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dimanche 9 mai 2021

Perturbator

James Kent

Mess

T'façon, je préfère Aphex Twin.

Toujours déterminé à s'extraire des contraignantes règles de la synthwave, Perturbator sera de retour le 28 mai prochain avec son tout nouvel album intitulé Lustful Sacraments, un disque paré à faire remuer nos chevilles et réchauffer nos coeurs. Un hommage amoureux à la nostalgie des années 80 sur fond d'EBM et de coldwave bien sentie, taillé pour les dancefloors sataniques que Perturbator a toujours su créer à travers le monde. James s'est confié à Horns Up sur le développement de ce nouvel effort, son amitié avec Hangman's chair, un intérêt certain pour le chanteur de Depeche Mode et une scène mythique d'Eyes Wide Shut. 

Sans parler d'abord de l'album, comment tu te sens aujourd'hui ? Quelle a été ta réaction face à cette situation si exceptionnelle ?

Au début, quand la pandémie est arrivée, c'était assez bénéfique pour moi car je tournais énormément, je passais tout mon temps sur la route et quand je ne faisais pas de tournée j'étais à droite à gauche pour faire des trucs dans ma vie personnelle. C'était assez chaotique et j'avais peu de temps pour me poser et écrire le nouvel album. Lorsque le covid est venu... Ça faisait chier évidemment... Mais j'ai eu beaucoup de temps chez moi dans mon home studio pour finir cet album grâce à ça. Et aussi commencer d'autres projets qui me tenaient à coeur. Là, maintenant, je t'avoue que ça commence à faire long... Le manque de concerts, le manque de vie sociale, ça commence à me saoûler.

C'est peut-être un peu moins complexe à aborder un confinement parce qu'en tant que artiste de musique electronique, vous êtes déjà enfermés chez vous, seuls, pour composer...

C'est ça oui, tous les albums que j'ai fait pour Perturbator et pour mes autres projets, c'est des choses que je fais chez moi seul. Je sais que beaucoup de musiciens peuvent le faire mais je ne peux pas écrire de musique quand je suis sur la route. J'ai vu beaucoup de musiciens au fond des bus de tournées composer sur leur laptop mais moi je peux pas. Il faut que je sois dans un certain état d'esprit, généralement seul. Tout se fait à la maison pour moi.

Du coup ce confinement, il a eu un quelconque impact sur l'écriture de Lustful Sacraments ?

Il a pas eu trop d'impact sur le disque en lui-même car je l'avais déjà commencé et je savais ce que je voulais en faire. J'avais des idées et j'avais déjà une thématique autour de l'album donc ça n'a pas changé l'album, l'écriture ou l'histoire derrière.

Ca semble bizarre à dire mais le premier single de l'album c'était "Excess" que tu as sorti début 2019, pourquoi autant de temps entre la sortie du single et l'album ? Surtout que déjà à l'époque, "Excess" semblait être déjà bien dans l'idée finale qu'est l'album aujourd'hui...

"Excess", c'est en fait le deuxième morceau que j'ai écrit pour cet album. Je les ai presque tous écrits par ordre d'apparition, les uns à la suite des autres... Quand je l'avais sorti, c'était plus un moyen pour moi de me mettre un coup de pied au cul et me dire "il faut que je le fasse maintenant qu'il est annoncé"... Il y avait aussi cette envie de tâter le terrain, voir comment les gens allaient être réceptifs à cette nouvelle direction... Après, cet album va diviser les auditeurs et c'est pas grave tu vois... Mais c'était un moyen de les préparer à ce changement de style.

A l'époque tu te disais déjà : "je vais peut-être faire l'album qui va créer la rupture chez les fans". T'es toujours un peu effrayé par cette idée ?

C'est pas une peur. Je sais que ça va créer une rupture avec les fans et c'est tant pis, ou tant mieux. C'était le cas déjà avec New Model. C'est pas une crainte que j'ai car je vois cet album comme une espèce de « statement », c'est un album que je fais pour moi comme la plupart de mes albums et c'est pas forcément un album que je fais pour les gens. Je m'attends à ce que ca déplaise à certains, mais ça n'enlèvera rien au fait que je suis très fier de cet album.

