cette voie sur Zău n’était pas forcément nécessaire, surtout que Sur Austru avait brillamment pris le relai. Mais, et c’est là qu’est l’autre surprise, Zău va finalement terminer le périple de Negură Bunget dans un dernier souffle insoupçonné. Pour cela, ce dernier effort va changer quelques équilibrages et repartir dans une dimension plus épique. Dans la lignée, logique finalement, du dernier morceau plus aéré de Zi qu’était "Marea Cea Mare". Et cela commence déjà en apothéose avec l’incroyable et formidable "Brad". Qui, du haut de ses 16 minutes, est tout simplement… le morceau le plus long de la discographie de Negură Bunget, dépassant même "III" de ‘N Crugu Bradului ! Démarrant de manière forcément folklorique, "Brad" s’embarque ensuite dans des passages ambiants particulièrement enivrants, nantis en plus d’une excellente production sonore qui nous plonge entièrement dans cet univers shamanique. Accompagné des magnifiques vocaux de Manuela Marchis (Katharos XIII), "Brad" déborde d’epicness minute après minute. Une ouverture absolument fantastique, totalement inattendue pour un album inattendu, qui multiplie ensuite les montées de trémolos très prenantes. Le chant de Tibor Kati est aussi à son meilleur et on plane vraiment au-dessus de tous les paysages transylvaniens. Dire que cette pépite n’a failli jamais voir le jour ! L’art de Negură Bunget n’avait jamais été aussi raffiné et lumineux. Autant dire que ce chant du cygne va valoir le détour, sera tout sauf une conclusion sortie en catimini et sera un bel hommage, digne de la vision artistique de feu-Negru.
"Iarba Fiarelor" s’ouvre avec la même verve, tout en instrumentations folk fantasmagoriques à souhait. Avant de réellement explorer l’aspect le plus Metal de la musique de Negură Bunget, toujours de manière très épique notamment dans l’emphase apportée par les synthés. Il y a vraiment beaucoup de lumière jusque là, il est même presque difficile de réellement parler de Black-Metal même si certaines bases sont toujours là. "Obrăzar" et "Tinerețe Fără Bătrânețe" seront quant à deux plus classiques, avec des intros folk toujours aussi enivrantes mais des compos plus ou moins lourdes sans grand relief, s’écoutant malgré tout sans déplaisir. L’exploit de "Brad" n’est pas répété sur l’intégralité de l’album, mais ce Negură Bunget est en forme pour son bouquet final (à l’image des passages plus mordants et même blastés de "Tinerețe Fără Bătrânețe"). Le grand final en vaudra quand même largement la peine, "Toacă Din Cer" clôturant donc définitivement la discographie de Negură Bunget de manière classieuse. Avec une performance remarquable de Tibor Kati au chant clair plus émotionnel que jamais, tandis que Adi Neagoe nous livre un dernier étalage de compos épiques et même de sublimes mélodies (le passage débutant à 5’36 est vraiment doré à l’or fin), avant une conclusion folkisante aux airs de requiem shamanique. C’est qu’on aurait presque la larme à l’œil… 25 ans après son premier album, Negură Bunget meurt de sa belle fin, s’éteint en laissant un dernier souvenir plus qu’agréable. Même s’il est au final assez hétérogène, Zău est un des meilleurs albums du « groupe » et mérite très nettement de figurer aux côtés d’un chef-d’œuvre comme Om. Concluant en sus une année faste pour ce microcosme roumain avec Obârșie de Sur Austru et Har de Dordeduh, cette épitaphe de Negură Bunget est un très bel album, se permettant même de relever le niveau après les deux premiers chapitres de la trilogie. Un testament surprise, qui s’appréciera donc d’autant plus qu’il était imprévu, et qui laissera Negură Bunget à la postérité avec de fantastiques dernières performances comme "Brad" et "Toacă Din Cer". Ramas Bun !
Tracklist de Zău :
1. Brad (15:53)
2. Iarba Fiarelor (8:29)
3. Obrăzar (6:58)
4. Tinerețe Fără Bătrânețe (7:59)
5. Toacă Din Cer (11:39)