Normand qui aime le gris
Le projet avait tout pour devenir une nouvelle référence et pourtant... Je le dis tout de suite, le premier et unique album de Betray My Secrets paru en 1999 est aussi talentueux qu’il a étrangement été boudé. Au commencement, Stefan Hertrich, chanteur chez le groupe de gothic metal Darkseed a une forte envie de briser des frontières, d'explorer de nouveaux territoires, et au final, de proposer quelque chose de nouveau et dépaysant. Direction l’orient et ses parfums ésotériques. Pour cela il s'associe au guitariste Christian Bystron, qui officie dans le projet electro metal Megahertz mais aussi à la télévision pour composer des bandes originales de documentaires, et à Harald Winkler, ex batteur également chez Darkseed comme Hertrich. Tout va très vite et en une seule année , le groupe sort une demo puis démarche chez Serenades Records qui produit coup sur coup le mini-album Oh Great Spirit et enfin l'objet qui nous intéresse, l'album éponyme.
Musicalement, ça donne quoi ? L'exercice devient tout de suite plus périlleux. Comment décrire un tel mélange des genres qui ne se métamorphose pour autant pas en vaste fourre-tout mais au contraire forme un langage aussi fluide que chantant ? Quoiqu’il en soit et c’est pourtant un grand fan de black metal primitif devant l’éternel qui vous le dit, Betray My Secrets est personnellement l’un des meilleurs albums metal avant-gardiste de la décennie 1990. Et il reste encore aujourd’hui très difficile à surclasser. En général, parler d’un mélange gothic et doom metal atmosphérique renvoie à l’image sonore d’un Estatic Fear, Draconian ou même à la rigueur My Dying Bride mais le traitement et par conséquent l’ambiance sont réellement très différentes. Car le but de Betray My Secrets n'est pas spécifiquement de faire du metal mais une musique aux étiquettes floues, tout en restant extrême et variée.
La principale force du projet réside en son aspect très world music, dû aux multiples samples et passages orientaux venus des quatre coins d’Eurasie. L’aspect metal n’est pas la qualité première d’Hertrich. C’est direct, rentre-dedans mais sans originalité. En un mot, c’est un metal purement rythmique car il est ici la structure porteuse d’une architecture bien plus riche. Leads gothiques et accrocheurs, montées en puissance progressives et breaks acoustiques du plus bel effet valsent au cours des douze titres de l’album.
Aussi se retrouve t-on avec des ambiances majoritairement persanes, de longs passages ambient et folk du désert qui répondent fièrement à l’agressivité des saturations faisant croire à quelque chose comme un Dead Can Dance metallisé en quelque sorte (oui, je dis ça de la façon la plus gratuite possible) avec toute sa naïveté touchante. Chose que l'on constate aisément dès la première piste de l'album, "Shamanic Dream", où chants shamaniques et growls se télescopent avec une étonnante fluidité. L'immersion est immédiate : on se croirait aussitôt plongé durant les dernières chevauchées de la route de la soie dans les pleines verdoyantes au nord du Kazakhstan. Dépaysement assuré. Ceci avant que des ambiances presques industrielles nous ramènent sur Terre avec "Little Wanderer" puis s'envoler de nouveau dans des contrées lointaines. Géant, vraiment.
Malgré une production assez datée et parfois un peu générique sur l’ambient, l’unique album de Betray My Secrets ne souffre véritablement d’aucune faiblesse majeure. Ce mélange entre doom metal, gothic rock et world music aurait pu s’avérer indigeste mais la mayonnaise prend. A l’inverse, Hertrich n’a pas trouvé un schéma-type qui fonctionne pour le répéter sur chaque titre. Chacun a son écriture propre et un passage différent vers un monde à découvrir ou redécouvrir d'urgence.
Tracklist :
1. Shamanic Dream
2. Ever Expanding Eternity
3. God And Me
4. Oh Great Spirit
5. Of Things Not Seen
6. Desert Dance
7. Forgive Them
8. Little Wanderer
9. From The Goddess
10. Save My Belief