"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Alors que nous apprenons que Negură Bunget va bel et bien clôturer sa trilogie transylvanienne avec un dernier album « posthume » nommé Zău, il est bien sûr temps de revenir sur un des autres groupes de sa galaxie, à savoir Dordeduh, formé par les « dissidents » Hupogrammos et Sol Faur en 2009. Et si Sur Austru, l’« autre » groupe enfanté par Negură Bunget qui a plus ou moins assumé son héritage, s’est montré très vite actif avec deux albums en trois ans (Meteahna Timpurilor (2019) et Obârșie (2021)), ce n’est pas la même histoire avec Dordeduh… Dar De Duh remonte à 2012, et depuis, c’était presque le silence radio. Mais l’année 2021 sera donc décidemment riche pour le Black-Metal shamanique et atmosphérique roumain. Voilà donc Dordeduh de retour, neuf ans (!) après son premier album. Autant dire que le duo (quatuor, en fait) est attendu au tournant, surtout vu la qualité de ce nous avait proposé Sur Austru. Mais à vrai dire, si Sur Austru a assuré à presque 100% la succession de Negură Bunget, Dordeduh va choisir une voie un peu différente. Dar De Duh présentait déjà une variation plus moderne de l’art de Negură Bunget qui avait atteint sur firmament sur Om (2006) - dernier album avec Hupogrammos et Sol Faur dans le line-up. Et Har va donc enfoncer le clou, même si bien sûr, on reconnaîtra toujours le style folk et « roumain » jusqu’au bout des ongles là-dedans…
D’ailleurs "Timpul Întâilor", opener assez gargantuesque sur le papier (12 minutes !), ouvre Har de manière assez classique mais complète, avec des sonorités caractéristiques qu’on ne décrira plus aux amateurs de Negură Bunget. Dordeduh est inspiré, très en verve sur la forme (on est à des années-lumière du côté parfois raw de Negură Bunget, même encore tout récemment), et on constatera bien vite qu’il a des capacités d’évolution et a profité de ses neuf années de sommeil pour tenter de se réinventer dans la continuité. On notera déjà que la pochette de Har, designée par l’inévitable compatriote Costin Chioreanu, délaisse plutôt la nature pour quelque chose d’autrement plus moderne mais toujours mystique. Et Dordeduh de s’en aller loin de sa Transylvanie natale pour explorer d’autres contrées. C’est ainsi que le très mélodique et enlevé "În Vieliștea Uitării" sonne plus, et dès le début, comme… du Black atmo allemand à synthés ! Dordeduh semble chercher d’autres influences et ça fait plaisir, lui qui n’avait pas vraiment réussi à capitaliser sur le style de Negură Bunget avec Dar De Duh. Malgré tout, le naturel revient forcément au galop dès que les touches folk se font plus prégnantes, notamment en fin de morceau. On reconnaîtra donc toujours du Negură Bunget ici et là, comme encore à la fin de "Descânt", morceau qui malgré tout nous montre bien un Dordeduh qui a choisi de franchir le pas vers la pure modernité. C’est qu’on croirait même avoir affaire à du Enslaved par moments ! Avec des bases de qualité (notons encore les alternances toujours pertinentes entre chants clairs et growls), Dordeduh se rafraîchit en essayant d’agrémenter son style avec des influences extérieures et des compositions différentes et originales, que ça soit d’un point de vue purement metallique ou au niveau des ambiances. Et il y arrive sans trop de mal !
Alors qu’on pouvait donc s’attendre à un nouvel album de Negură Bunget worship, Dordeduh arrive à surprendre avec une originalité insoupçonnée. En témoigne encore le plus lourd "Desferecat", peut-être le morceau le plus singulier de l’album, même si c’est aussi celui qui reprend le plus les codes « shamaniques » si chères aux formations roumaines attenantes, mais d’une manière différente à d’habitude (avec aussi à la clé un long passage ambiant du plus bel effet). "De Neam Vergur" finit d’entériner le Dordeduh 2.0, avec un paysage certes très mélodique et aérien, mais qui navigue avec brio entre classicisme et modernité, et s’offre aussi des sonorités folk plus travaillées en flirtant même avec l’electro, tout en assurant toujours au niveau metallique avec ici de splendides leads. On n’oubliera pas non plus le formidable "Vraci De Nord", le petit bijou de ce Har qui s’offre une progression atmosphérique de toute beauté, des moments de grâce et une avant-dernière partie délicieusement dynamique, avant une conclusion enchanteuse à souhait. Avec ces longs morceaux travaillés, Dordeduh en deviendrait d’ailleurs un groupe Progressif, ce qui était déjà entrevu sur Dar De Duh d’ailleurs. Hupogrammos et Sol Faur ont donc pris, certainement involontairement, le contrepied de Sur Austru en livrant un Har autrement plus moderne et qui tente, avec réussite, de se détacher du pur style de Negură Bunget. Certes, on reconnaîtra toujours le style de la formation culte de feu-Negru (notons encore les beaux interludes résolument shamaniques et rituels, "Calea Magilor" et "Văznesit"), Dordeduh ne surprend pas là-dessus mais bien ailleurs. Tout ceci doit encore être digéré et tout n’est pas encore parfait, mais l’expérience en vaut la chandelle. Si vous vouliez du pur Negură Bunget et en attendant le grand final du « vrai » avec Zău, il est encore temps de vous tourner vers les albums de Sur Austru. Mais après un Dar De Duh qui n’avait pas marqué sur la durée (de toute façon passé Om, la « hype » Negură Bunget s’était hélas vite éteinte), Har voit Dordeduh se réinventer avec classe et talent sur le fond comme sur la forme, en livrant une variation au minimum intéressante du Black-Metal shamanique roumain de… qui-vous-săvez.
Tracklist de Har :
1. Timpul Întâilor (12:10)
2. În Vieliștea Uitării (6:28)
3. Descânt (7:59)
4. Calea Magilor (2:47)
5. Vraci De Nord (11:34)
6. Desferecat (7:29)
7. De Neam Vergu (10:38)
8. Văznesit (2:23)