"The sound of falling, when the pictures are moving"
Quand on parle de tradition et de culture païenne exaltée via le prisme du Metal, on pense de prime abord à la Scandinavie et à l’Europe de l’Est, reconnus comme précurseurs dans ce qui s’est fait de mieux dans le style ces 25 dernières années. Pourtant, cette revendication est loin d’être l’apanage de ces deux pôles géographiques, puisque nombre d’artistes à travers le globe ont entrepris cette démarche artistique « identitaire ». Des groupes de Black/Folk irlandais à Melechesh en passant par l’Asie de l’Est, tous utilisent leur art comme porte-étendard d’une culture ancestrale, façonnée par des rites et des croyances antérieures à l’influence des religions monothéistes sur la civilisation.
Jouissant d’une reconnaissance de plus en plus importante dans l’underground occidental, surtout depuis sa mise en lumière par certains médias spécialisés, la scène Black Metal chinoise ne déroge pas à cette caractéristique typique de ce genre de projets BM. Nombreux sont les groupes chinois qui, en effet, cherchent à affirmer une identité culturelle forte à travers leur œuvre, autant grâce à la religion qu’avec l’aide de la poésie, de l’histoire, de la mythologie ou encore des arts traditionnels. Mais les connivences avec la scène européenne ne s’arrêtent pas là. A l’image de leurs homologues de l’Ouest estampillés Folk, Pagan ou Médiéval, nombres de formations de l’Empire du Milieu semblent tout faire pour prouver qu’elles possèdent la panoplie locale complète, voulant ainsi paraître plus chinois que chinois, aussi bien dans les sonorités que dans l’esthétique. On tombe donc sur un concours d’apparence pure, faisant malheureusement passer le style avant le fond, à l’image des parodies pipeau drakkars qui polluèrent un temps les scènes scandinave et finlandaise. Black Kirin ou Frozen Moon par exemple, sont assez représentatifs de cette tendance, leur Death mélodique teinté d’éléments Folk dégoulinants de kitsch ayant autant d’authenticité chinoise qu’un menu B12 ou qu’une sauce soja sucrée. Mais à l’inverse, d’autres ne s’encombrent pas de tels colifichets, préférant épurer au maximum leurs oripeaux afin de se focaliser sur le fond et la sincérité de leur discours. Et si c’est Zuriaake et Yn Gizarm qui nous viennent souvent à l’esprit, celui qui représente le mieux cette catégorie reste à mes yeux Holyarrow.
En un EP et deux albums, Oath of Allegiance en 2016 puis Fight Back for The Fatherland en 2018, le one-man band a réussi à tirer son épingle du jeu, imposant son univers aux yeux des aficionados chevronnés de la scène. En proposant un Pagan Black épique et vaillant, véritable bande son d’une épopée retraçant les différents combats, victoires et souffrances endurées par le peuple hokkien, victime tout au long de son histoire de diverses persécutions de la part de l’ethnie majoritaire des Han. Une fresque prosaïque à l’image de ce que pouvait faire Bathory à l’époque de Hammerheart, ou dans un registre plus méchant Graveland,dans sa période Thousand Swords et Following The Voice of Blood. Et cette identité chinoise qui suinte par tous les pores du groupe, qui demeure vivace et intègre. Une aura sino-folklorique extrêmement palpable, alors que la base du projet prend sa source dans des influences occidentales, rejetant toute fantaisie pittoresque qui amuserait le chaland en quête d’ « « exotisme » ». Cette quête révolutionnaire, Holyarrow la poursuit cette année, avec la sortie d’un deuxième EP, vu comme la suite de l’histoire contée sur Oath of Allegiance. Cette partie II est également la première collaboration de groupe depuis la genèse du combo, le combat pour la liberté n’est à présent plus une lutte solitaire pour le leader Schtarch. Ce qui, en définitive, ne change rien au propos artistique de ce Oath of Allegiance II . Le cru 2020 reprend là où Holyarrow s’était arrêté il y a deux ans. Une absence de prise de risque et un format pouvant nous laisser sceptique sur l’intérêt d’une telle production. Deux morceaux, entre 8 et 9 minutes chacun, pour une durée totale de plus d’un quart d’heure. Et encore et toujours ce Pagan Black conquérant et vindicatif, entre violence guerrière et nostalgie contemplative. Quand la majesté de Bathory rencontre la rage de Graveland . Rien n’a changé d’un pouce, et en cela tant mieux.
Car les images et les émotions que nous renvoient Holyarrow sont toujours aussi puissantes et évocatrices. Elles se dévoilent à nous au fur et à mesure que les morceaux progressent, ces derniers possédant un relief surprenant, surtout pour des titres ayant à l’origine une vocation de fond de tiroir. Alors que « Long Live » rythme la cadence martiale et les salves guerrières qui nous mènent vers la gloire du combat, « 1683 Fight Till Death », grâce à ses progressions mélodiques, tempère quelque peu le propos vers plus de nuances, de variations et de mélancolie, bien que la couleur grandiose et épique enrobe l’ensemble de ces nappes de choeurs célestes qui soutiennent le tout, se mêlant alors à la violence de la bataille dans un tumulte à la fois noble et tragique. C'est une histoire légendaire qui nous a été contée, ayant en elle cette envie de rébellion et de revanche portée par les Hokkiens, déjà présente auparavant et qui continue de se manifester avec véhémence dans chaque cri de Schtarch, chaque choeur, chaque ligne de claviers, chaque riff de guitare. L'amour de sa culture et la haine envers ceux qui voudraient lui nuire : tel est le chemin de croix qu'a choisi d'emprunter Holyarrow.
Oath of Allegiance II n'est donc pas une révolution stylistique. Il n'est que la suite logique du périple entrepris par le combo depuis sa formation. Mais la richesse de ses compositions, à l'image de l'ensemble des productions du groupe, laisse entrevoir une possible évolution dans un futur proche. Ou peut-être pas d'ailleurs. Mais quoi qu'il en soit, force est de constater que tant qu'il gardera intact cette soif d'indépendance culturelle, Holyarrow demeurera l'un des projets les plus sincères du Black Metal chinois, porteur d'une identité inscrite non seulement dans sa musique, mais surtout dans son âme.
Tracklist :
01- Long Live
02- 1683 Fight Till Death