hell god baby damn no!
L'arrivée des beaux jours, le déconfinement proche pour beaucoup plongent dans une humeur peut-être un peu moins propice à se plonger dans un album estampillé black metal. Je ne pouvais pourtant passer à côté d'une des plus belles sorties du genre de cette première moitié de 2020. Non, je ne parle pas du superbe Fluisteraars que ma collègue a déjà chroniqué il y a peu mais de Turia, qu'on pourrait en quelque sorte qualifier à la fois de jumeau et d'antithèse du premier cité. Les deux groupes néérlandais émergent du même petit cercle d'artistes, ont proposé en 2018 un split ensemble qui les a faits connaître un peu plus avant de proposer chacun leur troisième long format en début d'année. Et tandis que Fluisteraars propose une pochette bucolique, couleur vive et une musique correspondant parfaitement à cette image, Turia y oppose le noir et blanc, des visions, sonorités désolées.
Deux interludes nommés sobrement « I » et « II » et cinq morceaux de durée variables enveloppent tantôt dans une obscurité glaçante sans fond, tantôt dans une vague douce et cotonneuse de spleen. L'auditeur déjà familier de Turia y retrouvera ses marques, mais dans une justesse décuplée. Les cris de T., ces quelques mélodies en suspension, tout est à fleur de peau dans ce Degen Van Licht – mais sans caricature. Le groupe propose un voyage émotionnel frappant et maîtrisé, dans une extrême finesse pour ne jamais tomber dans l'excès. On retrouve au sein d'un même morceau une froideur épurée, presque monolithique marquée par une batterie souvent répétitive et toujours très mise en avant, une grande et belle mélancolie des mélodies sur lesquelles vient se poser le chant écorché, souvent noyé dans la réverb'.
Celle-ci est très bien dosée justement, assez présente pour donner cette impression de lointain, d'espace sans pour autant noyer les instruments ; tandis que cette profondeur décuple l'impact émotionel. Au premier plan la batterie se fait parfois lente et plombante, d'autres fois précipitée ou frappant de manière implacable, comme les cinq coups d'« Ossifrage ». Cet aspect très sec vient se heurter au mur de guitares atmosphériques pour créer cet abîme d'où résonnent dans le lointain les vocaux – qui s'apparentent souvent plus à des plaintes d'agonie ou appels à l'aide qu'à un texte hurlé. Avec ce climat particulier, rude, on est à mi-chemin entre la Church of Ra et les derniers méfaits d'un Der Weg Einer Freiheit. Un paysage morne et plein d'amertume, mettant constamment à l'épreuve le ressenti de l'auditeur. Si l'attribution d'étiquette devient à un certain point un exercice délicat, Turia tend définitivement vers cette forme de post-black, la plus dépressive et austère.
Malgré l'aspect répétitif voire hypnoptique des riffs, chacune des compositions évolue assez naturellement, d'une boucle mélodique à une autre, d'une rythmique doomesque à un tempo plus soutenu. De nouveaux éléments se rajoutent pour former une progression tout au long de l'album en lui-même : de morceaux plutôt linéaires et glaciaux au début, « Storm » débute de manière plus directe et se finit en climax avec des choeurs avant de retomber sur « II », interlude ambiant et éthéré. Alors que « I » ouvrait l'album, il est judicieux de ne pas avoir mis la seconde composition instrumentale en dernier mais en avant-dernier. Cette pause apparente au milieu de la tempête des hurlements et riffs glaçants ne fait en vérité que nous enfoncer un peu plus dans un album déjà éprouvant. Un peu plus de deux minutes dans ce brouillard atone nous laisse abattu, avant de repartir pour les douze dernières minutes du dernier morceau.
Turia signe donc l'album le plus abouti de sa carrière pour le moment, et offre, comme Fluisteraars mentionné plus haut, un beau témoignage de ce que le BM a à proposer au pays des tulipes. Tulipes mortes de désespoir dans le cas présent au vu de la teneur de Degen Van Licht qui prend son auditeur entre plusieurs vents émotionnels extrêmement justes et bien dosés. Un album exigeant, à la fois pour lui-même et pour qui s'y plongera corps et âme. En attendant de voir ce que Turia sera capable de proposer dans le futur, cet opus saura déjà me tenir durant un grand nombre d'écoutes.
Tracklist :
1. I
2. Merode
3. Met Streven Beboet
4. Degen Van Licht
5. Storm
6. II
7. Ossifrage