Chez elle, tout semble être Brouillard : son pseudonyme, le titre de ses albums et le nom de chaque morceau. Par extension, il semblerait que sa vie soit aussi perdue dans un épais brouillard. Pas de cap, aucun repère, une lumière tamisée, un pessimisme accablant. Brouillard a sorti l’année dernière son quatrième album longue durée, éponyme, sur son propre label Transcendance. Preuve de la faible considération portée à sa musique, ce nouvel opus a fait l’objet d’une édition spéciale dite « corps vidé », incluse dans une box scellée d’une fiente d’oiseau. La tête-pensante derrière ce projet solitaire nous fait d’ailleurs part de sa propre analyse sur ce dernier-né musical : « Si chaque album est un accouchement, celui-ci est sans aucun doute le plus pénible de ma vie, un fardeau que je traînais comme on porte l'enfant issu d'un viol, alors on accouche de ce qui est autant une partie de nous que l'on veut aimer, qu'un monstre qui remue toute la merde en nous dès qu'on le regarde dans les yeux. Une ignominie qu'il nous tarde de laisser derrière nous et qu'on aurait préféré abandonner dans une poubelle. Le plus difficile des démons à enfienter. »
On comprend donc qu’on détient ici un véritable exutoire de tout ce qui ronge en profondeur l’artiste. La lecture des textes dans le livret en atteste. Dénuée de toute ponctuation, comme pour déblatérer rapidement tous ces propos et les laisser derrière soi, les paroles dégueulent d’amertume, de fatalité, de déception envers les hommes (ou d’un homme, plus vraisemblablement). En réalité, cet album est dans la continuité de Loin des hommes, de son autre projet solo J’ai si froid… Remuer encore et encore cette rancœur qui vous empêche si souvent d’avancer, de croire en la vie et en autrui.
C’est sur ces bases émotionnelles qu’a été composé Brouillard et musicalement, on le ressent. Articulé autour de quatre longs morceaux, l’opus peint un décor noir avec néanmoins quelques nuances selon les titres, du dépressif à l’atmosphérique, en passant par l’astral et le doom.
On notera quelques améliorations notables par rapport aux précédentes réalisations. En premier lieu, la boîte à rythme apparaît bien plus intégrée au reste de l’instrumentation. La production, également, semble un peu plus soignée et homogène. On le doit probablement à Bornyhake (Borgne) qui a mastérisé l’album. Enfin, et surtout, c’est au niveau des compositions que le travail propose quelque chose de plus abouti et cohérent. On entre littéralement dans l’esprit de la génitrice, pour y découvrir tous les noirs ressentiments qu’elle vomit sur l’auditoire. Le timbre féminin des vocaux écorchés renforce d’ailleurs ce côté touchant.
Deux titres sont selon moi au-dessus du lot. Tout d’abord le premier : d’entrée de jeu, Brouillard annonce la (non) couleur avec un ton dramatique et ses guitares graves, on navigue dans les eaux troubles du mal-être incarné en musique, où tout se termine en bris d’objets. Enfin, ma préférence se tourne vers le dernier chapitre, avec sa durée dépassant le quart d’heure, qui est aussi le plus mélodique par ses envolées de guitare. L’émotion va crescendo au gré des minutes, jusqu’à attendre une forme de désespoir extatique… Magnifique.
Comme bien souvent avec ces projets français de Black Metal, la musique et la thématique abordées me parlent. Elles ont la fâcheuse tendance à ranimer des choses enfouies pas si profondément et à nous accompagner dans ces moments-là. Forcément, je ne peux qu’être réceptif. Ce Brouillard cuvée 2019 est sans conteste la meilleure réalisation de l’entité, preuve que c’est quand on est au fond du trou qu’on sort les plus belles œuvres…
Tracklist :
1. Brouillard
2. Brouillard
3. Brouillard
4. Brouillard