Ton dernier effort, c'était New Model, il était plus sombre, plus agressif... Lustful Sacraments est clairement sur une autre ligne. Il a delaissé la violence pour ce que j'appelerai du cyber-romantisme teinté de coldwave et d'EBM... C'était quoi l'idée principale quand tu as commencé à travailler cet album ? Il y avait un mood particulier en toi ?

A la base, je voulais faire une lettre d'amour à la musique goth et post-punk des années 80-90 et à ce que tu appelles le cyber-romantisme - j'aime beaucoup ce terme (rires). En fait tout le reste a un peu découlé de ça. L'idée c'était que ça ne soit pas trop méconnaissable, il faut qu'il y ait encore l'ADN de Perturbator. Il y avait aussi une volonté aussi de faire quelque chose aux antipodes de New Model, qui est vachement froid et industriel, c'est un album froid et complexe, tombant dans l'IDM. Cet album là, Lustful Sacraments, je voulais que ça soit très basé sur les mélodies, presque pop, sans tomber dans la pop pure et dure mais qu'il y ait ce côté "chansons".

Qu'est-ce que tu conseillerais aux auditeurs pour mieux aborder l'album avant sa sortie ?

Il y a trois albums phares qui ont été les plus grosses influences sur Lustful Sacraments... Le premier c'est Floodland de Sisters Of Mercy, le deuxième c'est Night Time de Killing Joke et enfin The Cure avec Pornography.

J'ai trouvé que Lustful Sacraments et New Model se rapprochaient énormément de ton projet l'Enfant de la forêt en terme de sonorités, on peut déceler un lien entre les deux ? Il pourrait y avoir un retour de ce projet ?

J'ai remarqué que plus je compose et me libère des sonorités de mes premiers albums, moins je me soucie des règles de tel ou tel genre. Mon projet l'Enfant de la Forêt et Perturbator, ça se mélange. Je ne fais plus attention à ce genre de trucs. Quand je trouve une mélodie qui me plaît, je m'en fous de savoir si c'est autorisé dans le « rulebook » de tel ou tel genre. Tout ça n'a plus aucune importance. Ce qui compte pour moi, c'est le ressenti. « Est ce que ca me touche ? Est ce que c'est quelque chose que j'ai envie de dire ? ». Après, oui, sur la surface il y a beaucoup de guitares dans Lustful Sacraments comme dans l'Enfant de la Forêt. C'est le même son de guitare et le même jeu donc oui, ça commence forcément à faire un petit lien.


Du coup l'Enfant pourrait-il ressortir de la forêt et se montrer ?

Alors j'ai essayé de commencer un troisième album pour l'Enfant de la forêt et pour l'instant, il n'y a rien qui sort vraiment, notamment parce que je pense que l'Enfant de la Forêt est un projet dans lequel je compose de façon très intimiste. Il faut presque que je traverse une sale période pour qu'il y ait de la substance et pas juste du style, tu vois... Il faut ce côté cathartique, il faut que ça vienne d'un endroit profond, presque d'un mal-être. Pour moi, ça ne sert quasiment à rien de faire de la musique sombre et personnelle si derrière il n'y a pas de vécu ou de choses à partager ou à en tirer.

On a un James finalement plus romantique en ce moment ?

Oui, clairement. ça sonne cliché mais tout ce que je fais a pour but d'éveiller des émotions. Déjà en moi. Et si je fais ça bien, peut-être même en éveiller chez les autres.

Les années 80 ont toujours énormément inspiré ton travail... T'as encore saisi une autre aspiration musicale des années 80 sur Lustful Sacraments, il y a encore des terrains que tu aimerais défricher dans cette décennie ou il y a peut-être d'autres décennies qui pourraient t'inspirer ?

Je t'avoue que j'y réfléchis en ce moment et j'ai absolument aucune idée de ce que pourrait être la suite de Perturbator. J'ai toujours deux trois idées derrière la tête comme faire un album de musique ambiante comme Aphex Twin avec son Selected Ambiant Works que j'adore... Mais après il faudrait que ça soit bien amené... Je sais pas si je continuerai à explorer les différentes facettes des années 80... J'ai fait beaucoup le tour de ces années...

