Chronique Retour

Album

06 avril 2020 - Circé

Grift

Budet

LabelNordvis
styleBlack/Folk Dépressif
formatAlbum
paysSuède
sortiemars 2020
La note de
Circé
8.5/10


Circé

hell god baby damn no!

Il y a cinq ans tout pile sortait Syner, premier album de Grift après quelques sorties mineures, chez l'écurie Nordvis où fleurissent bon nombre de fleurs fanées comme celle-ci, maniant un black metal doux et mélancolique aux intonations folk comme Saïva ou Waldgeflüster. Cependant voilà, Grift a toujours sonné un cran au dessus, à mes oreilles du moins. Ce dès Syner, un album intime et beau, magnifiant la nature et la souffrance qui m'a marqué dès sa sortie et que je classe aujourd'hui déjà dans mes classiques. Grift a continué son chemin avec un second album, d'autres splits et EPs pratiquant ce même mélange d'un Black Metal dépressif - mais jamais dans la surenchère - rempli d'atmosphère et d'instruments acoustiques. Budet reprend la formule jusqu'à la pochette, une nature désolée dans un épais brouillard en noir et blanc.

Troisième voyage en long format donc, dans la campagne suédoise d'Erik Gärdefors. Car Grift, ça n'a jamais été personne d'autre que lui – même si il fait appel à d'autres pour jouer en live, et ici à plusieurs invités. On y reviendra plus tard. Erik donc, qui s'occupe de la composition, l'enregistrement et la production seul, dans sa retraite au milieu de nulle part, où il prend également les clichés qui servent de visuel au groupe. Un projet complet à la ligne artistique intransigeante et honnête. Et c'est peut-être, justement, ce qui fait ce « je ne sais quoi » mentionné plus haut, plaçant le one-man-band au dessus du lot. Le moindre arpège, le moindre cri, la production, tout sonne sincère, sans aller dans la surenchère de faire plus raw, dépressif ou conceptuel que ses voisins. Juste la nécessité de créer.

Budet est en quelque sorte un album de « ballades » BM. Le tempo monte rarement ; même lorsque la batterie semble accélérer, le reste des instruments et du chant garde un rythme de croisière. Le décalage ne fait qu'augmenter l'infinie nostalgie se dégageant des morceaux, décalage qu'on retrouve aussi entre l'omniprésence de l'acoustique face aux vocaux écorchés et autres éléments « metal ». Et clairement, ce sont la plupart du temps les instruments folk qui ont la vedette, que ce soit lorsque la guitare acoustique ou l'accordéon portent la mélodie principale ou encore quand le violon vient sublimer un instant de grâce. Nouveauté de cet album, il est joué par Georg Börner de ColdWorld, notemment sur « Vita Arkiv » ou « Ödets bortbytinger ». L'acoustique et l'électrifié se mélangeant en tout cas à tel point qu'on n'y prête aucune attention, qu'on ne cherche pas vraiment à distinguer l'un de l'autre.

En surface, ce troisième opus semble un peu plus épuré que ses prédécesseurs ; c'est en vérité un album fait de petits détails et qui trouve au final sa beauté dans ce côté dépouillé, ramenant plus que jamais à la ruralité intrinsèque au projet. Cet aspect là se culmine sur « Väckelsebygd », cette piste de dix minutes faite de vents sifflants, de bois grinçant et de cloches (qu'on retrouve d'ailleurs un peu partout dans l'album). S'y ajoutent par la suite instruments et chant, mais la piste se démarque tout de même largement des autres – c'est en outre la plus longue. Je suis du genre à décrocher très rapidement dans ces cas là, et je l'ai fait lors des premières écoutes. Mais lorsqu'on arrive à rentrer dedans, le tout est cohérent et les minutes filent toutes seules.

Le chant désespéré d'Erik, version un peu moins folle mais tout aussi frappante d'un Lifelover ou d'un Shining (pour rester dans le même pays) et la douceur des mélodies acoustiques créent un autre contraste saisissant, une sorte de tristesse infinie dans laquelle il fait bon se noyer. Mais il s'y dégage étrangement une lueur d'optimisme ou de repos. Elle vient à travers quelques mélodies prenant inopinément des tonalités plus positives l'espace d'un instant ou de ces harmonies sur le chant, lui donnant une profondeur. Il y a aussi cet épais brouillard omniprésent chez Grift – mais pas brouillard dans le sens d'un projet type Paysages d'Hiver ou bien sûr Brouillard. Le style est finalement assez éloigné et la production n'a bien sûr rien à voir. Mais cette guitare souvent légèrement en retrait, avec mélodies douces et répétitives à peine plongées dans la réverb, leur son, et la production en général donne une sensation d'espace et, oui, d'être perdu au milieu d'un épais brouillard gris d'où émane la musique.

En se penchant sur les paroles et le concept, toutes ces idées se retrouvent : réflexions sur la condition humaine, le passé en regrets ou en souvenirs heureux... Budet est une invitation à un moment de pause, à un voyage contemplatif, qui cherche à exalter les tourments de son auteur pour tenter d'y trouver la paix. Alors voilà. Erik Gärdefors continue de nous emmener dans l'intimité de son isolement rural, les sons qui y résonnent, son pouvoir salvateur. Avec honnêteté, humilité et passion. En ces temps où tout le monde n'a pas la possibilité de profiter du début du printemps dehors, voici donc un bel accompagnement pour regarder l'hiver lui céder sa place.

 

Tracklist :
1. Barn av ingenmansland
2. Skimmertid
3. Ödets bortbytingar
4. Väckelsbygd
5. Vita arkiv
6. Oraklet i kullabo


 

Les autres chroniques