Non.
Mettre une mauvaise note à un album, c'est concrètement très simple, mais éthiquement très complexe. D'où le débat sans fin, au sein de chaque groupe de personnes se donnant la permission de parler d'albums avec un fond de jugement et de curiosité, de laisser cette fameuse note visible ou non. Lorsqu'elle l'est, il faut pouvoir argumenter sa déception ou son hermétisme.
En ce qui concerne Anna von Hausswolff, on rentre ici dans la case des histoires d'amour tragiques. Elle aura été découverte, pour ma part, lors de la sortie de Dead Magic en 2018, rapidement devenu un album culte passé un nombre incalculable de fois et dans toutes sortes de situations au cours de ma vie. Découverte qui mènera, plus tard, à l'accès de ses albums précédents et notamment The Miraculous et Ceremony. A certains instants plutôt krautrock, d'autres ethereal wave, drone à la limite du doom, ou même qualifiée de gothic pop, sa discographie a de quoi intéresser de nombreux mélomanes car les facettes se suivent et ne se ressemblent pas.
Enfin presque, puisque The Miraculous et Dead Magic, les deux derniers albums, avaient quand même une veine similaire, qui s'éloignait notamment de la veine Kate Bush-ienne de Ceremony, en s'enfonçant davantage dans un portail sombre et imprévisible.
Ici, All Thoughts Fly dévoile sept compositions instrumentales où l'orgue est omniprésent et solitaire, enregistré dans une église en Suède. On saute donc dans une position située à l'inverse total de ce qu'Anna von Hausswolff évoque pour beaucoup d'entre nous : une créativité portée par ses cordes vocales, une voix aux accents impériaux et loufoques dans un écrin de velours pour l'oreille. En plus d'être instrumentaux, ils sont finalement très « ambiants ». Elles, Anna et ses notes, se lovent dans une atmosphère très enfermée, poussée contre les murs pour créer une bulle cotonneuse et parfois agréable (« Persefone ») mais sans jamais réellement s'imposer dans le spectre sonore. A nouveau, à l'opposé de ce que ses compositions ont pu évoquer par le passé : les variations, les contraires et les contrastes, les cassures et les progressions en saccades.
Autant le dire clairement : je n'accroche pas vraiment à All Thoughts Fly. Qu'y a-t-il à regretter ? Anna von Hausswolff fait ce qu'elle veut de son art, et si elle choisit de faire pencher sa discographie d'un côté puis de l'autre en claquant des doigts, la décision lui appartient entièrement. Cela dit, les fans des derniers opus seront sans doute, en grande majorité, déçus par l'annonce d'un nouvel album qui s'est transformée en une découverte frustrée de All Thoughts Fly. Nous étions juste, de manière sincère et purement émotionnelle, dans l'attente d'un monument d'étranges sentiments aussi peu habituels que jouissifs, faisant aujourd'hui face à une compilation monotone de notes d'orgue. Lorsque certains titres se terminaient, lors de l'écoute des albums précédents, la dernière note m'amenait une sensation d'émerveillement et de satiété. Ici, la dernière note du titre éponyme, suivie d'un silence aussi cinglant que salvateur, m'ont d'abord menée à me dire « ouf, enfin ». En dehors de ces instants qui, au moins, ont le mérite de créer un sentiment... Il ne se passe pas grand chose.
Même plus que de la déception, il s'agit peut-être finalement d'incompréhension. L'impression de passer à côté d'un style qui n'a jamais réussi à nous accrocher, l'impression d'avoir été berné(e), ou encore l'impression que, peut-être, Anna Von Hausswolff manquait cruellement d'inspiration et a décidé de sortir cela en attendant. Il semblerait en réalité qu'elle ait écrit l'album en puisant dans ce que lui évoque un endroit en particulier, situé en Italie et datant de la Renaissance, nommé Sacro Bosco (également le nom du troisième titre). Ces jardins, ou plutôt ces bois habités par l'art, aussi appelés Parc des Monstres, donnent vie à des sculptures extravagantes. On en voit d'ailleurs une avaler (ou protéger ?) Anna von Hausswolff sur la pochette de l'album. A première vue, les compositions de l'opus et les photographies du lieu ne me semblent pas spécialement reliées, mais il faudrait bien évidemment se rendre sur les lieux afin de, peut-être, comprendre l'état d'esprit ambiant et les formes figuratives qui ont inspiré All Thougts Fly.
1. Theatre Of Nature
2. Dolore Di Orsini
3. Sacro Bosco
4. Persefone
5. Entering
6. All Thoughts Fly
7. Outside The Gate (For Bruna)