"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Chroniquer cet album de Beltez - et a fortiori être très enthousiaste à son sujet - part pour moi d’un mystère. J’avais découvert le nom de ce groupe, sans plus m’y pencher dessus, à l’occasion de la sortie de son précédent et 3ème album, Exiled, Punished… Rejected en 2017. Je me souviens avoir croisé à maintes reprises son nom d’album et sa pochette. J’étais persuadé qu’un collègue de Horns Up s’était chargé de faire le lobbying sur le site, mais étrangement je ne retrouve aucune archive à ce sujet, ni même dans les bilans de fin d’année. Peut-être qu’un label que je suivais avait pas mal insisté sur sa sortie sur ses réseaux mais même pas, Exiled, Punished… Rejected étant sorti chez Bret Hard Records puis chez The Crawling Records pour d’autres versions, deux labels qui me sont inconnus et donc que je ne suis pas. Donc, je ne sais toujours pas quel biais précis j’ai découvert et revu le nom de Beltez il y a 3 ans, peut-être un quelconque contact facebook, mais je tiens à remercier déjà ce mystérieux anonyme qui m’a laissé le nom du groupe en mémoire et m’a permis, de fil en aiguille, de me pencher sur cet incroyable album qu’est A Grey Chill And A Whisper. La force du hasard, certainement, ce genre de petites choses qui nous font faire des découvertes retentissantes, et font partie du charme de la recherche de la perle rare en matière de musique. Je (re)découvre donc Beltez avec ce 4ème opus, aussi dois-je refaire les présentations. Beltez est allemand, de Cologne pour être précis, a été formé en 2002 année où il a directement sorti un premier album, Beltane. Sous le nom complet de The True Beltez d’ailleurs, ce qui lui allait à ravir vu qu’à l’époque il faisait du True Black Metal, avec les maquillages bien grim, la prod 4 pistes et tout ce qui va avec. Après être repassé par la case démo, Beltez a vraiment lancé sa carrière ou plutôt sa seconde jeunesse en 2013 avec la sortie de l’album Tod: Part I. Ce qui lui a permis de poser sa personnalité, déjà loin du BM hyper cracra des débuts. Mais c’est donc 4 ans plus tard avec Exiled, Punished… Rejected qu’il se fera véritablement remarquer, par qui et comment ça ne je ne le sais toujours pas, toujours est-il que cet album a véritablement lancé ce qui est aujourd’hui une des grandes sensations en matière de Black-Metal allemand - voire même de Black-Metal tout court.
S’il n’a jamais eu de Part II, Tod: Part I a lancé Beltez sur le chemin qu’il emprunte désormais avec brio : la mort (« Tod » en allemand), la tristesse, la dépression. C’est logiquement que Beltez peut donc être apparenté à la mouvance Black dépressif, ce qui se traduisait pas mal sur le très désenchanté Exiled, Punished… Rejected. Sans pour autant verser dans le malaise ou le suicidal à la Silencer ou autre Make A Change… Kill Yourself, Beltez étant depuis cet album un groupe relativement propre dans la forme. Lorgnant plus vers un Black atmosphérique au final, mais à sa manière, le chant assez déchirant et les sujets abordés se chargeant d’assurer la caution DSBM à la place du reste. Mais s’inspirant tout autant du DSBM que du Black atmo à l’allemande, Beltez avait réussi à rendre tout cela assez marquant et surtout épique, du départ prenant sur "Adamantinarx" jusqu’au final de grande classe sur le morceau-titre et le final fleuve "Soulweaving". Je n’avais pas plus creusé que ça cet album il y a 3 ans, je comprends maintenant qu’il ait pu faire parler de lui et que certains avaient insisté sur son sujet. D’autant qu’avec A Grey Chill And A Whisper, repéré par Avantgarde Music qui recommence à avoir le nez creux d’ailleurs, Beltez va partir sur ces très bonnes bases pour nous emmener encore plus loin. Groupe de Black allemand chantant en anglais, ce qui mine de rien est relativement rare, Beltez va brasser encore plus large. En tant que groupe allemand, il ne tape pas forcément dans le pur atmo même s’il doit forcément faire partie de ses inspirations. Beltez évoque désormais plus un The Ruins Of Beverast, dans sa volonté d’innover et aussi dans ce côté assez terreux, qui tranche légèrement avec la prod plus crue de Exiled, Punished… Rejected. Mais le groupe lorgne aussi du côté de la frange de l’USBM, Nachtmystium et Krieg voire Twilight en tête. Et il y a toujours ces relents de DSBM, on pensera notamment à un Bethlehem qui lui aussi a innové dans certains de ses albums. On y pensera aussi par le chant toujours aussi déchirant de M.P., qui disons-le tout de suite sera une des vraies forces de ce A Grey Chill And A Whisper. Qui pour seul single et premier abord aura dévoilé son morceau-titre, qui nous présentera bien le nouveau Beltez : son noir et rugueux, Black-Metal implacable mais qui se laisse aller à des accès plus épiques, compos inspirées, incisives et entraînantes, chant arraché vraiment prenant sans partir dans les clichés du DSBM le plus extrême. Du bel œuvre qui annonce du lourd, et qui nous présente d’ores et déjà un Beltez assez ambitieux.
