Non.
Le fascinant label Antiq a l'habitude de nous proposer de véritables petites curiosités. C'est ainsi que j'aurais pu introduire ma chronique de Cataèdes, si je n'avais jamais entendu parler du projet auparavant. (Mal)heureusement, j'ai eu la chance de les suivre depuis leurs premiers balbutiements, de voir de nombreuses fois le duo en prestation à différents endroits ainsi que les activités solo de chacun des deux artistes, et même de partager la scène avec eux. Difficile, donc, d'être objective dans cette chronique. Mais l'objectivité est-elle réellement nécessaire dans l'écriture de ce type d'article ? Coupons court, car ce sujet fera l'objet d'une éventuelle autre publication.
Cataèdes est l'association du conteur Quentin Foureau et du compositeur et musicien Dorminn (avec un projet solo du même nom, également disponible chez Antiq). Le premier est spécialisé dans cet art ancestral et oral du conte, et plus particulièrement dans le répertoire fantastique horrifique. Le second a un certain attrait pour le dark ambient, les instruments folkloriques, lointains et étonnants (et plus particulièrement les sonorités asiatiques), et les pédales de loop, créant des morceaux à boucles qui s'ajoutent et se structurent en temps réel. Leur collaboration crée des pièces contées et hypnotiques, dans une volonté d'immersion totale et souvent réussie.
Leur première sortie commune s'intitule Les Affæmmées - Contes d'Outre-Amante, un EP qui met à l'honneur les femmes, mais pas n'importe lesquelles : les terrifiantes. La première piste nous décrit « ce que deviennent les filles royales livrées aux Diables-Fers » avec « La Fille Vampire », un conte traditionnel des Vosges et un classique du projet Cataèdes qui fait toujours son petit effet. Le second, « La Femme qui ne mangeait rien », évoque « comment fait une Yama-Uba pour se nourrir parmi les hommes », avec un total dépaysement vers le folklore japonais. Entre les deux, en guise de transition tout en douceur, un interlude à l'orgue d'église vient former un sas de décompression. Ce premier EP est finalement un bel échantillon de Cataèdes, qui propose relativement souvent deux sets live distincts : un « européen » et un « asiatique ». La thématique féminine et effrayante leur permet ainsi de joindre les deux folklores sur Les Affæmmées. Et si on souhaite uniquement se plonger dans les deux ambiances, la dernière piste permet de réécouter les compositions instrumentales, sans conte.
Comme vous l'aurez deviné, Cataèdes c'est avant tout une prestation live. J'ai beau avoir grandi avec des contes et légendes de Bretagne, enregistrés sur cassette, j'ai compris plus tard que la pratique du conte est par essence quelque chose qui se vit et qui se voit. Face à soi, le conteur fait jouer sa voix mais également ses gestes et ses grimaces, ainsi que son regard pour traduire le conte comme un souvenir. Face à soi, le musicien voit se succéder les instruments folkloriques entre ses mains (santoor, lyre, ocarina, erhu, tambour, saz, darbuka, etc.), les chants et les cris le font intervenir dans l'histoire tout en s'en détachant souvent. Face à soi, le duo vit, donne corps au conte, avec une double narration à travers le texte et la musique, dans une écoute mutuelle et complice.
La double narration, les instruments inattendus, les tons invoqués et l'oreille tendue : on retrouve tous ces éléments sur le premier EP du projet. Mais ce qu'il manque est également à relever : il manque bien tout l'aspect visuel du groupe. Je parle des éléments de décor éventuels, des instruments qui ont eux-mêmes un fort potentiel esthétique, du regard et des gestes des deux protagonistes. Il reste toujours des détails que quelqu'un qui a vu Cataèdes ne retrouvera pas sur l'EP. « La Fille Vampire » en est un excellent exemple, car une sonorité qu'on pense être un simple cri enregistré est en réalité le son d'un instrument fascinant, une sorte de sifflet aztèque en forme de crâne humain (death whistle) et dont le son et l'aspect viennent glacer les os de tout individu y étant confronté pour la première fois.
Toutefois, j'ai eu le plaisir de retrouver les mêmes frissons par moments, lorsque la tension monte alors que se multiplient les boucles d'instruments rythmiques et de percussions, lorsque les cris et les mélodies viennent se mêler à la voix du conteur pour nourrir son propos. Les fameuses répliques de Dorminn qui incarne la Fille Vampire à travers ses hurlements, en réponse à la voix du conteur, ainsi que les sonorités du fameux death whistle ne vous laisseront pas indifférent. Les Affæmmées permet malgré tout, avec un peu de concentration, de réellement vivre le conte et voir, de manière claire et concrète, ce qui lui est raconté. Cela reste un opus qu'on n'écoute pas en fond, en faisant autre chose, mais où l'on doit porter une oreille attentive et mettre un peu de soi à disposition. Mais on peut faire confiance à Cataèdes pour nous surprendre. Cette première sortie est à la fois une bonne porte d'entrée pour découvrir l'univers du groupe ainsi qu'un bel objet (illustré par les talents de l'illustratrice Joanna Maeyens) pour réécouter des contes coups de cœur.
1. La Fille Vampire
2. Requiem pour Affaemmées
3. La Femme qui ne mangeait rien
4. Instrumentales