« La musique n’est jamais tragique, elle est toujours joie. Mais il arrive qu’elle nous donne le goût de mourir, avec bonheur ». G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux.
Des contemplations muettes, béates, des scrutations comme ensablées dans le grain d’un paysage qui ne demande qu’à être arraché, fendu ; des anagogies momifiées face à des natures qui s’étirent, tirent et se dilatent dans des optiques fondues, des imprégnations toujours plus profondes, un paysage toujours plus intériorisé, statufié, stérilisé ; des efforts d’ascèse, d’observations invariantes et immobiles, le Black Metal en aura toujours pratiqué, avec plus ou moins de réussite, plus ou moins de sincérité. Fixer, une fois pour toutes, les rythmes biocosmiques, l’horlogerie astrale ; on cherche l’éternel fuyant, la permanence, les périodicités, le temps perpétuellement régénéré : c’est l’arbre intarissable, fondu dans un ciel perpétuel, pris, comme sur le vif, sur cette ronde circulaire, d’Autumn Aurora, l’hiver comme désert interminable, désert cyclique, lande de mort et de silence de Hvis Lyset Tar Oss chez Burzum.
« Je ne crois pas que ce soit erroné de qualifier Fluisteraars d’entité naturelle. C’est une vibration que l’on perçoit dans le monde, et que l’on capture. » Bob Mollema, entretien chez Invisible Oranges.
Mais pas d’empire sans un écroulement, pas d’arbre sans un abatteur, pas de citadelle sans une fuite qui fait tout chuter, une vigueur trop assurée, trop tendue, une vigueur séditieuse, à vif, presque adolescente, une vigueur électrique. Et Fluisteraars est jeune, Fluisteraars est impatient, fébrile, comme cet étendard hollandais qui n’en finit plus de brûler ; Fluisteraars a l’ardeur et la poigne trop enfiévrée pour ces jeux usés de contemplatifs, ces jeux éculés d’aînés trop installés, des Wodensthrone partis, des Drudkh devenus flasques et incolores. Fluisteraars est fougueux, alors Fluisteraars retourne le problème, broie les cycles, les tire de leur sommeil trop entendu, fend leur quiétude trop consommée : pour la première fois sont jouées ces joies, ces ardeurs du retour, les nerfs enflammés par les vents toujours sifflants, imprégnant les muscles, ces lignes de fuite créatrices qui détruisent nécessairement, détruisent les genres, les confondent, Black et Kraut, Kraut et Folk, ces lignes qui partent et exultent, ces lignes qui doivent mourir et échouer, comme autant de raies solaires.
Rarement aura-t-on entendu autant, dans le genre, dans les genres, qui se confondent et se fondent, une manière, une méthode, un procédé de fabrication aussi profondément que dans Gegrepen door de geeste der zielsontluiking ; composer à même l’hecceité, à même les fibres, les filaments, les intensités lumineuses et sénescentes, flux moléculaires, la matière écorcée des arbres, leurs veines irriguées par le soleil, la captation directe, saisie, sur le vif, enfin ; l’instant scellé, le cristal d’espace-temps, au soleil corrodé, la substance immédiate et donnée, la substance éphémère, la matière-émotion capturée innervant toute la forme du disque, tout son souffle cosmique et irradiant ; le cèdre, le bruissement des feuilles, l’été mourant et poussif, l’été hémoptysique qui crache ses dernières raies sanguines, crépuscule permanent de couleurs dilatoires, lanterne aux flammes corrodées et métalliques, lanterne de songe, capturée, dans un même torrent, une même énergie cinétique qui traverse les rameaux et les hommes, les confond. Alors Fluisteraars capture, capture et sublime, l’or vieilli d’un soleil déclinant et ses lames qui s’acèrent et s’usent et meurent. Le soleil est époumoné, l’été périt. L’été périt et Fluisteraars l’a vu, Fluisteraars a péri avec lui, Fluisteraars est mort avec le soleil, de tout son être, pour faire mourir ces souverains, pour emporter ses ainés, Fluisteraars est mort, ses cordes en témoignent ; Fluisteraars est mort et sait qu’il mourra chaque été, il sait alors il fixe, une fois pour toutes, et ne reviendra plus. Fluisteraars a été soulevé par le soleil ambré, ses veines de bronze, ses raies métalliques ; il a les marques rémanentes coincées dans une béance, derrière l’optique, la germe de sa création et de ses joies, ce creux duquel tout fuse ; Fluisteraars baigne dans la mare dilatoire, celle du délire déliquescent du crépuscule, ses couleurs dilatées, ses nuances d’agonie, ses touches impressionnistes ; sa plaie tire vers un sang versicolore et ce sont ses dernières râles qui sont les plus intimes, à la lisière du songe.
Car le soleil est abondance, prolixité et démesure, le soleil est exubérant même dans sa mort que Fluisteraars creuse et répète, rallonge avec des cris accompagnant cette mort poussive, cette mort lente et douloureuse (le final de Verscheuring in de schemering). Le soleil meurt comme un monarque et emporte le délire de ses sujets avec lui, des cris et des larmes, des violences et des sautes, des meurtres et des flammes, des joies et des séditions, la graine de la révolte, de la fuite, de la vie exubérante, irascible et terrible, toujours tapie dans la mort. Fluisteraars est cet été qui meurt en nous chaque année, cette joie étirée, cet état de seuil qui dure et que Fluisteraars prolonge et exalte.
« Lorsqu’on enregistrait l’album, l’été périclitait et quelque chose mourait en moi ». Bob Mollema, entretien chez Invisible Oranges.
Fluisteraars est exubérance, l'exubérance est beauté. Fluisteraars est le soleil, Fluisteraars meurt en nous, avec joie.