3 albums pour (re)découvrir Solefald
vendredi 5 juin 2020hell god baby damn no!
J'emprunte le format initié par notre cher Michaël pour aborder l'un de ces diamants d'avant-garde qu'a engendré le Black Metal en Norvège dès les 90s. Solefald naît en effet en 1995 sur la côte sud du pays, de l'esprit de Lars Nedland et Cornelius Jakhelln. Solefald a su tout de suite s'émanciper des scènes et des codes pour enfanter de 8 albums en 25 ans de carrière. Marmite bouillonnante d'idées folles et d'influences plus diverses et variées les unes que les autres, nourrie de voyages et recherches philosophiques, en ressort une musique riche, sachant se faire déroutante comme étonnamment entraînante ou touchante. Et en conséquence, vous vous doutez bien que sélectionner 3 albums fut un choix cornélien (sans mauvais jeu de mot, promis). S'il y a bien une constante dans la carrière de Solefald, c'est que chaque album est une entité unique différente du précédent comme du suivant, tout en gardant cette même patte et ce même état d'esprit qui rendent le groupe reconnaissable dès la première note.
Forcément, impossible de trouver un album qui mettra tout le monde d'accord. C'est déjà difficile en temps normal mais ici, c'est bien impossible. Chacun trouvera à boire et à manger dans différents opus qui parleront mieux à l'un ou l'autre, et chacun a donc différent points d'entrée pour apprivoiser la discographie de notre duo. Mon humble travail n'a donc pour objectif que de dresser un tableau d'ensemble sans pour autant écrire un roman sur chacun des huit albums. Mais aussi de parler de ressenti – car au bout du compte, plus la musique est complexe et originale, plus on se rend compte que c'est ce qui importe. Je serais donc heureuse d'entendre votre expérience avec le groupe et quels albums vous auriez retenus !
The Linear Scaffold (1997)
Commençons par le commencement, The Linear Scaffold est un peu le choix le plus évident de cette liste, puisque ce premier album a défini la carte d'identité haute en couleurs du groupe. Pas très éloigné d'un Arcturus période La Masquarade Infernale, il se démarque en même temps de tout le reste en faisant preuve d'une énorme maîtrise et maturité quant à ses multiples influences. Black sympho aux synthés typiques Jazz, musique classique aux airs baroques, tout est clairement identifiable tout en étant digéré et rendu dans une musique cohérente, avec un niveau de composition plaçant déjà la barre très haut et une vraie recherche sur les arrangements et textures des claviers. On sent déjà une forte personnalité malgré une musique encore très ancrée dans le black metal, et, déjà, on retrouve la marque de fabrique aidant à rendre Solefald un peu plus accessible : le chant clair de Lars Nedland. Des lignes tantôt progressives voire psychédéliques, mélancoliques ou encore fortement accrocheuses, son timbre si particulier a clairement été un facteur qui a pour moi rendu ce groupe si addictif.
Mais le chant – comme le reste – se fait avant tout en duo. Ainsi, au chant clair de Nedland répond, souvent en harsh vocals, la voix de Jakhelln. L'équilibre n'est pas encore parfait, mais cette opposition donne déjà un résultat intéressant. Et musicalement, des cavalcades épiques de Red View ou Jernlov aux atmosphères intimes de Tequila Sunrise ou Countryside Bohemian, Solefald montre déjà un penchant pour la dualité des ambiances qui cohabitent sans jamais donner l'impression d'un collage. Ces contrastes se font aussi au niveau des lyrics, que ce soit le mélange de l'anglais et du norvégien ou de textes littéraires (When the moon is on the wave) et de paroles plus personnelles pleines d'humour ou de désinvolture. Et enfin, on retrouve déjà un certain goût pour les sonorités et rythmiques exotiques sur le début de Red View par exemple, aspect beaucoup plus exploité dans des albums ultérieurs.
The Linear Scaffold pose déjà les bases d'un groupe hors du commun tout en offrant des points de repères aux nouveaux venus, moins expérimental que pourront l'être certains albums par la suite. Il reste aujourd'hui un de mes favoris de leur discographie.