Ce que je trouvais d'excitant avec New Model (et notamment le titre "Vantablack"), c'était que ta musique devenait presque intemporelle comme pourrait le faire un groupe comme Massive Attack...

Ouais, ouais... Ça sera ça en fait je pense... Je pense que la suite de Perturbator ne sera pas dictée par une année ou par un style de musique en particulier que j'essaye de reproduire. Je pense que ça sera un peu plus une synthèse de tout ce que j'aime, comme New Model, sans être dans le même style parce que j'aime bien changer. Mais oui ça sera probablement un mélange de sons modernes et vintage, avec pleins d'influences trip hop, techno, musique de film, EBM, New Wave et j'en passe...

Revenons sur la cover de l'album, elle dénote un peu, il y a une sensation de léger éloignement de l'esthétique synthwave pour la pochette de Lustful Sacraments...

La pochette vient d'une envie de s'éloigner et de faire un truc un peu à l'opposé de celle de New Model. L'idée était de faire un truc chaleureux, coloré, dessiné sur papier et non pas créé digitalement comme celle de New Model. La directive que j'avais donné à mon artiste, Mathias, c'était la scène dans Eyes Wide Shut avec le bal privé... Il y a ce côté majestueux, beau et opulent mais il y a un truc dérangeant, il y a quelque chose de viscéralement mysterieux et d'étrange.

J'ai eu la sensation pendant l’écoute que cette fois-ci, on ne voyageait pas dans un espèce de Blade Runner mais à la place, on était catapulté dans ce dancefloor post apocalyptique, cette boîte de nuit où règnent tous les vices…

C’est exactement ça, c’est un album sur les vices, l’addiction et l’auto-destruction de l’être humain. Le morceau "Excess", dans les paroles, donne parfaitement le ton. Lustful Sacraments traite beaucoup plus de la condition humaine et le tout est très teinté de mon propre nihilisme. Les thèmes abordés s'éloignent du transhumanisme ou de la science fiction comme c'était le cas avant.

Il y avait ce feeling « boîte de nuit »...

Oui, ou même limite orgie comme cette scène dans Eyes Wide Shut. Je voulais que l'album donne envie de danser, ça te rend euphorique mais il y a un côté sombre aussi, dans les paroles ou dans certaines melodies : tu sens que tu perds une part de toi-même…

Tu peux m’en parler un peu plus des paroles ? Tu as donné des directions à Hangman’s Chair et True Body ?

Je leur aurai donné des directions après c’était vachement carte blanche un peu pour eux. Je leur ai parlé du thème de l’album, donné les titres des chansons et j’ai fait deux-trois vérifications. Mais je pense que les deux groupes ont trouvé exactement les bonnes paroles et c’était vachement facile de bosser avec eux. Surtout avec Hangman’s Chair parce qu’on traîne souvent ensemble donc on allait directement se voir pour enregistrer. Les paroles d’"Excess" donnent une bonne idée de ce à quoi s’attendre avec Lustful Sacraments. Ça parle beaucoup d'auto-destruction, d'hédonisme, de drogue, d’alcool, de sexe. Il y a ce côté presque biblique dans la manière dont ces thèmes sont abordés d’où le coté « Sacraments » du titre. Il y a une petite histoire fictive attachée au disque mais j'aime la garder pour moi, c'est beaucoup plus intéressant pour tout le monde d'en tirer ce qu'ils en veulent.

Beaucoup de collabs avec Hangman’s Chair, tu te sens proche d’eux esthétiquement et musicalement parlant ?

Je traîne beaucoup avec Mehdi et on a des goûts très similaires, je pense qu'on recherche les mêmes choses dans la musique. Finalement, on a envie à chaque fois de faire des trucs ensemble. Leur musique résonne beaucoup avec moi et la voix du chanteur de Hangman’s Chair s’est prêtée parfaitement à mon morceau.

Tu commences à avoir de la bouteille en terme de production assistée par ordinateur. On sait que certains compositeurs peuvent passer des nuits entières sur un seul son de kick, il t’arrive parfois de rencontrer ce problème ?

