1970-2020 - 5 perles du Hard Rock qui fêtent leurs 50 ans
dimanche 6 décembre 2020Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.
Sleap : Dans la riche et tumultueuse histoire de la musique, il est une époque pour laquelle j’éprouve une irrépressible attirance : la période fin années 1960 – début années 1970. En effet, au tournant entre les 60s et les 70s se sont opérés bien des changements dans le monde de l’art. Et le Rock ne fut évidemment pas épargné : arrivée du Psyché et du Garage, avènement du Pop Rock, du Folk Rock et du Blues Rock, explosion du Jazz Fusion et du Prog, premiers succès Glam et Hard Rock, émergence du Proto Punk et du Heavy Metal mais aussi de toutes les hybridations électroniques, SynthPop, Abstract, Ambiant, etc. Bref, tout un tas de nouveaux styles plus ou moins hétéroclites viennent orner les branches déjà très fleuries de cet effervescent genre musical. Mais, au sein de cette période d’une richesse incroyable, les années 69 et 70 demeurent mes favorites. Ainsi, puisque certains chefs-d’œuvre de l’histoire du Hard Rock fêtent actuellement leurs 50 ans (Black Sabbath, In Rock, Zeppelin III, Very Eavy…), pourquoi ne pas revenir sur quelques autres bijoux moins évidents du Heavy Rock / Proto Hard de cet an de grâce 1970 ?
Atomic Rooster – Death walks behind You (septembre 1970)
Sleap : Second album d’Atomic Rooster, le bien nommé Death walks behind You est de loin le disque le plus Prog de cette sélection. Mais, par bien des aspects, la musique des Anglais peut aisément attirer l’oreille des plus aventureux metalheads. Après quelques années au sein du culte Crazy World of Arthur Brown, le claviériste et compositeur Vincent Crane et le batteur Carl Palmer fondent en ’69 le coq atomique. L’illustre Brian Jones – ayant été viré des Rolling Stones – est intéressé pour rejoindre le projet mais, comme on le sait, l’année 1969 lui sera fatale. Ainsi, après un excellent premier full-length en février ’70, le combo Anglais se remet de suite à composer avec de nouveaux membres. Et malgré le départ du batteur – s’en allant fonder un certain Emerson, Lake & Palmer –, le désormais power trio parvient à mettre en boite ce Death walks behind You dès le mois de septembre suivant !
Magnifiquement illustré par le tableau de William Blake Nebuchadnezzar – un roi fou de Babylone devenu bête sauvage –, ce deuxième album se dirige déjà vers des thématiques plus sombres. Les textes alternent entre solitude (7 Streets), horreur (titre éponyme), rupture amoureuse (I can’t take No More), lassitude (Sleeping for Years) ou pur désespoir (Nobody Else) et la musique se fait plus inquiétante et étrange. Chacune des deux faces est ponctuée d’un splendide titre instrumental (Vug et Gershatzer) qui déploie tout le savoir-faire des trois musiciens. Car, bien que l’essentiel des morceaux soit composé autour des claviers de Vincent Crane, le guitariste/chanteur John Du Cann apporte également beaucoup à l’écriture – en plus de se charger des parties de basse. Il est difficile de sortir un titre du lot tant ces 45 minutes ne baissent jamais en qualité. Il n’y a guère que Tomorrow Night qui soit légèrement plus faible. En effet, ce morceau fut avant tout composé sous la pression des studios pour un single et une diffusion radio. La musique « Hammond-driven » d’Atomic Rooster n’étant pas assez commerciale, il fallait pour le label un titre qui puisse se hisser dans les charts – ce qu’il fit, étant resté plusieurs semaines à la 11ème place dans le Billboard UK. Mais mis à part cela, le Rock progressif du trio est d’une qualité irréprochable.
