[La lecture de la chronique est conseillée avec, en fond sonore, le morceau Nydöth, disponible plus bas, ou, mieux encore, l'album lui-même]
Et quand nous aurons déraciné jusqu'à cette adventice crasse, cette exuvie nommée raison, seul notre lien avec l'incommunicable saura être l'objet de démesure.
C'était comme le terreau des peurs premières. J'y voyais un cairn et il était fait d'un amalgame de schiste et de branchages de saule et de bouleau. Cette bauge primitive était colmatée par un liant boueux impraticable dans lequel je baigne depuis que je distingue ces accords. Ils étaient comme pincés et atriophiés. C'était une harangue ou une offrande votive aux marais eux-mêmes.
La tourbière croassait. La tourbière croassait et le divinateur répondait et c'était comme un cantique primitif, un manifeste de l'Art Fangeux. Bizarre déclinaison du neuvième signe du jugement dernier. L'hydromancien-sacrificateur sondait le marécage et les sous sols et en devenait comme l'intercesseur primordial. L'isthme extrinsèque et improbable des archipels dissonants dont il parvient nébuleusement à capturer la cacophonie. C'était comme une métagnose ou une divination aux étendues vaseuses et les Grecs n'en parlaient pas et Cicéron non plus. Des variations autour du Grand Limon.
Je devine un curieux talisman sur la toge du divinateur. Un torque, aux parures étranges, orné de ce crâne de troll aux formes grotesques et disparates et chaotiques. Son aspect caverneux, sa physionomie façonnée par une existence sourde et primitive et caverneuse, comme baignée dans une nuit étouffée. Il avait ces deux yeux béants dont la surface concave semble avoir été pénétrée avec la plus furieuse impulsion. Deux terribles anfractuosités. C'était comme le rappel d'une nature oubliée. Une nature marécageuse et hostile et anxiogène où les premiers signes d'une conscience encore balbutiante étaient embourbés dans une moiteur poisseuse et où les instincts primates se multipliaient en atroces sphaignes. C'était comme dans les profondeurs d'une tourbière.
Om domedag och de femton järtekn éclate, déconstruit la matière Black Metal, brisant sa valeur narrative linéaire intrinsèque pour mieux troubler, m'entraîner dans cette forêt tortueuse qui m'est familière. Des chimères atroces, à l'orée du monde animal, que Wagner Ödegard, le Grand Sacrificateur, capture à travers ces accords graveleux, répétés rituellement, au pouvoir d'attraction si magnétique. ces rythmiques atrophiées m'évoquant quelque furie simiesque. Il morcèle, disperse les fragments de son anamnèse larvée, fruit d'une trance enthéogène nourrie aux daturas et autres philtres psychotropes, me ramenant à des visions de danses hallucinées, répétées rituellement par des membres disloqués, anémiés par la tétrodotoxine. Il évoque ces grandes transes primitives, où des cadences hypertrophiées impulsées par les musiciens jouaient le rôle d'un étrange catalyseur, enfiévrant, mystifiant son auditoire. Il exhorte en d'atroces stridulations jusqu'aux marais eux-mêmes, rendant hommage à l'Art Fangeux, cet art chaotique, multiforme, aux soubresauts aussi disparates et imprévisibles que cette animalité, cet état de semi-conscience. Un art antédiluvien, plus inspiré de Chthonios que d'Éther, dont cette ignoble confection semblait sonder et transcrire chaque frisson. Il conjugue cet animisme qui exhultait les instincts les plus primaux avec une hargne maladivement concentrée.
Je crois que c'est dans ces marais bourbeux que les premières croyances prennent germe. Je me figurais qu'il en était le grand haruspice avec son manteau en peau de stryges. Dressé sur ce monticule de terre il semblait comme un hiérophante denisovien initiant aux arcanes de cette contrée de guerris et de tritons. Bientôt il entonnait à nouveau le chant, cet homme primitif, ce grand brasier. Il entonnait à nouveau le chant et c'était comme plus frénétique et incandescent. Il appelait le marais de sa rhétorique tourbeuse et le marais répondait. Le ciel indigo se soulevait comme un immense arc électrique. Il semblait maintenant contrôler aux foudres et sa fonction fulguratrice m'apparut clairement. C'était comme si l'eau stagnante convoquait le feu céleste et j'étais pris de vertige. Maintenant je crois comprendre ce lieu où le reflet de l'homme n'existe pas. C'est le marais qui semble s'élever maintenant. Il embaume le ciel. Les exhalaisons de la tourbière me cachent jusqu'au soleil. Dans ce smog, seule la belladone m'accordera l'éclipse.
"Déjà plusieurs fois il avait trouvé de mystérieuses correspondances entre ses émotions et les mouvements de l'Océan [...] C'était un remuement d'eaux qui montrait la mer travaillées intestinement ; elle s'enflait par de grosses vagues qui venaient expirer avec des bruits lugubres et semblables aux hurlements des chiens en détresse" H. De Balzac, L'enfant Maudit.
Tracklist :
1. Nidvinter
2. Nydöth
3. Svarþnaþer
4. Luspii
5. Ekannelik
6. Vlua
7. Norna
8. Äon
9. Honadiwr
10. Hätta
11. Swelt
12. Likstrand
13. Domadagi
14. Tekn
15. Hönger