"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Plus de 10 ans après son éclosion, il ne reste plus grand-chose de la scène Djent, entre gros groupes qui ont tranquillement poursuivi leur carrière et espoirs qui laisseront le regret de ne jamais avoir percé. Tant mieux diront les plus perfides, mais il ne faut pas oublier que certaines formations avaient tenté quelque chose d’un peu différent et auraient mérité mieux que de tomber dans l’oubli. Si il y en a bien une qui se situe à la croisée de tous ces chemins possibles, c’est bien Vildhjarta. Seul groupe de Djent reconnu venant directement du pays du grand inspirateur de la scène, Meshuggah, donc la Suède, Vildhjarta après une unique démo (Omnislash, 2009), s’était bien distingué avec son premier album Måsstaden en 2011. Quand un Periphery flirtait avec le Metal mainstream, quand un TesseracT ou un Stealing Axion affirmait ses tendances prog, quand un Monuments restait dans un Djent pur et dur avec quelques expérimentations, le groupe suédois prenait un tournant totalement différent. Sombre, dissonant, complexe et fait d’innombrables cassures et d’ambiances déroutantes, Måsstaden était un album qui détonait complètement dans la scène Djent. A tel point qu’il s’est bien mis à la marge du reste de la mouvance Djent, et avait pu diviser, en bien comme en mal. De par sa différence, près de 10 ans après, Vildhjarta est encore considéré comme un des seuls groupes de Djent valables par beaucoup, de par son aspect beaucoup plus osé et moins cheesy. Mais alors qu’il pouvait s’imposer en tant que tel, Vildhjarta est finalement resté dans l’ombre. Un EP est sorti en 2013 (Thousands Of Evils) et depuis, bah, plus rien, ou presque. C’est finalement assez triste tant on aurait voulu bien plus et plus vite. Mais jamais le groupe n’a été considéré comme mort pour autant, et son grand retour se sera fait attendre des années durant. On aura cru que c’était bon en novembre 2019 pour la sortie du single "Den Helige Anden", mais Vildhjarta restera encore un peu tapi au fond de son étrange forêt mystique. Ce n’est qu’au printemps dernier que la sortie d’un second single, "När de du Älskar Kommer Tillbaka från de Döda", accélérera un peu les choses. Même si la mention délivrée à cette occasion par Century Media de « Måsstaden Under Vatten » restera encore un temps énigmatique. Mais il s’agira bien du nom du tant attendu deuxième album de Vildhjarta - « Under Vatten » signifiant… « sous-marin » ?! - et l’attente qui culminera à 10 ans est donc enfin terminée. Est-ce que ça valait le coup ?
Alors… oui, déjà, car ce Måsstaden Under Vatten sera du genre pantagruélique. 17 morceaux, 80 minutes. Sachant qu’outre le single "Den Helige Anden" et les deux courtes sorties de Stoort Neer - projet du guitariste Calle Thomér - on avait pas eu grand-chose à se mettre sous la dent dans l’« esprit » de Vildhjarta, ça va faire beaucoup d’un coup. Måsstaden Under Vatten dépasse même de la durée technique d’un CD pour quelques dizaines de secondes et Century Media l’a fait presser en 2 CDs, séparant l’album entre "Heartsmear" et "Vagabond". Cela rendra ce pavé un peu plus digeste, ou pas selon votre niveau de tolérance, toujours est-il que pour son retour Vildhjarta ne plaisante pas et semble même vouloir un peu rattraper son retard. Après, en 10 ans, il y a forcément eu des évolutions. D’ailleurs le line-up de Vildhjarta a tout simplement fondu, de 7 (!) membres, la formation suédoise est passé à 4. Il ne reste plus qu’un des deux chanteurs - Vilhelm Bladin, celui qui la voix la plus grave ; il n’y a même plus de bassiste attitré et on ne retrouve qu’un duo de guitaristes, Daniel Bergström (seul membre fondateur) et donc Calle Thomér ; et enfin notons que le batteur a changé, c’est