Piochant un peu plus dans les sonorités Hard Rock et s’éloignant légèrement du tout-démonstratif de ses contemporains d’ELP, ce second album figure parmi mes sorties favorites de cette immense année 1970. Véritable pic de carrière d’Atomic Rooster, Death walks behind You reste à ce jour le symbole de la « golden era » du groupe. Et, bien qu’il ne soit pas aussi ambitieux que d’autres masterpieces de l’époque, il fait tout de même figure de petit classique au sein de la scène Rock anglaise du tout début des 70s.
Sir Lord Baltimore – Kingdom Come (décembre 1970)
Di Sab : « Sir Lord Baltimore seems to have down pat most all the best heavy metal tricks in the book ».
Kingdom Come n’est pas mon album préféré de ce top, mais c’est indiscutablement le plus légendaire. Cette citation d’ouverture qu’on pourrait traduire à la diable par « Sir Lord Baltimore a cerné les meilleurs éléments heavy metal » est la première utilisation référencée de ce terme pour décrire un genre musical. Sir Lord Baltimore n’a peut-être pas inventé le Metal au sens propre, mais Kingdom Come avait, sans le moindre doute, beaucoup d’avance sur son temps.
A l’instar de ce qui se faisait à Detroit pour le Punk, impossible de ne pas être soufflé par l’énergie dépensée et par la volonté du groupe d’être les plus bruyants possibles. John Garner le batteur/chanteur évoquait fréquemment les cymbales brisées et ses quasi-évanouissements en s’époumonant. Et cette façon de vouloir jouer fort pour jouer fort dont Motörhead se fera une spécialité quelques années plus tard se ressent parfaitement à l’écoute de Kindgom Come.
Beaucoup plus direct qu’un Blue Cheer, moins psychédélique et porté sur les jams, Sir Lord Baltimore a peut-être une approche moins « Metal » que Black Sabbath mais sa façon d’alourdir son Blues tout en restant au plus près de ce style a largement préfiguré toutes les chapelles Stoner/Doom. C’est d’ailleurs en ces édifices que, désormais, le souvenir de ce magnifique groupe repose. Cité sans cesse par Bobby Liebling de Pentagram (qui est selon moi le groupe de Doom qui s’est le plus largement inspiré de cette façon de riffer), repris par Church of Misery, au vu de la qualité de Kingdom Come, je trouve vraiment dommage qu’il ne soit revisité que par les afficionados les plus fervents de la musique de Sabbath.
Même si Kingdom Come est un album qui, dans sa construction, est assez classique pour son époque (35 min, des compos et une reprise ultra revisitée en plein milieu), il était bien en avance pour son temps. C’est pour cela que selon Garner, Sir Lord Baltimore n’a jamais eu le succès qui aurait dû être sien. Et le décès de sa tête pensante en 2015, dans un anonymat quasi-total, fait douloureusement écho aux débuts absolument fulgurants du groupe. Alors que rien n’était enregistré, et que le groupe n’avait pas de nom, il se produisait déjà au mythique Fillmore East. Un groupe d’une autre époque peut-être mais qui a inspiré une pléthore d’artistes et qui sonne encore maintenant terriblement bien.
Cactus – Cactus (juillet 1970)
Sleap : À la vue d’un nom et d’une pochette pareille, on a vite fait de croire qu’il s’agit là d’un album de Rock sudiste. Que nenni ! Ce premier effort des New-yorkais est bien plus virulent et électrique qu’il n’y parait. Mais les musiciens n’en sont pas à leur premier coup d’essai, loin de là. En effet, la section rythmique de Cactus n’est composée de nuls autres que Carmine Appice et Tim Bogert, respectivement batteur et bassiste de Vanilla Fudge, un des groupes les plus lourds et heavies de la scène Psych Rock US – et accessoirement un des premiers à user et abuser de distorsion, notamment sur la basse. Ainsi, après le split du Fudge en ’70, les deux compères embrassent encore plus leurs racines Blues en compagnie du vocaliste/harmoniciste Rusty Day et de l’incroyable Jim McCarty à la guitare (à ne pas confondre avec le batteur de Renaissance et The Yardbirds).