Ambitieux jusque dans le concept, qui prend forme d’une manière assez particulière : A Grey Chill And A Whisper est en effet basé sur une nouvelle originale, écrite pour le groupe par l’auteure Ulrike Serowy. Mieux encore, l’œuvre est disponible en tant que livre audio, narré en partie par Dan Capp de Winterfylleth, qui vous sera envoyé digitalement si vous achetez l’album. Une démarche assez inédite dans le monde du Metal, d’autant qu’on ne parle pas d’une œuvre connue ni d’un livre déjà écrit mais bien d’une nouvelle écrite spécialement pour accompagner l’album. C’est déjà un excellent point à mettre au crédit de Beltez, et A Grey Chill And A Whisper va donc avoir la charge de compléter l’histoire post-apocalyptique de cette nouvelle intitulée « Black Banners », qui donne son nom au troisième morceau du disque. Et la première phrase narrée de l’audiobook est aussi celle qui ouvre l’album sur l’intro bien sinistre "In Apathy and in Slumber", qui va bien poser l’ambiance sombre et désespérée qui nous attend sur A Grey Chill And A Whisper. Mais Beltez va directement distiller son Black-Metal singulier dès les premières secondes de "The City Lies in Utter Silence". Et de quelle manière ! En près de 11 minutes d’emblée, les Allemands balancent leur morceau le plus touffu. Et avec déjà une grande intensité, directement sur un Black-Metal très grave et rocailleux, à la frontière du Black/Death. Entre patterns de batterie percutants et riffs rangés, Beltez se montre déjà très efficace tout autant que lourd et ténébreux. Les premiers leads accompagnent d’ailleurs des passages absolument irrésistibles, magnifiés par le chant à fleur de peau de M.P., accompagné des deux guitaristes D.K. et J.K. pour quelques vocalises plus graves. Et ce n’est pas tout vu que Beltez nous cueille ensuite à froid avec un somptueux break mélodique presque Floydien, conclu par de lointaines vocalises claires ! Repartant illico sur un Black-Metal appuyé plus épique, et se terminant par de splendides leads, Beltez impressionne d’emblée et ce "The City Lies in Utter Silence" d’entrée est absolument magistral, n’hésitant pas à répéter ses meilleures compos pour les ancrer directement dans nos cœurs. Beltez a déjà fait exploser tout son potentiel, pour ce qui est d’ores et déjà le morceau le plus efficace et le plus marquant du disque, dans la lignée plus directe de son single-titre. Mais Beltez a bien d’autres cordes à son arc, de l’inventivité à revendre et une certaine richesse à démontrer. Ce qu’on remarque dès le prenant "Black Banners", morceau très épique et surtout très émouvant, on sent de la noirceur et tout un mal-être exprimé dans ce morceau pourtant paradoxalement mélodique et particulièrement lumineux, avec déjà une sacrée performance vocale de M.P.. En grande verve, très inspiré et déjà capable d’exprimer son Black-Metal sous divers angles convaincants, Beltez montre déjà toute sa classe sur deux morceaux, et cela annonce que A Grey Chill And A Whisper sera un grand, un très grand album.