désormais le compère de Calle chez Humanity’s Last Breath, Buster Odeholm, qui se retrouve derrière les fûts. Mais qu’on se le dise, Vildhjarta n’a pas bougé d’un pouce. Il pratiquera toujours le Djent dissonant et très dark introduit sur Måsstaden, ce qui de toute façon était d’ores et déjà confirmé par le single "Den Helige Anden" (réenregistré ici sous une version sous-titrée « Under Vatten »). Vildhjarta va même encore pousser plus loin certaines choses. Déjà, le fait que nous n’ayons plus qu’un seul des deux types de chant - et le plus grave en sus - va encore assombrir le propos (avec des paroles à 100% en Suédois au passage). L’influence du Deathcore bien lourd de Humanity’s Last Breath va aussi se faire sentir et va finir d’alourdir le registre. Et Vildhjarta a mis le fond et la forme en ajoutant une production assez colossale qui va achever le tout avec un sous-accordage de grattes au summum de sa puissance. C’est dit, le groupe le plus noir et le plus lourd de la scène Djent va effectuer un retour proprement grandiose. On repart donc dans les forêts suédoises pour une balade nocturne qui va laisser c’est sûr de grosses séquelles à ceux qui oseront s’y aventurer…
L’instrumental (plutôt qu’une intro) "Lavender Haze" va ouvrir Måsstaden Under Vatten tout en compos virevoltantes et complexes, mais au bout de moins d’une minute, Vildhjarta va déjà se faire plaisir et introduire directement une des particularités marquantes de son deuxième album : des riffs ultra-lourds et pesants, qui cognent sévèrement. Les musiciens suédois vont alors multiplier tout au long de ce long Måsstaden Under Vatten ces passages en forme de descentes d’organes qui font vraiment très mal et qui se feront immédiatement remarquer ("Toxin", "Den Helige Anden", "Passage Noir", "Vagabond", "Sunset Sunrise"… notamment). Si vous aimez le Djent quand il est bien balourd, il est certain que vous allez être servis car Vildhjarta se lâche sensiblement sur ces passages de riffing bien lents et glauques. Quitte à limite flirter avec du Sludge/Doom par moments ("Passage Noir", "Sunset Sunrise Sunset Sunrise"). Si Måsstaden était déjà sombre à souhait, son successeur Under Vatten pousse les composantes à leur paroxysme. Bien évidemment, la dissonance latente est toujours là, presque omniprésente et parfois très poussée ("Mitt Trötta Hjarta", "Detta Drömmars Sköte en Slöja till Ormars Näste"). Cependant par rapport à Måsstaden, les cassures se font bien moins nombreuses et les morceaux sont structurés un peu plus classiquement, malgré quelques variations bienvenues sur les pistes les plus longues ("Vagabond" notamment). Le chaos s’est un peu calmé, mais n’a pas disparu pour autant. Outre cette lourdeur latente, Vildhjarta se montre souvent dynamique et n’hésite pas à nous offrir des morceaux un peu plus rapides et tranchants ("Kaos2", "Måsstadens Nationalsång" qui s’offre ici une nouvelle version « Under Vatten » plus longue et pleine de surprises, l’excellent "Heartsmear", "Penny Royal Poison"). Mais surtout, en 10 ans, Vildhjarta a pu puiser dans une sacrée dose d’inspiration et va nous livrer tout au long de Måsstaden Under Vatten un paquet de compos absolument mortelles. Il y aura alors de quoi faire en termes de riffs qui tuent aux coins de pistes comme "Brännmärkt", "Måsstadens Nationalsång", "Heartsmear", "Mitt Trötta Hjarta", "Detta Drömmars Sköte en Slöja till Ormars Näste", "Phantom Assassin", "Sunset Sunrise"… Vildhjarta régale et en plus de prouver qu’il est toujours le groupe de Djent le plus singulier du marché, il est aussi celui qui a en réserve les meilleures compos du genre. Rien que ça fait de Måsstaden Under Vatten un album totalement imparable qui comble toutes les attentes que l’on pouvait avoir sur son dos.