Pills Against the Ageless Ills (2001)
Après avoir poussé les expérimentations un peu plus loin sur le très chaotique (mais génial) Neonism, Solefald surprend en 2001 en proposant un album plus direct, peut être même le plus direct de sa discographie encore aujourd'hui... Qui sera d'ailleurs suivi par son anthitèse progressive, In Harmonia Universali. Cet album marque d'autant plus une étape dans la discographie de Solefald avec une signature chez Century Media et une production légèrement meilleure.
Des structures moins chaotiques, de moins grands écarts de style, Solefald adopte une approche plus frontale privilégiant la cohérence sur toute la durée de l'album. On retrouve ainsi des morceaux clairement rentre-dedans, comme les blasts et tremolos pickings ouvrant l'album, ou au contraire des pistes extrêmement catchy comme le tubesque The USA Don't Exist. Chaque morceau se détache de l'ensemble tout en restant dans la même dynamique, ce qui nous donne un album assez accessible et accrocheur dès les premières écoutes. On ne délaisse pas non plus les pianos, orgue Hammond et autres synthés – qu prennent d'ailleurs le pas sur les guitares à de nombreuses reprises. Dans cette optique, on délaisse aussi le melting-pot de langues pour se concentrer sur des textes en anglais.
Tout ceci, c'est parce que Pills... cherche à raconter une histoire, et témoigne ainsi de l'aspect « politique » de Solefald. Sur fond de critique de la société de consommation actuelle, l'album-concept met en scène deux frères, allégories des travers et paradoxes du modèle occidental en perte de repères. Pornographer Caïn, réalisateur porno accusé du meurtre de Kurt Cobain et Philosopher Fuck, moine exilé à Paris pour la fin de sa vie, échangent via les voix de Cornelius et Lars sous forme de questions-réponses tout au long de l'album – une belle manière de mettre en avant la complémentarité du duo.
Norrøn Livskunst (2010)
Norrøn Livskunst fait suite à une saga islandaise en deux albums, sur lesquels Solefald a encore fait évoluer sa production vers quelque chose de plus clair et puissant. D'autre part, cette cuvée 2010 semble continuer sur la lancée thématique nordique. La Norvège au lieu de l'Islande, et des textes principalement en dialecte norvégien. Cette fois, on ne peut cependant pas vraiment parler d'album-concept, bien qu'il s'écoute de préférence d'une traite dans l'ordre pour être apprécié à sa juste valeur. Musicalement, Norrøn Livskunst est un peu une synthèse de tout ce que peut proposer Solefald :des morceaux calmes, accessibles ou entraînants, d'autres plus chaotiques, déroutants et hauts en couleurs, un vrai sens de la mélodie, utilisation travaillée des claviers, d'un saxo ainsi que de nombreuses influences exotiques, Norrøn Livskunst fait voyager, passer son auditeur par toute une myriade d'émotions et de paysages.
Au chant, il s'agit sûrement de ma performance favorite de Lars Nedland, qui démontre toutes les couleurs de sa voix dans de nombreux registres touchants, entraînants, épiques... Solefald accueille également le renfort d'Agnete Kjølsrud (Djerv). Elle amène un vrai vent frais et électrique avec un chant parfois criard et parfois plus doux et lyrique.
La schizophrénie qui peut parfois se dégager de la musique du groupe semble ici parfaitement maîtrisée, une nouvelle maturité créant un équilibre assez parfait sur l'ensemble de l'opus. Un concentré de tout ce que le groupe a offrir.
Voilà. La sélection a été dure, et je regrette encore de ne pas avoir crié mon amour pour d'autres albums des Norvégiens. J'espère que vous avez pris autant de plaisir à lire cet article que moi à l'écrire et qu'il vous donnera envie de vous plonger ou vous replonger dans la « red music with black edges », comme Solefald appellent leur musique. Pour peu que vous aimiez creuser ce que vous écoutez, Solefald a tant à offrir, que ce soit au niveau de la recherche musicale, des références littéraires de ses textes ou de leur humour.
Je conclurai par un extrait des paroles de World Music with Black Edges, ouverture du dernier album en date. En français dans le texte.
« L'art est le fanatisme qui oblige à la diplomatie
A bas la terreur avant que tout ne finit »