"Black Banners" nous orientait vers le côté le plus dépressif et désenchanté de Beltez, et c’est là-dessus qu’il va continuer à creuser, avec deux morceaux qui vont plus pencher vers le registre de Exiled, Punished… Rejected, et le meilleur de cet opus bien entendu. "A Taste of Utter Extinction" y va très fort dans les compos déchirantes, avec un chant à l’unisson et déjà presque au bord de la rupture, et quelques montées terriblement épiques, faisant montre d’un souffle insoupçonné entre des moments ultra lourds et sombres. Un long morceau encore gorgé de nombreuses émotions, émouvant et envoûtant, et aussi très marquant. Suivi d’un "The Unwedded Window" tout aussi maladif, avec une intro typique du Black atmo allemand, laissant ensuite place à un nouvel ensemble de compos déchirantes et tranchantes très noires, qui se laissent pourtant transpercer par quelques éclats de lumière, tandis que le chant est toujours aussi apocalyptique. L’interlude "From Sorrow into Darkness" tente de nous sortir de ce purgatoire, mais Beltez nous remet sous terre avec le morceau-titre qui retrouve donc la rugosité et l’efficacité des compos de "The City Lies in Utter Silence". Inspiré tout autant dans les compos dépressives que celles plus dynamiques, Beltez se montre vraiment irrésistible, appuyant ici subtilement certains passages à l’aide de trémolos salvateurs ou de patterns de batterie vraiment entraînants. La palette de A Grey Chill And A Whisper est vraiment complète, et le groupe allemand a vraiment pensé à tout, variant encore ici les chants avec de nouveaux accompagnements plus rauques, tandis que le chant principal de M.P. est toujours aussi prenant. Le voyage apocalyptique de Beltez va alors connaître sa dernière grande étape avec un morceau-fleuve à la "Soulweaving", "I May Be Damned But at Least I’ve Found You", 14 minutes au compteur. Et autant dire que A Grey Chill And A Whisper va ainsi se finir en fanfare. Laissant forcément de la place à des développements atmosphériques de toute beauté, et ce dès le début du morceau d’ailleurs, cette longue piste va aussi proposer des dernières compos de premier choix, notamment ce fantastique plan rythmique et mélodique que l’on retrouve à 3’45 et à 8’10. Et la performance est totale, on ne trouve pas le temps long tant ceci est bien ficelé et inspiré, on se languit de ces compos à la fois terreuses et épiques, toujours dans cette ambiance apocalyptique et maladive une dernière fois portée par les vocalises possédées et imparables, prenant ici des sonorités à la Borgne. Cette épopée sous les bannières noires est une sacrée expérience…
L’outro "We Remember to Remember", qui se termine de manière suprenamment Metal (et est présente dans une version acoustique en conclusion de l’audiobook), conclut magistralement cet album qui n’en est pas moins magistral. Piochant tout autant dans un registre Post- qu’un registre atmosphérique à l’allemande, arborant des apparats DSBM sans pour autant pousser au suicide, utilisant des éléments de divers courants USBM tout en y apportant sa patte avec les compos enjouées de morceaux comme "The City Lies in Utter Silence", "A Grey Chill And A Whisper" ou "I May Be Damned But at Least I’ve Found You" ; et creusant la noirceur et le désenchantement le plus total au sein de pièces tristes comme "Black Banners" ou "A Taste of Utter Extinction", Beltez livre un récital et impressionne de bout en bout. Au sein d’un concept original et probablement inédit dans le Black-Metal, Beltez a accouché d’une œuvre qui marque à la fois par l’expression d’un mal-être profond et par ses compos souvent irrésistibles. Jamais une œuvre aussi maladive et dépressive n’aura été aussi accrocheuse, Beltez ayant choisi d’évacuer le malaise pour proposer un Metal extrême globalement entraînant et efficace, et tour à tour épique et déchirant. Le groupe était semble-t-il déjà apprécié dès Exiled, Punished… Rejected, et ses aficionados ont eu raison de bien le mettre en avant. 3 ans plus tard, Beltez a évolué, a complété et fait varier son art, et a accouché d’un incroyable album éminemment remarquable et ce dès les premières écoutes. Porté par des musiciens inspirés, un son rugueux et terreux mais puissant et avec beaucoup de relief loin des prod 4 pistes, un chanteur performant qui se lâche et ajoute encore plus d’accroches, et des morceaux énormes ou somptueux, A Grey Chill And A Whisper est un album phénoménal. Beltez était un des trésors cachés ou un des secrets gardés du Black-Metal allemand, il dévoile ici tout son potentiel et sa classe, en allant même au-delà des clichés de ses compatriotes pour proposer une mixture plus personnelle et portée par un concept singulier et réfléchi. Je dis à chaque bilan de fin d’année que l’album de l’année suivante sera « une surprise ou un groupe (re)venu de nulle part », il semblerait que la théorie se vérifie encore même si Beltez a de sérieux concurrents, mais le verdict sera bientôt rendu et A Grey Chill And A Whisper est quoi qu’il en soit un sacré concurrent. Il faut toujours rester à l’écoute des recommandations, Beltez vient de le prouver et je ne peux qu’encore remercier ce contact inconnu qui m’avait fait garder ce nom dans ma mémoire, car 3 ans après Exiled, Punished… Rejected, Beltez a ici posé un album absolument monstrueux. Alors merci, et à votre tour !
Tracklist de A Grey Chill And A Whisper :
1. In Apathy and in Slumber (1:45)
2. The City Lies in Utter Silence (10:48)
3. Black Banners (6:05)
4. A Taste of Utter Extinction (9:49)
5. The Unwedded Window (6:39)
6. From Sorrow into Darkness (1:30)
7. A Grey Chill And A Whisper (8:37)
8. I May Be Damned But at Least I’ve Found You (14:13)
9. We Remember to Remember (5:38)