Lustful Sacraments a été un des plus durs à faire parce qu’il fallait implanter beaucoup d’éléments externes. La guitare et le chant sur quasiment toutes les tracks. Il y a aussi des basses jouées. Il a fallu que je change ma manière de produire déjà pour que le mix soit équilibré et que tous les instruments passent bien. Je voulais qu'on ne puisse pas savoir si Perturbator est un projet d’electro, qu'on ne sache pas trop si c’est un groupe ou un mec tout seul, j’ai donc du changer quelques techniques, ça me prenait deux – trois semaines par morceau…

Dans une précédente interview, tu affirmais toujours ton envie de faire des concerts en live très imposants, très énergiques pour satisfaire autant les fans d’électro que les amateurs de metal. Le nouvel album va te permettre d’appréhender le live d’une autre manière ?

Carrément, je vais jouer de la guitare sur les prochains shows. Les parties voix un peu monotones comme celles dans "Excess", je les ferai également... L’idée, c’est d’alterner synthé et guitare sur scène sans trop tomber dans le truc du musicien de rue qui alterne très vite entre sa guitare et son accordéon. C’est un peu compliqué mais ça devrait le faire, on attend de faire une résidence.

J’ai toujours eu la sensation que la riche scène électro et la culture club française légendaire te boudent depuis longtemps, t’as un grand succès grâce notamment aux fans de metal, il n’y a pas une frustration d’être comme ignoré par la scène électro ?

C’est un truc que j’ai remarqué très vite. Je t’avoue que je ne comprends toujours pas. J’ai fait des festivals entièrement électro et le public n’est pas du tout réceptif, en tout cas les purs fans d’électro. J'ai plusieurs idées : je pense déjà que l'imagerie et les références à Satan et toutes les connotations religieuses créent une barrière. Aussi je me dis que c'est peut-être une question de structure musicale. Perturbator, ça peut partir dans tous les sens, et il y a des morceaux avec des structures inconventionnelles et des changements de tempo assez brutaux. Mais il y en a d'autres qui font ça dans la scène électro et qui s'en sortent alors ça reste assez mystérieux. En effet, je suis très très boudé dans le millieu de la musique électro française. Mais même si c’était frustrant quand je commençais et que j'étais assez jeune, maintenant je m’en fous complètement. Encore une fois, je fais ma musique pour moi et personne d'autre.

Ça t’a étonné que les fans de metal te reprennent ?

Un peu. Je ne savais pas que le public metal serait réceptif à ça. Après il y a le côté bande-son de Carpenter, Vangelis, Goblin et forcément ça parle à plein de fans de musique extrême, c’est là que l’accroche s’est faite je crois. Quand Perturbator a commencé et quand j'ai sorti mes premières bribes de musique en 2012, jamais j'aurais cru que d'autres gens allaient écouter. Je ne m'attendais à rien. On parle d'un projet assez atypique et du coup, c'est presque inutile d'essayer de deviner qui va aimer ou pas.

Est-ce que Perturbator a encore des petits rêves ? Des rêves de collaboration ?

Ne pas perdre l’inspiration déjà (rires) mais figure-toi que j’ai déjà collaboré avec tous les artistes avec qui je rêvais de collaborer. Peut-être je dirais Trent Reznor ou Dave Gahan de Depeche Mode.

T’es jamais avare quand il s’agit de nous parler des groupes que tu écoutes en ce moment. En 2017, tu citais Code Orange ou encore Turnstile. On en est où aujourd’hui ?

En ce moment j’écoute surtout du black et du death comme à mon habitude, les vieux Armagedda, le dernier aussi qui est mortel…. Odraza, une des meilleurs sorties black metal que j'ai écouté recemment. Il y a les américains de Spirit Possession et Death Fortress. Il y a aussi le prochain Sordide qui va sortir et que j’attends de pied ferme. Pour sortir aussi un peu du délire metal extrême, je vous conseille vivement True Body, House of Heaven et Brandy Kills.

Horns Up tient à remercier chaleureusement Perturbator pour son temps et ses mots.

Lustful Sacraments paraîtra le 28 mai prochain via Blood Music

 

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