"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Il y a un an et demi, nous avions assisté à une véritable renaissance. Celle de Negură Bunget, tristement coupé dans l’élan de sa trilogie transylvanienne en 2017 par la mort de Gabriel « Negru » Mafa, seul membre fondateur subsistant de l’éminente formation roumaine. Pas par le biais de Dordeduh, dont l’attente d’un deuxième album va bientôt prendre fin par ailleurs, mais par le biais de Sur Austru, fondé sur les cendres de Negură Bunget par une partie des membres ayant entouré Negru sur les dernières années du groupe. Et si les deux derniers albums de Negură Bunget, Tău (2015) et Zi (2016), pouvaient apparaître un peu bancals, Meteahna Timpurilor le premier opus de Sur Austru lui avait réalisé un vrai tour de force, s’imposant directement comme le meilleur album de l’« entité » Negură Bunget depuis Om (2006). Tibor Kati, Ovidiu Corodan, Petrică Ionuţescu et leurs nouveaux camarades de jeu avaient tout compris et tout retenu du meilleur du Black/Folk atmo shamanique roumain. Et cet excellent album, porté par des morceaux magnifiques comme "Mistuind", s’était hissé dans les meilleures sorties de l’année et comme un « retour » atypique mais totalement réussi. Naturellement, se pose la question d’une suite de carrière. Et très vite, on nous a annoncé un deuxième album en préparation. Ce n’est donc que 17 mois après Meteahna Timpurilor que Sur Austru va nous proposer son second album, Obârşie (oui, avec un s cédille), toujours chez Avantgarde Music. Quand on pense que du côté de Dordeduh, il aura fallu attendre… 8 ans et demi. Avec un line-up du coup inchangé, Sur Austru va donc avoir le double défi de faire mieux que Meteahna Timpurilor et continuer à ne pas perdre l’héritage, l’esprit et la qualité de Negură Bunget. Le challenge est de taille…
Pour autant, rien ne va changer, ce qui est une bonne et une mauvaise chose dans l’absolu. La précision est inutile mais Sur Austru sonne toujours bien sûr à 100% comme du Negură Bunget, depuis Om mais légèrement proche de ce qui avait été fait sur Vîrstele Pămîntului, Tău et Zi malgré tout, la voix rugueuse caractéristique de Tibor Kati y étant pour beaucoup également. Sur Austru demeure parfois un peu plus mélodique que son « prédécesseur » mais c’est tout, bien qu’il pousse assez le côté le plus shamanique plutôt que purement « transylvanien ». Obârşie, ce sont surtout 7 nouvelles compositions de Sur Austru, totalement dans la lignée de Meteahna Timpurilor dans le fond comme dans la forme. Le groupe ne doit juste déjà pas perdre son inspiration et sa qualité de composition et d’arrangements, et de ce côté le contrat est rempli. Maintenant, il faut essayer de faire encore mieux que Meteahna Timpurilor, et l’entreprise sera un poil plus difficile. Déjà, Sur Austru ne bénéficie plus de l’effet de surprise, car la formation avait pu surprendre par la qualité irréprochable de son premier album pour faire renaître l’esprit d’un Negură Bunget qui avait peut-être perdu une partie de son âme. On est donc en terrain totalement connu et il ne faut finalement rien attendre d’autre de Obârşie qu’un nouvel album de « Negură Bunget Metal ». Tout y est, bien sûr le Black-Metal atmo rocailleux avec la panoplie de vocaux associés, et aussi les nombreux instruments folkloriques attenants, flûtiaux, percussions, et toute la quincaillerie qui prend de la place lorsque le groupe se produit sur scène. Et bien sûr, de la collusion de tout ceci naît cette ambiance des Carpates et shamanique. Et cela commence avec un sacré pavé qu’est "Cel din Urmă", 13 minutes, même Negură Bunget n’avait pas fait aussi long (exception faite de ‘N Crugu Bradului bien évidemment), seul "Țesarul de Lumini" sur Om s’en approchait. Et autant dire que tout Sur Austru est déjà là-dedans, ce sont 13 minutes hyper complètes qui nous attendent pour commencer. Un sacré amuse-gueule qui nous dit déjà une chose : oui, Sur Austru est en forme et est prêt à enchaîner.
En contrepartie, il n’y aura donc aucune surprise au menu de Obârşie, qui se déroule sans grandes aspérités, de manière assez linéaire d’ailleurs. On peut être un peu déçu au départ, mais la linéarité se transforme vite en homogénéité pertinente, et en s’attardant bien sur l’album on trouve vite de beaux moments. Ionut Cadariu est très en verve au niveau des flûtiaux et cela nous donne bon nombre de passages gracieux ("Taina" et le long final de "Ucenicii din Hârtop I", notamment). Les chants clairs et/ou shamaniques sont aussi à leur quintessence et les passages envoûtants se multiplient ("Cant Adânc", "Caloianul", les deux parties de "Ucenicii din Hârtop"). L’atmosphère folk-shamanico-transylvanienne est bien sûr à nouveau menée de main de maître tout au long des 56 minutes de Obârşie, mention spéciale au nouvel interlude folk de luxe qu’est "Codru Moma". Mais on retiendra aussi l’autre morceau très complet qu’est "Caloianul", avec une ambiance plus dark et résolument shamanique assez fantastique, qui se conclut par un excellent final enjoué. Et sur les deux parties de "Ucenicii din Hârtop" qui clôturent l’album, Sur Austru se montre particulièrement épique, entre les synthés enchanteurs de la partie I et les belles mélodies de la partie II, qui elle s’offre un splendide final. Il y a donc de quoi faire même si les amateurs de Negură Bunget et de ses « disciples » depuis bien des années feront vite le tour de cet Obârşie, qui ne dévie jamais de sa ligne roumaine, mais le fait bien et avec une certaine application. Ce deuxième album ne dépasse donc pas son prédécesseur, à cause de son côté un peu « roue libre » qui se contente d’un certain classicisme ("Cant Adânc" en est un bon exemple), et on devra d'une certaine manière s’en « contenter ». Si Obârşie n’est donc pas le chef-d’œuvre ultime de la galaxie Negură Bunget, il maintient le travail et la qualité de ce qui a été produit de meilleur dans ce microcosme du Metal roumain. Il était difficile de passer après un premier si parfait comme Meteahna Timpurilor, Sur Austru ne se surpasse pas plus que de raison, mais livre malgré tout avec Obârşie un album largement satisfaisant, encore bien achalandé (vu la quantité d’instrumentations diverses, ça reste une performance) et proposant comme toujours de beaux moments shamaniques et transylvaniens. Negură Bunget n’est plus, mais continue à vivre à travers Sur Austru, et c’est parti pour bien durer.
Tracklist de Obârşie :
1. Cel din Urmă (13:02)
2. Taina (10:50)
3. Codru Moma (4:30)
4. Cant Adânc (5:18)
5. Caloianul (8:05)
6. Ucenicii din Hârtop I (9:02)
7. Ucenicii din Hârtop II (5:00)