Punkach' renégat hellénophile.
Ceux qui parcourent ma prose depuis un moment l'auront remarqué ; j'ai un faible certain pour de nombreux groupes venus de Grèce et, d'une manière plus générale, je suis assez réceptif à l'ascendant atmosphérique du Black Metal. Spectral Lore marque une exception, toutefois. Je reconnais certes au projet solo du multi-instrumentiste Ayloss un vrai talent de composition, et celui-ci aborde des thèmes philosophiques plutôt originaux, mais j'ai vraiment du mal avec les -très- longs passages instrumentaux de cette formation qui tend de plus en plus vers l'Ambient.
Mais le dernier projet en date de Ayloss, baptisé Mystras, a par contre immédiatement titillé ma curiosité : l'artiste athénien l'évoque comme une volonté d'explorer une facette bien plus raw du Black Metal, tout en la couplant à des thématiques médiévales. Une inspiration historique qui aurait pu sembler classique, si Ayloss n'avait pas choisi de la nourrir d'épisodes largement ignorés, tant du grand public que du répertoire musical. Si Mystras évoque des hauts faits, ce ne sont pas ceux des grands barons et autres seigneurs qui se déchirent au piédestal des trônes, mais au contraire les révoltes des gens de peu, nombreuses et parfois couronnées de succès, à une époque qui n'a pas manqué de sa part de conflits sociaux. Ayloss veut ainsi, de manière totalement assumée, donner une autre lecture d'un Moyen-Âge bien trop souvent laissé en pâture à des interprétations d'extrême-droite qui se nourrissent de thèses nationalisto-religieuses de peu de valeur historique, mais qui bénéficient d'une audience démesurée. Et bien qu'il existe un courant inverse depuis quelques années, le Black Metal n'y est pas immunisé, loin s'en faut.
Si le parti-pris idéologique de ce Castles Conquered and Reclaimed semble clair, c'est un peu moins le cas du côté musical : dès les premières notes de l'album, on perçoit certes une volonté de sonner très raw, mais Ayloss n'abandonne pas pour autant des réflexes de composition issus de sa carrière atmosphérique. C'est un mélange assez déroutant, d'autant plus que l'album fait alterner chaque morceau avec des passages folks inspirés de réelles ballades médiévales. Ce qui ne dessert pas l'ensemble, une fois la première surprise passée : The Cutty Wren introduit très bien le morceau-fleuve The Murder of Wat Tyler qui, avec ses treize minutes, ses mélodies folk médiévales et ses choeurs, rend un très bel hommage à l'archer qui, lassé de décocher douze flèches contre un carreau dans une guerre qui n'avait pas encore cent ans, se retrouve à négocier entre le roi anglais et ses sujets en armes, ce qui lui coûte la vie.
Si ce morceau me rappelle le style de certains groupes du terroir anglais, Dawn Ray'd en tête, c'est surtout de part et d'autre de la mer Egée que Mystras va trouver son inspiration et ses sonorités. Storm the Walls of Mystras, morceau le plus raw de l'album tout en titillant le style épique, me lance sans la moindre hésitation sur les pentes de la forteresse des envahisseurs francs qui festoient sur les décombres d'un empire millénaire à l'agonie. O Tsakitzis rend hommage à un justicier légendaire d'Asie Mineure, champion d'une cause populaire perdue d'avance, ancrant finalement l'ambiance dans un contexte d'anomie byzantine. Mais ces morceaux sont aussi bien longs, ce qui commence à se faire sentir avec The Zealots of Thesaloniki, malgré de très beaux riffs.
Castles Conquered And Reclaimed est un album intriguant, qui semble vouloir explorer plusieurs sentiers périphériques du Black Metal simultanément, du raw à l'atmosphérique en passant par le pagan/folk avec un très beau Ai Vist Lo Lop d'origine occitane. Et le résultat s'éparpille un peu, d'autant que le ton raw ne se prête pas forcément à de longues compositions. Mais c'est avant tout la production qui dessert ce premier album : le rendu sonore est particulièrement rude, avec un mixage qui rend par moment le chant complètement caverneux. C'est de tout évidence une démarche volontaire, vu la propreté habituelle des œuvres de l'artiste. C'est devenu un gimmick tristement courant dans le Black Metal parmi les groupes qui estiment ainsi sonner plus authentique, et je ne le supporte pas du tout. Dommage. Mais Mystras ravive la mémoire de très belles tragédies, et je reste curieux de ses futures inspirations.
Setlist:
Castles Conquered and Reclaimed
The Cutty Wren
The Murder of Wat Tyler
Contre Dolour
Storm the Walls of Mystras
O Tsakitzis
The Zealots of Thessaloniki
Ai Vist Lo Lop
Wrath and Glory