Les yeux vides, exorbités. Tournés vers un inconnu, un ailleurs, qui n’a pas plus de sens que de réalité en période de confinement comme sur une autre planète. Des muscles bandés qui n’existent pas alors qu’il traîne tout le poids du monde. Il est incroyable que personne (à ma connaissance) n’ait eu l’intelligence, en 50 ans de doom, de convoquer Caza pour son artwork tant il colle parfaitement au propos. Slift, étant donné que c'est d’eux que l'on parle aujourd’hui, l’ont eu. Ils ont eu, de surcroît, la décence de proposer un album que l’artwork illustre avec brio : exceptionnel, heavy, à peine humain, venu d’ailleurs, invitant au voyage.
Comme beaucoup, j’ai atterri sur la planète Slift via KEXP. Comme tout le monde, je n’imaginais pas dans quoi j’allais me lancer en pressant pour la première fois le bouton play sur Ummon. Et comme tout le monde, le confinement me pousse à chercher des évasions qui n’implique ni le contact, ni l’extérieur, et Slift a eu le mérite d’atterrir au bon endroit à un moment ou on aurait difficilement pu avoir plus besoin de lui.
Si vous découvrez Slift avec celui-ci, il est assez intéressant de se plonger directement après dans La planète inexplorée. Espèce de fourmillement touffu à la croisée du punk et du rock psyché, il porte en lui une énergie folle et prometteuse mais peut-être pas encore maîtrisée.
Car c’est bien cette notion de maîtrise qui apparaît dès la première écoute d’Umnon. A l’instar d’Elder, il y a ce beau paradoxe entre un trio qui semble partir dans tous les sens mais qui sait ce qu’il fait et où il va. Maîtrise n’est pas synonyme d’équilibre mais l’un ne va rarement sans l’autre. Et que cet album prend soin de cet équilibre ! Equilibre entre des moments très lisibles, très rentre-dedans. On pense immédiatement à ce titre éponyme d’ouverture avec un riff qui tourne, un crescendo, des couplets. A l’opposé, des titres beaucoup plus Kraut rock, plus dans la texture et l’abstraction. Des tracks plus longues donc, plus alambiquées. L'heure et quart passe à une vitesse folle, entre plans heavys et voyages psychés qui rappellent une réécriture moderne de Can. Vocalement, la polyphonie avec parfois l’apparition de ce chant beaucoup plus frontal qui rappelle l’ancien Mastodon fonctionne très bien.
On a souvent rapproché Slift de ces scènes modernes dont King Gizzard est, comme son nom l’indique, le Roi. Je trouve cependant qu’à l’inverse de certains groupes de revival qui peuvent avoir tendance à s’éparpiller (on pense à un certain groupe allemand habitué à écumer les routes d’Europe) ou à mal digérer leurs influences, on retrouve vraiment chez les Toulousains une envie d’aller directement au cœur des choses, sans pour autant renoncer à sa propre personnalité. L’artwork, les lyrics, la façon de créer leur son (le moins de pédales possible mais toutes poussées dans leur retranchement), tout dialogue bien et donne à l'album une vraie couleur qu'on ne trouve ni chez leurs aînés, ni chez leurs collègues.
Slift va devenir grand. Vous pourriez me dire qu’ils le sont déjà par leur talent et vous auriez raison. Néanmoins, il y a fort à parier qu’Ummon s’apprête à les faire changer de dimension en terme d’exposition. C’est le moment où jamais d’embarquer dans le vaisseau et de les suivre dans leur voyage qui ne peut être qu’époustouflant.
Tracklist :
1. Ummon
2. It's Coming...
3. Thousand Helmets of Gold
4. Citadel on a Satellite
5. Hyperion
6. Altitude Lake
7. Sonar
8. Dark Was Space, Cold Were the Stars
9. Aurore aux Confins
10. Son Dông's Cavern
11. Lions, Tigers and Bears