Et bien sûr, Vildhjarta fait toujours étalage de toutes ses particularités. Et notamment son ambiance psychédélico-forestière si particulière, mise en exergue par les visuels mais aussi par les nombreuses atmosphères qui se dégagent ici et là de l’ensemble, que ça soit en fond ou lors de petites cassures ambiantes ("Lavender Haze", "Brännmärkt", "Måsstadens Nationalsång", "Heartsmear", "Vagabond", "Mitt Trötta Hjarta", "Phantom Assassin") ; à noter également que le groupe joue avec ça grâce notamment à un petit interlude reconnaissable qui réapparait plusieurs fois au cours de l’album tel un fil rouge ("Kaos2", "Måsstadens Nationalsång", "Vagabond"). Tout aussi dark et lourd qu’il est, le paysage musical de Vildhjarta laisse quand même entrevoir quelques moments plus mélodiques ("Brännmärkt", le début de "Den Helige Anden", "Passage Noir", "Sunset Sunrise Sunset Sunrise") ; il y a même des passages en chant quasi-clair ("När de du Älskar Kommer Tillbaka från de Döda", "Brännmärkt", "Den Helige Anden", "Vagabond") ou même totalement clair ("Kaos2", "Passage Noir", "Detta Drömmars Sköte en Slöja till Ormars Näste", "Penny Royal Poison"), pour amener encore un peu de lumière même si ça ne sera pas une surprise vu qu’il y en avait déjà à l’époque de Måsstaden (sur "Traces" notamment). Bref, voilà le portrait reluisant de Måsstaden Under Vatten, et autant dire que le résultat est assez monstrueux. Il aura fallu attendre dix ans mais ce deuxième album des Suédois vaut bien cette attente interminable tant ce qu’il propose est complet et surtout, assez mortel et ultime en son genre si particulier. Alors bien sûr, ces 80 minutes se terminant sur le fleuve résumé qu’est "Paaradiso" sont très denses et toutes les oreilles ne seront peut-être pas prêtes à affronter un assaut aussi cossu de Djent ultra-lourd et sombre, malgré quelques morceaux vraiment forts. Bien évidemment des petites longueurs apparaîtront ("Den Helige Anden", "Sunset Sunrise Sunset Sunrise"), mais la redondance latente est masquée par des compos demeurant inspirées et de qualité. Certes, en 10 ans de l’eau a coulé sous les ponts, et parfois on se demande si on est pas plutôt en face de compos de Humanity’s Last Breath en se rapprochant plus d’un Deathcore lourd que d’un Djent racé. Mais Vildhjarta a su rester unique en son genre et sa personnalité s’affirme encore plus malgré tout, jusqu’à ses bizarreries (le plus marrant restant cet improbable enchaînement "Sunset Sunrise"… "Sunset Sunrise Sunset Sunrise"). Copieux et étouffant, Måsstaden Under Vatten est un pavé tout autant bluffant qu’il est repoussant. Mais c’est un véritable monstre, dans tous les sens du terme, et il ne faut pas avoir peur de ce qui s’est caché pendant 10 ans sous le lit des Suédois. Thall.
Tracklist de Måsstaden Under Vatten :
1. Lavender Haze (3:20)
2. När de du Älskar Kommer Tillbaka från de Döda (3:54)
3. Kaos2 (4:01)
4. Toxin (2:54)
5. Brännmärkt (5:48)
6. Den Helige Anden (5:26)
7. Passage Noir (4:27)
8. Måsstadens Nationalsång (5:33)
9. Heartsmear (3:26)
10. Vagabond (7:18)
11. Mitt Trötta Hjarta (3:56)
12. Detta Drömmars Sköte en Slöja till Ormars Näste (3:06)
13. Phantom Assassin (2:58)
14. Sunset Sunrise (4:44)
15. Sunset Sunrise Sunset Sunrise (6:00)
16. Penny Royal Poison (3:09)
17. Paaradiso (10:03)