Alternant entre brûlots Hard 70s et titres bluesies plus posés, Cactus est un concentré de classe et de charisme. Insufflant toute la culture Blues américaine (en particulier de Chicago) à un Hard Rock à l’anglaise, ce premier méfait rassemble le meilleur des deux scènes. Les blues shouts du vocaliste (No Need to Worry ; Oleo) sont d’une puissance extraordinaire et sont épaulés par des lignes d’harmonica tout aussi passionnées. D’autre part, Appice livre ici, à mon humble avis, l’une de ses meilleures performances derrière le kit. Il n’y a pas un seul morceau – même les plus calmes – où son jeu de batterie n’est pas impressionnant. On comprend vraiment pourquoi il est cité comme une référence par de nombreux batteurs renommés de la scène Metal. Mais s’il y a un musicien qui éblouit particulièrement, c’est bien McCarty. Les licks qu’il enchaine sans interruption sont à tomber par terre. Le tout est à la fois hyper bien exécuté sur le plan technique et bourré de feeling sur le plan émotionnel. Il n’y a qu’à écouter les nombreuses envolées sur l’explosif Parchman Farm qui ouvre l’album pour se rendre compte de l’étendue de son talent. Pour ma part, il s’agit là de la meilleure version jamais enregistrée de ce standard du Blues.
Paru mi-1970, cet album éponyme de Cactus constitue donc la jonction parfaite entre Blues et Hard Rock. D’ailleurs, le groupe est très vite surnommé « le Led Zeppelin américain » quelques temps plus tard. Et après une seule écoute de cette torpille Heavy Blues 70, on ne peut désapprouver cette formule.
Lucifer’s Friend – Lucifer’s Friend (novembre 1970)
Di Sab : Quasi impossible de ne pas évoquer Led Zeppelin pour parler du premier album éponyme des Allemands. Pour de bonnes comme pour de mauvaises raisons. Commençons par les mauvaises. Jimmy Page est une sorte de Gilderoy Lockhart du Blues. Il a une fâcheuse tendance à voler le travail de ses petits camarades en l’arrangeant et en se créditant par la suite. Si vous voulez rire il y a une compilation ici. Or la ressemblance entre l’intro de Ride the Sky de Lucifer’s Friend et d’Immigrand Song du Zeppelin est plus que troublante. Pour cette fois, il semblerait qu’Immigrant Song fut enregistrée avant. Mais Page n’aurait-il pas eu accès à des maquettes ou autres ? La question restera en suspens même si ici le plagiat n’est ni certain ni évident. Les bonnes désormais. Si ce que vous appréciez dans Led Zeppelin, c’est cette façon hyper racée et majestueuse de faire sonner ce Hard Rock, Lucifer’s Friend sera votre nouvelle gourmandise favorite.
Au-delà de la production, il y a vraiment deux éléments qui me touchent particulièrement sur cet album. D’abord la performance vocale de John Lawton est remarquable à tout point de vue. Je ne suis pas friand des façons très théâtrales de déclamer des paroles (qu’on retrouve beaucoup dans le Doom trad), en revanche, j’adore quand le chanteur fait jaillir les lyrics hors de lui de manière surpuissante sans en faire trop pour autant. Ici c’est le cas, et Ride The Sky et Baby You’re a Liar sont de parfaits exemples de ce qui se faisait de mieux dans le Hard Rock d’un point de vue vocal.
Enfin, à l’instar d’un Blue Öyster Cult, Lucifer’s Friend réussit vraiment bien à équilibrer entre des titres plus alambiqués lorgnant vers le Prog (Toxic Shadows ; Lucifer’s Friend) et des titres purement Hard Rock, plus percutants, plus catchies (Everybody’s Clown). Les Allemands maîtrisent ces deux facettes et, alors que la face A est très orientée Hard Rock, la face B met plus en valeur les qualités d’écriture du groupe.
