"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Transsatanizm. Avec un Z. Une pochette rouge pétante, avec une main bleue pointant un cercle avec une étrange entité au centre, l’œil de Sauron, une bactérie, autre chose ? Un cercle où convergent des douilles dorées, et d’où part aussi un gigantesque ver qui, à l’autre bout, dégueule des croix renversées. Pour seul single avant la sortie de l’album complet, un clip épileptique pour l’interlude électro-saturé "Nowa Transylwania" où l’on aperçoit une sorte de drag queen, dans les mêmes tons de couleur que la pochette. Un album qui s’ouvre dès ses premières secondes sur un bon gros beat technoïde. N’en jetez plus, c’est quoi ce délire ? Qu’est-il arrivé à Biesy ? Un groupe en apparence assez banal dans la scène « moderne » du Black-Metal polonais, un premier album Noc Lekkich Obyczajów sorti en 2017 chez Third Eye Temple qui œuvrait entre Black/Death et Black orthodoxe légèrement intrigant, dans la mouvance de Medico Peste, Odraza ou Outre. Un groupe mené par PR, depuis chanteur pour Gruzja, qui s’était entouré de Stawrogin (Massemord, Odraza justement) et Maciej Pelczar (Outre, justement aussi). Bref, rien de bien original dans une des nombreuses sous-scènes BM polonaises. Et trois ans plus tard, ce truc, ce pétage de câble en bonne et due forme. PR, qui se fait désormais appeler « Faustyna IHS Moreau », ressort Biesy du bois chez Godz Ov War Productions et cette fois-ci sous forme d’un one-man band assumé. Nous disions donc, Transsatanizm, sa pochette hallucinante, ses premières bribes musicales pour le moins surprenantes après le classicisme du premier album, si bien qu’on a déjà envie de dire que ce n’est plus le même groupe, ou que plutôt, c’est ça que doit être Biesy justement. De l’expérimentation sur une base BM ? Ce n’est pas non plus ce que la Pologne livre de plus singulier. Je dois convoquer à ce stade le musicien Michał « Nihil » Kuźniak, qui par ailleurs officie avec Stawrogin chez Massemord (toute cette scène ayant toujours un paquet de liens), maître ès expérimentation dans le Black polonais, avec notamment des projets aussi barrés et mystiques que Cssaba, FDS ou l’inénarrable Seagulls Insane And Swans Deceased Mining Out The Void ; et même ses groupes plus « normaux » comme Massemord, Furia et Morowe ont fini par faire des trucs plus barrés sur certaines sorties. Un Nihil que l’on attend à nouveau depuis un moment d’ailleurs, sa dernière contribution remontant à 2016 et l’album Księżyc Milczy Luty de Furia. En son absence, il faut bien quelqu’un pour apporter notre dose de bizarrerie en matière de Black-Metal polonais. Et voici donc Faustyna IHS Moreau, son Biesy et son Transsatanizm.
Des beats technoïdes nous accueillent donc une fois Transsatanizm lancé sur "IHS". On va donc bêtement avoir affaire à du Black-Indus comme, ô surprise, un groupe polonais comme Iperyt ? Que nenni. Mais Biesy va bien en profiter pour expérimenter sur sa base Black-Metal avec un peu d’électro ici et là. Toutefois, considérer Transsatanizm comme du « Black Electro » serait réducteur. De toute façon, rien que les quasiment 9 minutes de "IHS" brouillent (déjà) les pistes, tout en posant les bases. Passés les gros « boum boum » du début, on se retrouve avec un Black-Metal très lancinant et hypnotique. Qui sera drivé par ce qui sera un des autres curiosités de ce Transsatanizm, les vocaux de Faustyna IHS Moreau, intégralement interprétés en polonais et rien que tenter une traduction de l’ensemble peut vous provoquer un gros bug au cerveau, j’ai essayé et autant dire qu’on ne comprend pas bien ce qui se passe dans l’esprit du musicien torturé de Biesy. Sur la forme, cela va nous donner un panel assez large et éclaté de vocalises, entre du chant BM vénère et saturé, des lignes plaintives, d’autres à la limite du spoken word voire même légèrement rappées, avec une intonation façon « slave » bien prononcée et particulière. Tout ceci se pose sur un Black-Metal abrasif mais tout de même assez propre et puissant, concocté par le studio Impressive-Art (Devilish Impressions, Outre), aux riffs tour à tour appuyés ou légèrement mélodiques, et souvent accompagnés de couches de synthés. "IHS" démarrait de manière bien maboule, mais Transsatanizm se pose vite, et finalement, comme un délire contrôlé. On ne va pas juger sur ce qui influence ça, substances ou parcours musical ou humain ou quoi que ça soit d’autre, mais il semble clair que Biesy est fait pour les auditeurs les plus courageux, non réfractaires à l’expérimentation. Et pourtant, Biesy va réussir à ne pas se perdre en chemin et proposer un album assez redoutable. Certes, il faudra encaisser ces vocaux souvent très hallucinés (on frôle à certains moments les particularités de Diapsiquir), ces ambiances étranges franchement perchées, mais Transsatanizm est aussi un album hyper entraînant, qui ne sacrifie aucunement son efficacité sur l’autel du gros délire expérimental. Et c’est là que ce deuxième opus de Biesy va faire mouche et se poser comme une révélation.