Susceptible de plaire aux fans de Prog, aux adeptes du Hard Rock à claviers, aux fans de Dio, de Rainbow ou de Deep Purple, Lucifer’s Friend est sans doute l’opus le plus facile d’accès de cette sélection. Moins Prog qu’Atomic Rooster, moins Proto Doom que Sir Lord Baltimore, Lucifer’s Friend a mis en un album tout ce qui allait se faire dans les années 70. Le groupe n’a pas réussi à transformer l’essai. Les albums suivants s’égarent, essaient en vain de trouver une patte. Incompréhensible quand on voit la cohérence et la qualité de ce premier jet éponyme. Un très très grand album de Hard Rock qui devrait être considéré comme un classique du genre par chaque amateur.
Black Widow – Sacrifice (mars 1970)
Sleap : Cela n’étonnera pas grand monde de voir figurer ce premier Black Widow au sein de cet article. Paru début 1970 chez CBS, Sacrifice semble en effet avoir acquis une popularité plus importante au sein de la scène Metal qu’au sein des scènes Psych et Prog dont il a pourtant émergé. Formé en ‘66 sous le nom de Pesky Gee, le groupe se renomme Black Widow en ’69 lors de l’arrivée du guitariste et compositeur Jim Gannon. Et dès cette année-là, le combo de Leicester adopte une imagerie païenne et occulte encore rarement utilisée dans le paysage Rock de l’époque. Leurs prestations live comprennent même des mises en scènes de sacrifices de vierges et autres joyeusetés. Mais là où un groupe comme Coven pourrait se réduire à une (excellente) version « Satan » de Jefferson Airplane, Black Widow accouche ici d’une véritable orgie satanique (© Lance Comfort) entre Psychédélisme, Folk, Prog et Hard Rock. Comme on va le voir, ce premier méfait est le croisement parfait entre toutes les grandes branches du Rock qui se télescopent en Angleterre lors de ce changement de décennie 60-70.
Avec pas moins de sept musiciens, les Anglais déploient un savoir-faire impressionnant sur une grande variété d’instruments. On retrouve évidemment l’assise guitare/basse/batterie typiquement Rock, mais également des claviers, de l’orgue Hammond, du saxophone, de la flute, de l’harmonica et même du vibraphone ! Autant d’éléments qui viennent insuffler à l’Acid Rock de Black Widow des tonalités Blues, Prog et même Folk du plus bel effet. À ce titre, le splendide In Ancient Days qui ouvre l’album est un exemple parfait. Intro réverbérée quasi-horrifique à l’orgue, guitares accrocheuses aux accents folkish, saxo inquiétant plein de dissonances auxquelles fait écho la voix tourmentée de Kip Trevor… Je passe sur le culte Come to the Sabbath et ses flutes accompagnées de vocaux incantatoires qui feraient pâlir n’importe quel membre de secte néo-païenne à deux ronds. Un morceau extrêmement important dans le développement de la scène italienne des 80s et qui fut entre autres repris par les non moins renommés Death SS… Et que dire de l’extraordinaire final de 11 minutes sur le titre éponyme qui concentre tout le génie de ces musiciens ? Refrain bluesy hyper catchy, atmosphère mystique, riffing aux gammes et intervalles impies, lignes de Hammond délicieusement Prog, passages de flute totalement possédés, etc. Ni complètement Metal, ni complètement Prog ou même Blues, Sacrifice figure parmi ces albums de Rock que l’on pourrait qualifier de « Pagan » au sens premier du terme.
Ainsi, malgré un court laps de temps au sein du Billboard UK et une prestation au fameux festival de l’Isle of Wight en ’70, Black Widow se voit contraint d’abandonner progressivement cette facette occulte et sombre pour pouvoir gagner en popularité… mais en vain. Le combo anglais nous laisse heureusement comme offrande ce magnifique joyau noir (© Michael Moorcock) au carrefour des genres. Et, bien que l’on ne puisse le faire entrer dans la catégorie « Metal », son importance dans le développement de ce style – encore en gestation à l’époque – n’est plus à démontrer.