"IHS" nous accrochait déjà avec ses compos lancinantes, mais "La Dolce Instant" ouvre encore plus le potentiel irréel de Transsatanizm, dévoilant déjà des compos mortelles hyper catchy, aux confins d’un Black’n’Roll qui fait taper du pied, entre ambiances fumeuses au synthé, et vocaux totalement pétés par moments mais vraiment accrocheurs. On rentre très vite dans le « délire » et ce trans-satanisme polonais devient vite une drogue qui rend accroc. "Golgota 2045" poursuit le trip avec des compos tour à tour épiques et groovy, d’un Black-Metal moderne étrange mais jouissif, on se délecte toujours des vocaux torturés de Faustyna IHS Moreau et le final très rythmé est absolument imparable. Mine de rien, les tueries s’enchaînent. A commencer par "Karolina23" qui met le paquet au niveau des vocaux détraqués en tout genre, des synthés psyché, mais surtout des compos terriblement percutantes, entre Black/Death assez lourd et Black’n’Roll remuant. Alors certes, Biesy fait un truc bien taré dans l’absolu, mais qui ne vire pas dans le n’importe quoi. "W Krainie Grzybów" démarre d’ailleurs par du BM véloce et blastant plus classique, avec un chant criard plus « digeste », mais les riffs groovy et les synthés sidérants reprennent vite leurs droits pour rajouter de la singularité et surtout de l’efficacité, avec un break électro bien dark qui assure la transition vers un nouveau final explosif et jouissif. "Uwaga: Świat" jette une dernière fois des compos inspirées et des vocaux dingos dans la balance, dans une atmosphère un peu plus désenchantée, avant que cette messe trans-sataniste ne se termine dans de dernières expérimentations électroniques éthérées. Ouf. Depuis le départ, tout ceci pouvait paraître étouffe-chrétien devant l’éternel, au final, Transsatanizm n’est pas loin d’être une bombe de Black-Metal « expérimental ». Trop pour certains, pas assez pour d’autres, mais il est clair que dans son ensemble, dans le fond comme dans la forme, dans le contenu comme dans le contenant, Biesy a accouché d’une dinguerie à laquelle il faut accrocher. Mais Faustyna IHS Moreau a justement tout fait pour qu’on s’y accroche, à coup de compos géniales et particulièrement accrocheuses, de lignes de chant qui ne peuvent laisser indifférent, d’un Black-Metal à la fois propre et sale, à la fois efficace et déglingué, et c’est ça qui fait toute la différence. Biesy, après avoir balayé d'un revers de main un premier album anecdotique, peut peut-être pousser la chose encore plus loin niveau électro et autre facéties, cet album est parfois un peu linéaire dans l’absolu, mais il est surtout absolument addictif et ce dès les premières écoutes grâce à cette savante recette chimique. Bref, c’est de la bonne. Prenez-en et convertissez-vous au trans-satanisme, mais attention, la dépendance guette…
Tracklist de Transsatanizm :
1. IHS (8:46)
2. La Dolce Instant (6:35)
3. Golgota 2045 (6:34)
4. Nowa Transylwania (1:40)
5. Karolina23 (6:24)
6. W Krainie Grzybów (7:23)
7. Uwaga: Świat (8:35)